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Géorgie : soulèvement pour la démocratie dans le Caucase – Le peuple géorgien face au gouvernement

Manifestation de masse à Tbilissi, le 5 décembre 2024. © Mautskebeli.

Ashley Smith, de Tempest, et Ilya Budraitskis, de Posle Media, ont interrogé les activistes et universitaires géorgiens Ia Eradze, Luka Nakhutsrishvili et Lela Rekhviashvili sur les racines du soulèvement, sa trajectoire et la place de la Géorgie dans le capitalisme mondial et l’ordre impérialiste.

La Géorgie, petite nation caucasienne de 3,8 millions d’habitant·es, est entrée dans une crise profonde. Son peuple s’est soulevé contre le parti au pouvoir, le Rêve géorgien, à la suite de l’adoption de sa « loi sur l’influence étrangère » d’inspiration russe, de sa loi homophobe sur la propagande anti-LGBTQ, du truquage des récentes élections et de la suspension des négociations d’adhésion à l’UE.

C’est le milliardaire Bidzina Ivanishvili qui tire les ficelles du Rêve géorgien. Il est l’oligarque le plus riche du pays et possède une fortune de 6,4 milliards de dollars, ce qui représente presque le budget total du gouvernement et un cinquième du PIB du pays. Lui et son parti, malgré leurs accrochages avec l’Occident et leur inclinaison vers la Russie, collaborent avec toutes les puissances impérialistes et les multinationales pour piller et exploiter le peuple, les richesses et les ressources du pays.

Excédé par cet autoritarisme et cette exploitation, le peuple géorgien est entré dans une phase de protestation massive contre son gouvernement, en faveur de la démocratie et de l’égalité. Le Rêve géorgien a réagi avec la plus grande brutalité, en réprimant les manifestations et en arrêtant les protestataires. Mais le mouvement ne montre aucun signe de recul et, à l’heure où nous publions, les manifestations de masse se poursuivent, pour le vingt-quatrième jour consécutif. Le pays est sur le fil du rasoir.

Ashley Smith, de Tempest , et Ilya Budraitskis , de Posle Media, se sont entretenus avec des militants et des universitaires géorgiens, Ia Eradze, Luka Nakhutsrishvili et Lela Rekhviashvili, à propos des racines du soulèvement, de sa trajectoire et de la place de la Géorgie dans le capitalisme mondial et dans l’ordre impérialiste.

Ilya Budraitskis Ashley Smith : Le peuple géorgien s’est soulevé, dans le cadre d’un nouveau mouvement de protestation de masse, contre le gouvernement. Les racines de ce mouvement sont, en partie, une réaction aux résultats des récentes élections qui ont ramené le Rêve géorgien au pouvoir. Quels étaient les thèmes de la campagne électorale ?Qui étaient les partis d’opposition et quels étaient leurs programmes ? La population s’est-elle montrée satisfaite de ces propositions ? Quels ont été les résultats officiels ? Les élections ont-elles été truquées ?

Luka Nakhutsrishvili : Nous sommes au cœur d’un soulèvement démocratique de masse contre le gouvernement du Rêve géorgien. Des centaines de milliers de personnes manifestent pacifiquement sur la place principale de Tbilissi et dans les villes et villages du pays. Au cours des deux dernières semaines, des marches de protestation ont été organisées à travers tout Tbilissi, en permanence. Des groupes professionnels et de quartiers de plus en plus nombreux ont commencé à s’auto-organiser. C’est un phénomène sans précédent dans notre histoire récente.

L’origine immédiate des protestations est la profonde crise de légitimité provoquée par le parti au pouvoir, qui suit le modèle adopté par Viktor Orban en Hongrie pour transformer son gouvernement en un régime autoritaire. Mais le Rêve géorgien est allé plus loin que la démocratie illibérale à la Orban en truquant les élections et en réprimant les manifestant.e.s d’une manière qui rappelle davantage le Belarus et la Russie. La suspension des négociations d’adhésion avec l’Union européenne n’a été que la dernière goutte d’eau.

Au cours des deux dernières années, le Rêve géorgien a pris un virage d’extrême droite spectaculaire. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 2012, il se disait social-démocrate et était intégré au groupe socialiste du Parlement européen. Alors que beaucoup craignaient qu’il ne penche vers la Russie, il est resté favorable à l’intégration de l’UE et à l’adhésion à l’OTAN.

Mais depuis l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, il a fait volte-face en optant pour l’euroscepticisme, en se ralliant au nationalisme de droite, en prônant une politique réactionnaire vis-à-vis des questions de genre, en faisant entrer les théories conspirationnistes dans le débat politique et en exprimant ouvertement sa sympathie à l’égard de la Russie.

Le Rêve géorgien a fait campagne sur la base d’un discours de peur, en arborant le slogan « choisissez la paix, pas la guerre », accompagné d’images montrant d’un côté une Géorgie florissante et de l’autre une Ukraine détruite. Le message était clair : si vous votez pour l’opposition, la Géorgie finira par être envahie et occupée par la Russie.

