Que penser du retour de Trump à la Maison Blanche ? Pour les bourgeoisies européennes et leurs partis, la réponse devrait être et a été positive et même enthousiaste. Pourquoi ? Mais, en raison de l’intention très clairement exprimée de Trump d’appliquer des politiques réactionnaires, anti-syndicales, anti-ouvrières, antisociales et pro-capitalistes que les droites européennes voudraient bien mettre en œuvre chez elles aussi, afin de « pacifier » leurs propres sociétés pour une période aussi longue que possible. Signe infaillible de cette euphorie capitaliste : les bourses européennes pavoisaient le lendemain de la victoire électorale de Trump…
Évidemment, les partis et autres forces d’extrême droite ont tout à fait raison d’exulter plus que tout autre, sûrs que la victoire de Trump ne peut que leur profiter dans leur marche – pour le moment inarrêtable – vers le pouvoir de plusieurs pays, y inclus des plus grands de l’Union Européenne comme la France et l’Allemagne. Ayant déjà le vent en poupe depuis une dizaine d’années, ces partis d’extrême droite et même néofascistes, deviennent maintenant, grâce à Trump, encore plus attrayants pour les ailes et les tendances ultradroitières déjà existantes au sein des grands partis de la droite traditionnelle. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, les hémorragies électorales et les scissions que vont subir ces partis de la droite traditionnelle européenne en faveur d’une extrême droite plutôt très radicale et sympathisante de Poutine, risquent de redessiner le paysage politique de toute l’Europe, changeant radicalement le rapport de forces également à l’intérieur de la Commission de l’Union européenne !...
Cependant, force est de constater qu’il y a aussi l’autre face de la médaille des conséquences européennes du retour de Trump à la Maison Blanche. C’est pourquoi la liesse initiale des bourgeoisies européennes qui a suivi le triomphe électoral de Trump a été de courte durée. Pourquoi ? Mais, parce qu’il y a dans tout ça un hic de taille : le protectionnisme agressif et l’ultra-nationalisme de Trump. C’est ainsi qu’au fur et à mesure que Trump multiplie, jour après jour, les déclarations concrétisant son intention d’imposer même à ses alliés et amis des tarifs douaniers exorbitants qui vont frapper durement leurs économies, la satisfaction initiale est remplacée par l’inquiétude, l’anxiété et même la peur. Il s’agit une vraie douche froide qui a comme résultat non seulement de calmer leurs enthousiasmes mais aussi de changer profondément l’humeur et les dispositions des bourgeoisies, des médias et des droites européennes envers Trump.
En somme, ce qui se dessine à l'horizon seulement un mois après sa victoire électorale, c’est que les droites et les bourgeoisies européennes sont presque condamnées à développer des rapports d’attraction-répulsion avec Trump et son administration ! D’un côté l’attraction provoquée par la proximité idéologique et la haine commune de ceux d’en bas. Et de l’autre, la répulsion provoquée par les profondes divergences géostratégiques et surtout, par le protectionnisme très agressif de Trump. Un protectionnisme qui pourrait bien mettre le feu aux poudres dans les sociétés du vieux continent et au-delà (par exemple en Chine, aux Indes, au Mexique et même au Canada) et déstabiliser ultérieurement leurs systèmes politiques déjà fragilisés, en raison du marasme social et du chômage record résultant de la faillite des pans entiers de leurs économies et de la probable perte des millions de postes de travail...
Il va de soi, que de tels rapports si contradictoires ne peuvent pas durer éternellement et que les bourgeoisies européennes ainsi que leur personnel politique ne pourront pas être tiraillés éternellement entre l’attirance et la répulsion pour Trump. Tôt ou tard la balance va pencher en faveur de l’attraction et de la coexistence plus ou moins pacifique ou de la répulsion qui pourrait conduire à des drames. Si évidemment ces drames ne sont pas empêchés par l’entrée en jeu des forces sociales et politiques capables de stopper et de battre tant les uns que les autres. Ceci étant dit, on ne peut pas exclure que des inconditionnels ou même des clones politiques de Trump se tournent contre lui si leurs conflits d’intérêts s'exacerbent outre mesure. D’ailleurs, les premières manifestations de tels changements sont déjà perceptibles quand par exemple la Première ministre italienne, la meta-fasciste Mme Meloni ou son ami raciste et islamophobe d’extrême droite, le hollandais M. Wilders dénoncent le protectionnisme de Trump et font front avec leurs autres partenaires européens contre les tarifs douaniers qu’il veut imposer sur les produits de leurs pays.