En ce qui concerne le socle du Rêve géorgien, s’il a perdu beaucoup d’électeurs favorables à l’intégration dans l’UE, il a gagné le soutien des électeurs nationalistes d’extrême droite qui approuvent leur loi anti-LGBT, s’opposent au projet supposé de Washington d’entraîner la Géorgie dans une guerre mondiale et expriment leur hostilité à l’égard des bureaucrates de l’UE qui, selon eux, violent la souveraineté de la Géorgie. Le reste de leurs électeurs les a soutenus par peur de la guerre, cyniquement exploitée par le Rêve géorgien.

Lors des élections, les quatre principaux partis d’opposition se sont regroupés en coalitions pour s’opposer à Rêve géorgien. Ce sont des partis issus des milieux technocratiques, la plupart d’entre eux étant rattachés au gouvernement précédent, et ils se sont révélés incapables de répondre aux préoccupations de la grande majorité des électeurs. La plupart ne les aiment pas et ont voté pour eux de manière tactique pour battre Rêve Georgien ou au moins les empêcher d’obtenir une majorité absolue et de gouverner seuls.

IB & AS : En fin de compte, le Rêve géorgien a obtenu la majorité malgré des accusations largement répandues selon lesquelles il aurait truqué les résultats. Est-ce vrai ?

LN : Oui. Les sondages indiquaient qu’il resterait le parti le plus important mais qu’il n’aurait pas assez de voix pour former un gouvernement seul (comme le parti d’extrême droite de Kaczynski après les élections de l’année dernière en Pologne). Personne n’avait prévu qu’il gagnerait avec 54 % des voix. Pour parvenir à ce résultat, il a eu recours à toutes les combines que l’autoritarisme permet d’imaginer, en convertissant en outil au service de son pouvoir la précarité des conditions de vie de la majeure partie de la population, dont il avait préalablement tout fait pour qu’elle perdure.

Le parti a organisé ce que nous appelons un « carrousel de vote » pour que ses partisans puissent voter à plusieurs endroits et obtenir ainsi des résultats plus élevés. Rêve géorgien a également fait pression sur les gens pour qu’ils votent pour lui en menaçant de leur couper l’accès à notre système minimal de protection sociale, y compris les soins médicaux. Ils ont intimidé les travailleurs du secteur public, comme les enseignants, avec la menace de leur faire perdre leur emploi.

Les forces de sécurité ont dit à des personnes dont des proches étaient en prison que si elles ne votaient pas Rêve géorgien, elles ne bénéficieraient pas d’un procès équitable. Elles ont confisqué les cartes d’identité de ceux dont elles savaient qu’ils soutenaient les partis d’opposition afin de les empêcher de voter.

Ils ont entravé le vote des centaines de milliers d’émigré.e.s. Pourquoi ? Parce que ces personnes avaient quitté le pays en raison de leur exaspération à l’égard des responsables politiques et de la pauvreté, et qu’elles sont plus enclines à voter pour l’opposition.

Rêve géorgien a ensuite invalidé la plainte déposée par le président pour que les élections soient déclarées inconstitutionnelles en raison de violations massives des lois électorales. Ils n’ont même pas attendu la décision du tribunal qu’ils contrôlent pour convoquer le parlement, ce qui est clairement contraire à la Constitution. Le Rêve géorgien a donc tout fait pour amplifier la crise de légitimité provoquée par la façon dont il a ouvertement et gravement truqué les élections.

IB & AS : L’élément déclencheur du soulèvement est la décision de Rêve géorgien de suspendre le processus d’adhésion à l’Union européenne. Pourquoi a-t-il pris cette décision, d’autant plus qu’une majorité de Géorgien.ne.s est favorable à l’intégration ?

Ia Eradze : Rêve géorgien a probablement suspendu les négociations d’adhésion parce que la fraude électorale n’a suscité que peu de protestations. Il ne veut pas non plus accepter les conditions de l’UE en matière de réformes démocratiques, qui menaceraient son maintien au pouvoir. Enfin, la Russie a sans doute exercé des pressions en coulisses.

La suspension des pourparlers a transformé la situation et réveillé les personnes qui, comme moi, étaient sous le choc des résultats de l’élection. Je me suis senti paralysé pendant environ deux semaines. Je ne pouvais rien faire. Il y a bien eu des manifestations après les élections, organisées par les partis d’opposition, mais elles n’ont pas été très suivies.

La faible participation était le fruit d’une paralysie collective. Il a fallu des semaines pour que les gens comprennent l’énormité du trucage qui a permis à Rêve géorgien de remporter une telle victoire. La colère a commencé à s’accumuler sous la surface. L’annonce par Rêve géorgien de la suspension des négociations d’adhésion, qui viole notre Constitution, a fait sauter le bouchon de cette colère accumulée qui a jailli dans tout le pays.

À bien des égards, cette annonce a été une chance. Je craignais vraiment qu’ils ne fassent semblant de participer aux négociations de l’UE, en simulant des accords, tout en instaurant un régime autoritaire. Cela aurait été bien pire. Heureusement pour nous, ils sont allés trop loin et nous nous trouvons maintenant au beau milieu d’un mouvement de masse contre le gouvernement.

La plupart des gens ne protestent pas seulement à cause de la question de l’adhésion à l’UE. Nous sommes dans la rue pour empêcher un gouvernement autoritaire de continuer à fouler aux pieds notre Constitution, nos droits et nos conditions de vie. Nous manifestons pour défendre notre démocratie contre la transformation par le Rêve géorgien de toutes les institutions de l’État, des écoles aux tribunaux, en outils au service de ses intérêts et de ceux des oligarques qui le contrôlent.

Le gouvernement a réagi à notre soulèvement avec une brutalité extrême. Il a commencé à faire des descentes chez les gens pour trouver les personnes qui, selon lui, préparent une révolution. Ils ont arrêté certains dirigeants de l’opposition. Le régime devient chaque jour plus autocratique. Près de 500 personnes ont été arrêtées et la plupart d’entre elles ont été passées à tabac ; certaines ont été torturées ( le représentant du ministère public lui-même a jugé que le traitement de nombreuses personnes détenues relevait de la torture). Ces derniers jours, nous avons vu des personnes être enlevées dans la rue par la police. Parmi les prisonniers, il y a des professeurs, des étudiant.e.s et des lycéen.e.e ;s, des artistes et des médecins.

IB & AS : À quoi ressemblent les manifestations ? Quels sont les groupes et les catégories de personnes concernés et pour quelles raisons l’adhésion à l’UE est-elle importante pour eux ? S’agit-il des mêmes que ceux qui ont protesté contre la loi spéciale ? Quelles sont les principales revendications des manifestants ?

Ia E : Elles sont énormes. Un fort pourcentage des 3,8 millions d’habitant.e.s du pays se sont joint.e.s aux manifestations. À Tbilissi, qui compte environ un million d’habitant.e.s, chaque jour, tout au long de la journée et de la nuit, au moins 100 000 personnes manifestent et, certains jours, plus de 150 000.

Ces manifestations sont bien plus importantes que celles qui ont eu lieu au printemps contre la loi sur les agents de l’étranger, et elles n’ont pas lieu qu’à Tbilissi. Elles se produisent dans tout le pays, pas uniquement dans les grands centres mais aussi dans les petites villes de la campagne.

Elles sont bien plus diverses que les manifestations du printemps. Des personnes de tous âges ont rejoint le mouvement. Les jeunes sont présents en force, mais aussi tous les autres. Il y a diverses catégories de personnes, depuis les professions libérales jusqu’aux ouvriers, qui y participent. C’est vraiment beau à voir.

Tout le monde se rend compte du danger qui nous guette. Je fais moi-même partie d’une association qui organise des actions pour la défense de l’éducation. D’innombrables autres groupes dans différents secteurs de la société font de même. Rien de tout cela n’est très coordonné. C’est comme si des flux d’initiatives organisées séparément convergeaient pour former des manifestations massives.

Lorsque je me réveille le matin, je regarde le programme des manifestations pour savoir à laquelle je souhaiterais participer. Un jour, je me suis retrouvée à quatre manifestations différentes. Si elles sont si nombreuses, c’est parce qu’elles sont toutes auto-organisées.

C’est une réalité qui va à l’encontre de ce qu’en disent les médias gouvernementaux qui tentent de présenter la contestation comme une conspiration, un « Maïdan » fomenté par des puissances étrangères et leurs agents locaux. Ce n’est absolument pas le cas. Elle est spontanée et décentralisée. S’il y avait une planification aussi centralisée, vous iriez aux rassemblements et vous verriez une tribune avec des prises de parole organisées. Il n’en est rien. En fait, sur la place principale de Tbilissi où se déroulent les manifestations, il n’y a pas d’estrade, il n’y a pas de discours et les partis d’opposition ne dirigent pas les manifestations.

Il n’y a même pas de slogans scandés au cours de la journée. La plupart des manifestations consistent simplement en une contestation silencieuse du gouvernement. Cependant, l’énergie qui s’en dégage est étonnante. Mais le mouvement trouve progressivement sa voix collective ; il a déjà formulé deux exigences fondamentales : de nouvelles élections et la libération immédiate de tous les protestataires et activistes emprisonnés.

LN : Au vu du degré de décentralisation de ce mouvement de protestation, il est intéressant de se pencher sur son mode d’expression. Les manifestant.e.s tirent des feux d’artifice pour le Nouvel An et réalisent des spectacles laser sur le bâtiment du Parlement, devenu le symbole de tout ce qui ne va pas dans ce pays. Ils organisent des concerts et tapent sur les barrières métalliques que les forces de sécurité installent pour contenir les manifestations et les empêcher d’accéder au Parlement.

Plus tard dans la nuit, les manifestations se transforment en affrontements de rue entre « partisans » et forces spéciales. Preuve de sa peur et de son choix de la répression, le gouvernement a interdit les feux d’artifice, les lasers et les masques de protection du visage.

Ia E : Je tiens à souligner qu’au milieu de cette spontanéité, les gens commencent à s’organiser en petites initiatives qui se rejoignent dans les manifestations. Aussi décentralisée soit-elle, la planification existe, les objectifs sont déterminés et un mouvement est en train de s’organiser.

Par exemple, les manifestations ont ciblé une série d’institutions publiques pour dénoncer leurs calomnies à l’encontre du mouvement ou leur indifférence face à la brutalité du régime. Parmi ces institutions, citons le Service public de radiodiffusion, le Théâtre national le Ministère de l’éducation, la Maison des écrivains, le Centre national du cinéma, le Palais de justice et le Centre national pour l’amélioration de la qualité de l’enseignement.