Mais, ce qui semble inquiéter le plus les Européens sont les traits pour le moins atypiques du caractère de Trump, qui le rendent totalement imprévisible et incontrôlable. Et cela d’autant plus qu’il décide seul de tout, car il a fait le vide autour de lui et il n’y a plus de garde-fous et des soupapes de sécurité institutionnelles pour l’empêcher de faire n'importe quoi, des folies. Comme par exemple de choisir seul un casting de son gouvernement, que la presse européenne s’est empressée de qualifier d’« extravagant » ou d’« effroyable », tout en prévoyant que la prochaine administration américaine sera « chaotique ».
Et la gauche européenne dans tout ça ? Que pense-t-elle et que fait-t-elle en ce moment si critique de l’histoire ? La réponse pourrait se résumer dans ces mots : elle fait peu de choses. D’abord, sa social-démocratie jadis puissante mais aujourd’hui déconsidérée et faible, ne fait plus que subir les événements sans réagir, comme par exemple en Allemagne où elle s’attend à essuyer une défaite historique aux élections de février prochain, avec un résultat qui pourrait ne pas dépasser la moitié du résultat de l’extrême droite dure !
Quant à la gauche plus combative et radicale, elle a une influence et des forces assez limitées pour pouvoir peser sur la social-démocratie et les événements qui font trembler notre monde. A l’exception évidemment de la France à cause de l’existence du Nouveau Front Populaire (pourtant assez fragilisé) ainsi que des syndicats ouvriers qui ont fait encore récemment la preuve de leur combativité. Toutefois, cette gauche plus radicale est confrontée à un problème de taille dans sa lutte contre l’extrême droite : l’existence d’une gauche qui « hésite » et évite de dénoncer clairement Trump comme ennemi mortel des syndicats, des mouvements ouvriers, féministes, écologiques et de tout ce qui fait la gauche. Et pire, elle est confrontée à un courant de cette gauche « hésitante », lequel sympathise avec Trump, lui attribuant des vertus... « anti-systémiques », qui le rendent un allié potentiel de ceux que cette « gauche » appelle des « anti-impérialistes ».
Ce n’est pas surprenant que la grande majorité de ceux qui découvrent en Trump un activiste antisystème, sont aussi des sympathisants de Poutine. Comme il n’est pas surprenant et sans précédents historiques de voir des gens de gauche adopter de telles positions qui dérivent vers l’extrême droite. En réalité, les actuels sympathisants et admirateurs de Trump et de Poutine ne font que perpétuer un triste, ou plutôt criminel, phénomène de l’entre-deux guerres qui a vu même des éminents représentants du mouvement ouvrier et de la gauche, comme par exemple l’Italien Nicola Bombacci ou le Français Jacques Doriot1 reconnaître en… Mussolini et Hitler des « champions de la paix », des « révolutionnaires anti-impérialistes » et des « unificateurs de l’Europe » !
Notre conclusion ne peut être que (très) provisoire, car tout le monde est dans l’attente de la suite des événements pour se faire une idée plus claire de ce que va représenter pour l’Europe et pour le monde la deuxième présidence de Donald Trump. Cependant, une chose est déjà plus que sûre : Il faudra mobiliser tout ce qui est mobilisable de par le monde d’abord pour résister bec et ongles et ensuite pour battre l’extrême droite et l’Internationale Brune en gestation, qui constitue actuellement la plus grande menace mortelle pour ce qui reste de notre humanité, de nos droits et de notre planète…
Le 2 décembre 2024
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Fondateur et dirigeant avec son ami Gramsci du Parti Communiste Italien (PCI), le très populaire Nicola Bombacci a été emprisonné et déporté à plusieurs reprises par le régime fasciste dont il était l’ennemi juré, avant de se rapprocher petit à petit à lui et d’adhérer finalement à la Repubblica di Salò. Arrêté et fusillé avec Mussolini par les partisans, il est mort le poing levé et criant « Viva il Socialismo ».
Numéro 2 dans les années ‘30 du Parti Communiste Français, le très populaire parmi les ouvriers Jacques Doriot passe en 1936 à l’extrême droite, dont il devient un des leaders. Collaborateur des occupants nazis, dirigeant du Parti Populaire fasciste et créateur de la Légion des nazis Français, il combat avec la Wehrmacht en Russie et meurt en Allemagne en 1945 à la fin de la guerre.