Dans certains cas, des fonctionnaires ont rejoint les manifestants à l’extérieur, et ce fut très émouvant de voir cela. Les fonctionnaires ont également commencé à signer des pétitions et à organiser des défilés, en dépit des pressions exercées par un gouvernement qui cherche à effacer la frontière entre la loyauté vis-à-vis d’un parti et les institutions de l’État.

Les partis d’opposition ne jouent pratiquement aucun rôle dans le mouvement. Ils ont été mis à l’écart, malgré ce qu’en disent les médias occidentaux. Les gens disent en plaisantant que ces partis devraient au moins faire quelque chose comme de proposer du thé chaud lors des manifestations.

LN : Les médias de l’opposition surreprésentent leur présence pour des raisons évidentes. Ils veulent améliorer leur image. Il en va de même pour la propagande du Rêve géorgien dans les médias, qui cherche à faire croire que ces manifestations sont organisées par l’« opposition radicale ». Mais lorsqu’on se trouve sur les lieux des manifestations, on s’aperçoit que cette dernière ne représente qu’une force négligeable et qu’elle ne fait pas grand-chose.

Certains de ces responsables politiques sont tellement conscients de leur rôle insignifiant qu’ils refusent désormais d’être interrogés lors des manifestations. Par conséquent, les personnes qui répondent aux questions sont des jeunes, dont beaucoup portent des masques à gaz, et ce qu’ils disent a beaucoup plus de sens que tout ce qu’on peut entendre de la part des politiciens.

IB & AS : Ces manifestations semblent très similaires à la révolte de Maidan en Ukraine.Celui-ci a débuté parmi les étudiant.e.s, puis, face à la répression brutale, le mouvement s’est rapidement étendu au reste de la société, se transformant en un soulèvement de masse très actif qui a fait chuter le gouvernement. Avec les divisions au sein du gouvernement, les démissions et le personnel politique de l’opposition qui a rejoint les manifestations, pensez-vous que le soulèvement géorgien pourrait suivre la même trajectoire ?

Ia E : Il est désormais inimaginable que cette crise puisse être résolue de manière institutionnelle, pacifique et légale. Notre pays est le théâtre d’une confrontation à grande échelle entre le peuple et le gouvernement...

LN : L’escalade est évidente. Le gouvernement est entré dans une logique de surveillance, de descentes de police et de répression brutale. Mais cela n’a dissuadé personne de descendre dans la rue. Le mouvement exige maintenant, non pas de nouvelles élections, mais le départ du gouvernement lui-même, et ce dès maintenant. Le sentiment général est que c’est nous ou eux. Le mouvement a atteint un point de bascule et nous verrons s’il s’intensifie au point de remettre en question la capacité du Rêve géorgien à gouverner.

En ce qui concerne les similitudes avec le Maïdan ukrainien, paradoxalement, c’est le Rêve géorgien qui reprend le scénario du Maïdan, qu’il s’agisse d’annuler les négociations avec l’UE comme l’avait fait Ianoukovitch, d’interdire les masques ou de mobiliser les voyous dans les rues. Ils semblent incapables de comprendre que le soulèvement actuel n’est rien d’autre qu’une tentative de « Maïdanisation » de la Géorgie par ses ennemis internes et externes. Cette obsession de Maïdan pourrait être l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement a lamentablement échoué à comprendre - et à réprimer - ces protestations.

Lela Rekhviashvili : Le Rêve géorgien a également usé et abusé de l’insurrection de Maïdan pour effrayer les gens et les dissuader de protester. Ils ont dit que si l’on défie l’État de cette manière, la Russie interviendra et nous nous retrouverons envahis, occupés et en guerre comme l’Ukraine. Ils ont fait cela tout au long de la campagne électorale.

Mais le Rêve géorgien, dans son arrogance et peut-être sa bêtise, a suscité précisément cette opposition de masse qu’il avait présentée comme la pire des choses possibles. Leur autoritarisme est la principale cause de cette énorme vague de manifestations. Nous sommes maintenant sur le fil du rasoir, entre un gouvernement de plus en plus autocratique et un mouvement de masse qui ne montre aucun signe de recul.

IB & AS : Le scénario que vous décrivez ressemble à celui de nombreux autres soulèvements dans le monde, dans lesquels le fonctionnement normal d’un gouvernement ne permet pas de résoudre une crise. Souvent, dans de telles situations, la population met en place des mécanismes de substitution au gouvernement, des assemblées populaires, qui peuvent constituer un substitut à l’État. Y a-t-il des éléments indiquant que tous ces mouvements d’auto-organisation que vous décrivez se rassemblent pour former des niveaux plus élevés d’unité et de prise de décision démocratique ?

LN : Pas encore. Pour l’instant, les gens se mobilisent et trouvent de nouveaux moyens de résister aux gaz lacrymogènes, d’échapper à la répression et d’éviter les rafles et les arrestations auxquelles se livrent les autorités.

Ia E : Les gens commencent à s’organiser. Différents groupes et mouvements convergent vers des projets communs. Le meilleur exemple en est la façon dont de nombreuses forces se sont rassemblées pour protester contre le traitement partial de cette question par la chaîne de télévision publique et exiger qu’elle retransmette en direct la manifestations et qu’elle interroge des participant.e.s, ce qui a finalement contraint la chaîne à céder. Il y a des exemples, mais les gens ne se sont pas encore réunis en assemblées populaires pour discuter du mouvement et planifier collectivement des initiatives.

LN : Même ceux d’entre nous qui analysent et écrivent commencent à peine à y voir clair dans ce qui s’est passé au cours du mois dernier. Tout cela nous a pris par surprise. Comme le mécontentement suscité par les élections truquées n’a pas pu déboucher sur une protestation durable, nous avions commencé à nous préparer à une résistance lente organisée au sein de communautés plus restreintes. Mais voilà que les manifestations ont éclaté et se sont transformées en un véritable mouvement de lutte contre le gouvernement.

IB & AS : La Géorgie semble coincée entre plusieurs grandes puissances impériales - les États-Unis, l’Union européenne, la Russie et la Chine - en raison de son rôle de point de transit pour le commerce mondial. Expliquez-nous le rôle de la Géorgie dans le capitalisme mondial. Est-ce que la suspension de l’adhésion à l’UE qu’imposerait le Rêve géorgien changerait sa position dans le capitalisme mondial ? Serait-t-elle alors davantage intégrée au capitalisme russe ?

LR : La Géorgie est un pays périphérique typique, dans lequel les puissances impériales ont, sous couvert de développement, favorisé la constitution d’un système économique prédateur. L’UE et les États-Unis ont largement orienté la politique économique du pays depuis le début des années 1990, concourant ainsi à la naissance de contradictions insoutenables. D’une part, ils veulent que la Géorgie soit démocratique, mais d’autre part, eux et les capitalistes locaux, en particulier l’oligarque le plus puissant, Ivanishvili, veulent piller le pays pour leur profit.

Leur programme de développement est impossible à mettre en œuvre et à appliquer dans le cadre d’une démocratie. Pourquoi ? Parce que le pillage et la paupérisation suscitent une opposition qui remet en cause cette stratégie de développement. Pour juguler cette résistance, il faut recourir à la répression et, ce faisant, basculer dans l’autoritarisme.

Le secteur de l’énergie est un bon exemple de cette contradiction, d’autant plus que l’objectif commun de l’UE et du gouvernement géorgien est de faire de la Géorgie une « plaque tournante de l’énergie » et un maillon d’un corridor énergétique « vert ». Dans les années 1990, mais surtout depuis la Révolution des Roses de 2003, les gouvernements occidentaux, les agences d’aide ( comme l’USAID) et les banques de développement (comme la Banque mondiale et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement) ont joué un rôle majeur dans la création d’institutions publiques destinées à faciliter la privatisation et la déréglementation du secteur de l’énergie.

En 2008, la Géorgie avait privatisé toutes les centrales hydroélectriques héritées de l’ère soviétique à l’exception de deux d’entre elles. Alors que les institutions occidentales appuyaient la privatisation et la création d’une économie dépendante des investissements directs étrangers (IDE), ce sont des capitaux essentiellement russes qui ont racheté les centrales électriques et les installations de distribution d’énergie.

Lorsque les possibilités d’attirer des IDE par le biais de privatisations se sont taries, le gouvernement - toujours en coopération avec des intervenants occidentaux - a commencé à soutenir la construction de nouvelles centrales hydroélectriques dans le cadre du programme de transition écologique de l’Union européenne. En 2024, le gouvernement avait signé des contrats pour 214 nouvelles centrales hydroélectriques dans tout le pays, même si les capacités existantes couvrent presque la demande d’électricité domestique. Pour attirer les capitaux, il a proposé des terrains et des ressources en eau à des prix minimaux et a promis que l’État protégerait les investisseurs contre toute une série de risques financiers, juridiques et politiques.

En raison de la nature extractiviviste des nouveaux projets hydroélectriques, des mouvements populaires à l’échelon local ont réussi à s’opposer à ces projets et parfois à les annuler ou à les entraver, en particulier les grands projets tels que Namakhvani, Nenskra et Khudoni.

Le gouvernement a reçu un nouvel encouragement à relancer tous ces projets de centrales hydroélectriques contestés et à en proposer de nouveaux en 2022, lorsque l’UE a commencé à créer un « corridor d’énergie verte » traversant l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Roumanie et la Hongrie, et qu’elle s’est engagée à financer la pose d’un câble électrique sous-marin traversant la mer Noire. Les institutions européennes, et tout particulièrement la Communauté européenne de l’énergie, ont collaboré à l’élaboration des projets qui ont permis au gouvernement géorgien de présenter les exportations d’électricité comme un élément clé de son programme de développement et de prendre l’engagement que toutes les grandes centrales hydroélectriques précédemment contestées seraient construites.

Au cours des 15 années qui se sont écoulées depuis que cette nouvelle énergie hydroélectrique a été présentée comme un programme de « transition verte » et une panacée pour le développement, une série de capitalistes locaux ont appris de quelle manière il leur était possible de tirer profit de ce programme, certains rattachant de nouvelles centrales à la cryptomonnaie, ce qui a permis de créer un puissant lobby local favorable à la poursuite de l’expansion de ce secteur.

Le Rêve géorgien déclare que les mouvements d’opposition à l’hydroélectricité sont l’un de ses principaux ennemis. Il déclare ouvertement que la consolidation de son pouvoir, au travers notamment de l’adoption de la Loi sur les agents étrangers, est essentielle pour éliminer cette opposition au développement économique de la Géorgie.

C’est ce que je veux dire lorsque j’affirme que le programme de développement que le gouvernement géorgien a élaboré en collaboration avec les puissances occidentales, mais aussi au profit d’autres acteurs, notamment les capitaux russes et chinois (qui ne sont pas présents dans le secteur de l’énergie, mais qui sont importants dans les infrastructures de transport), est difficile, voire impossible, à mettre en œuvre démocratiquement. C’est pourquoi le Rêve géorgien, à l’instar de ses prédécesseurs politiques, évolue vers l’autoritarisme afin de mieux servir les intérêts du capital local et international.

Lorsque nous insistons sur le fait que la rupture du processus d’intégration à l’UE est dangereuse, ce n’est pas parce que nous en méconnaissons les conséquences problématiques ou que nous ignorons comment le populisme de droite ébranle les économies centrales et périphériques de l’Europe, ni comment de nombreux pays européens foulent aux pieds leur adhésion aux droits de l’homme, au droit international, à l’ONU, à la CPI et à la CIJ en poursuivant leur guerre conjointe, leur génocide, en Palestine.

Au contraire, il est parfaitement clair pour nous que la tendance actuelle à la consolidation autoritaire permet de dérouler le même programme de développement économique problématique sous un jour encore plus brutal, en supprimant même toute possibilité de s’y opposer. Cela signifie que nous sommes à la périphérie de l’Europe sans être protégés des pires effets de cette position périphérique par les mécanismes les plus élémentaires de protection des droits sociaux et politiques.

Et maintenant, qu’en est-il de la Russie et de la Chine ? Nous ne pouvons pas vraiment dire grand-chose sur la Russie, car tous les accords qu’elle a conclus l’ont été en coulisses, et non en public. La Russie a-t-elle exercé des pressions sur la Géorgie ? C’est probable, mais nous n’avons pas de précisions sur la nature de ces pressions. Toutefois, nous pouvons clairement observer que les responsables russes se déclarent satisfaits de la désagrégation des relations entre l’UE et la Géorgie.

La Chine est également restée discrète, mais ses intérêts économiques sont clairs. Elle considère la Géorgie comme un pays de transit qui lui permet d’accéder au marché européen. La Géorgie est particulièrement importante depuis que l’invasion impérialiste de l’Ukraine par la Russie a coupé la route nord de la Chine vers l’Europe.

L’un des itinéraires de substitution, appelé corridor médian des Nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative, BRI), qui passe par la Géorgie, est devenu beaucoup plus important. La dernière chose que la Chine souhaite, c’est toute forme d’instabilité qui perturberait ses échanges commerciaux. Elle se désintéresse de la question de l’adhésion comme de l’autoritarisme, du moment que la route reste ouverte.

LN : La façon dont Lela présente le Rêve géorgien est bien meilleure que celle des campistes, qui laissent entendre qu’il s’agit d’une sorte de parti anti-impérialiste. La réalité, cependant, est beaucoup plus banale : La Géorgie est un régime oligarchique, dans lequel Ivanichvili s’assure de la loyauté de l’élite en accordant des avantages aux hommes d’affaires et aux responsables politiques moins fortunés, tandis que toutes les institutions publiques significatives, en particulier le système judiciaire, sont mises sous tutelle pour protéger leurs intérêts. Il existe donc une dynamique interne autonome qui reproduit le système oligarchique en Géorgie. Elle n’est en aucun cas réductible à une simple interaction avec le capital mondial ou occidental.

Les campistes ne le comprennent pas et finissent par excuser tout ce que fait le Rêve géorgien, depuis l’adoption de la Loi sur les agents étrangers jusqu’au trucage des élections, en passant par la répression du mouvement actuel. Mais, contrairement à la lecture qu’en font de nombreux campistes, la façon dont Rêve géorgien gère la situation n’est en aucun cas une simple réaction à « l’impérialisme occidental », ce qui justifierait indirectement leurs mesures autoritaires comme étant de l’autodéfense.

Les campistes se contentent de dénoncer l’Europe en raison de son histoire coloniale, de son présent néocolonial et de sa complicité avec le génocide, comme si c’était la fin de l’affaire. Bien que cela soit en grande partie vrai, ils présentent souvent la Chine comme une alternative en dépit de sa nature autocratique et de sa complicité avec notre exploitation et l’oppression dont nous sommes victimes. Ce n’est pas une solution de rechange.

Je pense qu’il est catastrophique pour la gauche d’abandonner ses principes démocratiques et de se faire le chantre du virage autoritaire du Rêve géorgien au nom de la souveraineté. Ce n’est pas seulement une erreur, c’est aussi un désastre politique. Toute personne engagée dans une politique d’émancipation devrait refuser cette approche.

Si la gauche s’y rallie, elle est assurée de rester isolée et sans influence dans le plus grand mouvement de lutte pour la démocratie et l’égalité que nous ayons connu depuis des générations. Elle placera la gauche de l’autre côté des barricades qui se dressent devant ce mouvement.

LR : Cette gauche campiste singe le dévoiement par le gouvernement de concepts tels que la souveraineté et le discours décolonial. Ce faisant, elle s’aligne sur un gouvernement qui sert nos oligarques et le capital international et qui réprime violemment son propre peuple.

Les États autoritaires, de la Russie à la Hongrie en passant par la Chine, se servent cyniquement du terrible bilan de l’Occident en matière d’impérialisme et de colonialisme pour justifier leur propre domination prédatrice. Les partisans de la gauche qui acceptent cela sont dangereusement attirés par une alliance rouge/brune, comme Sara Wagenecht en Allemagne.

IB & AS : Compte tenu de cette situation de plaque tournante, comment toutes ces puissances qui ont des intérêts en Géorgie, pour différentes raisons, ont-elles réagi au soulèvement et à la crise que traverse actuellement la Géorgie, la Chine, la Russie, les Etats-Unis, l’Union européenne ?

LN : A ce stade, seules les puissances occidentales ont condamné la répression et la violence perpétrées par le gouvernement. Elles n’ont pas non plus reconnu les résultats des élections, alors que la Chine, la Turquie, l’Iran et la Russie ont félicité Rêve géorgien pour sa victoire. La Russie a également déclaré que si Rêve géorgien avait besoin d’aide, elle serait prête à envoyer des troupes.

Ia E : Si les gouvernements de l’UE ont condamné la brutalité de Rêve géorgien, ce n’est pas le cas des banques de développement occidentales. Pourquoi ? Parce que le Rêve géorgien montre qu’il a bien l’intention de continuer à rembourser ses emprunts et à mener à bien les projets de développement auxquels il a souscrit. Il semblerait que les banques fassent passer leurs intérêts économiques avant la démocratie. En même temps, il est clair que le Rêve géorgien et les élites économiques qui le soutiennent ont énormément profité des projets de développement financés par ces banques. Cela me permet de souligner, une fois de plus, que la trajectoire de développement économique suivie par la Géorgie n’a été ni imposée au gouvernement par l’Occident, ni inévitable, mais qu’il s’agit plutôt du choix conscient et plutôt lucratif du gouvernement du Rêve géorgien d’accepter les règles du système de développement dominant à l’échelle mondiale.

LN : Dans le pire des cas, l’UE cessera d’exercer une pression réglementaire et politique sur la Géorgie en faveur de la démocratisation et continuera à faire des affaires avec elle, même avec ce gouvernement lamentable, comme elle le fait avec l’Azerbaïdjan, la Serbie et d’autres pays d’Europe centrale et d’Asie centrale. La Serbie pourrait être un cas particulièrement intéressant en tant que pays qui semble bloqué de façon durable dans sa procédure d’adhésion. Tout en dénonçant l’autoritarisme de la Serbie, l’UE conclut des contrats très impopulaires relatifs à l’extraction du lithium sur son sol.

Les campistes à l’étranger ou nos souverainistes locaux pourraient interpréter cela comme le fait que l’Occident laisse enfin un pays souverain tranquille. Mais en réalité, ce sera un problème pour nous, car l’horizon des normes démocratiques, rattaché au cadre européen, est un outil indispensable pour exercer une pression populaire sur un gouvernement qui, par ailleurs, entend réduire la démocratie à néant. En ce sens, l’UE est, pour les manifestant.e.s, le symbole de la primauté du droit, des droits civiques et de l’égalité.

À ce stade, au niveau des masses, l’aspiration à l’Europe et le discours sur la « défense de l’avenir brillant et européen de la Géorgie » semblent être le seul langage disponible pour exprimer les exigences en matière de démocratie et de justice sociale. La question qui se pose alors est de savoir comment le peuple reformulera ces exigences au cas où l’horizon européen viendrait à s’effondrer. Comment pouvons-nous lutter pour la démocratie politique et l’égalité économique en étant coupés des normes démocratiques et des droits de l’homme établies par l’« Occident collectif » ?

IB & AS : Dans cette situation évolutive, que devraient préconiser, selon vous, la gauche géorgienne, les mouvements sociaux et les syndicats ? Est-il possible de construire une alternative politique à gauche pour défier le Rêve géorgien et les partis d’opposition pro-capitalistes ?

Ia E : C’est très difficile à dire parce que dans le passé, il y a eu des tentatives qui n’ont rien donné. Je suis très optimiste aujourd’hui, car le tournant autoritaire de Rêve géorgien a poussé les gens à une sorte de réveil politique.

Nous devons commencer à discuter de la création d’un parti. Pour l’instant, les gens commencent à parler de l’organisation d’un mouvement sur la base d’une plate-forme qui réunirait certaines des forces auto-organisées afin de présenter des revendications communes. Cela pourrait enclencher un processus.

LN : Dans le même temps, de plus en plus de gens ressentent le besoin de se syndiquer dans des syndicats pour la plupart nouveaux, qui ne seront pas soumis aux intérêts du parti Rêve géorgien. Il s’agit d’une réponse immédiate à deux phénomènes : beaucoup ont découvert que la grève était l’outil pacifique de protestation et de résistance le plus efficace, mais comme, d’un point de vue purement juridique, il n’est pas facile de faire une grève en Géorgie, l’organiser à travers un syndicat apparaît comme le moyen le plus pratique de s’y essayer. Plus important encore, de nombreux fonctionnaires ont commencé à chercher des moyens de se syndiquer en réaction aux récentes modifications très sévères de la législation sur la fonction publique adoptés à la hâte par Rêve géorgien, qui permettront bientôt aux dirigeants des différentes institutions publiques fidèles au parti de licencier plus facilement ou de faire pression sur les fonctionnaires critiques du gouvernement. Tout d’un coup, les grèves et les syndicats, qui auraient été considérés comme des anachronismes « gauchistes » ou « soviétiques » il y a quelques semaines, se retrouvent maintenant au centre de l’attention comme une nécessité organique qui surgit du milieu des protestations.

Notre première tâche est donc de développer la lutte et de la maintenir. La réponse autoritaire du gouvernement à notre mouvement pousse les gens à réfléchir à des stratégies et des tactiques que l’opposition libérale a tenté de discréditer, comme la grève générale pour préserver notre démocratie.

IB & AS : Quelle position la gauche internationale doit-elle adopter dans cette situation ?Et que pouvons-nous faire pour aider la lutte de la Géorgie pour l’autodétermination, la démocratie et l’égalité ?

LR : La gauche internationale est en fait confrontée à la même question que la gauche géorgienne : comment sortir du cadre opaque d’un conflit entre l’UE et la Russie ? La clé est de comprendre et d’expliquer comment les rivalités géopolitiques écrasent les pays périphériques.

Aucune personne qui se réclame de la gauche ne devrait s’attendre à ce que les puissances impériales - les États-Unis, l’UE, la Russie et la Chine - servent nos intérêts. Quelles que soient leurs rivalités, elles ont en commun des visées prédatrices et soutiendront un régime autoritaire pour s’assurer qu’elles pourront les mettre en œuvre. Il est important de noter que la concurrence inter-impérialiste et la lutte pour l’hégémonie créent de nouveaux risques et de nouvelles vulnérabilités pour les États périphériques, qui doivent être pris au sérieux.

Il serait souhaitable que la gauche internationale entre davantage en contact avec les militant.e.s et les activistes géorgien.ne.s. À ce stade, il existe un fort sentiment d’appartenance à la gauche géorgienne. À ce stade, il existe une forte tendance pour une grande partie de la gauche à rechercher des personnes qui confirment son schéma erroné et trompeur selon lequel l’impérialisme occidental est le seul coupable, qui accusent un mouvement populaire de masse d’être sa proie et qui disculpent le régime oligarchique local.

Si la gauche internationale suit l’exemple de ces personnes, elle finira par apporter son soutien à la mainmise du Rêve géorgien sur le capitalisme périphérique. Certains dans la gauche occidentale gagneraient à cesser d’être tellement autocentrés qu’ils limitent leur critique à l’impérialisme occidental exclusivement. Je ne leur demande pas de ne pas critiquer l’Occident, mais de le faire plus sérieusement et de critiquer également les acteurs non occidentaux. C’est la seule façon de maintenir une position cohérente qui s’oppose non seulement à l’Occident mais aussi au capitalisme et à l’impérialisme où qu’ils soient.

LN : Ce que je demande fondamentalement à la gauche internationale, c’est de reconnaître nos préocupations locales, l’autonomie du peuple géorgien dans le choix de ses priorité dans sa lutte pour la démocratie et contre ce régime autoritaire. Arrêtez de ressasser les discours sur un « second Maïdan » et une « révolution de couleur ». Cela peut vous donner un sentiment de rectitude, mais cela vous amène aussi à nous trahir et à excuser le régime qui nous opprime.

Ia E : Je trouve étonnant qu’à gauche, on puisse oublier qu’à la périphérie aussi, il y a des gens et des peuples qui peuvent prendre leurs affaires en main. Cette attitude politique est fondée sur le désespoir. C’est notre capacité d’action collective qui est est au cœur de la solidarité dans notre pays et avec d’autres partout dans le monde. Je vous le demande, soutenez notre lutte contre Rêve géorgien.

Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro, Source - Tempest, 1 janvier 2025.

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Ashley Smith

Ashley Smith est un journaliste militant socialiste qui vit à Burlington, dans le Vermont (États-Unis). Il a écrit dans de nombreuses publications, dont Truthout, International Socialist Review, Socialist Worker, ZNet, Jacobin, New Politics, Spectre et bien d’autres publications en ligne et imprimées (et Inprecor a repris ses articles à plusieurs reprises). Il travaille actuellement sur un livre pour Haymarket Books intitulé Socialism and Anti-Imperialism

Ilya Budraitskis

Ilya Budraitskis, chercheur en histoire et en sciences politiques, enseignant à l’Université de Moscou, organisateur du mouvement anti-guerre jusqu’à son exil en 2022, est militant du Mouvement socialiste russe.