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«Les colons ont détruit leur village en Cisjordanie, Israël leur interdit de le reconstruire»

par Gideon Levy
L’école du village palestinien Khirbet Zanuta détruite par les colons israéliens. © Moti Milrod

Les membres de cette communauté palestinienne ont abandonné leur village historique dans les collines du sud d’Hébron au début de la guerre, par crainte des colons. Une décision de justice a permis leur retour ­– mais entre-temps, les colons ont détruit la plupart de leurs maisons. Aujourd’hui, le gouvernement militaire refuse de les laisser reconstruire.

Une école bombardée. [Sont connues les photos des écoles de l’UNRWA dans la bande de Gaza – gérées par l’agence de secours des Nations unies – après avoir été attaquées par les avions de l’armée de l’air israélienne. De même celles bâtiments des kibboutz Be’eri et Nir Oz suite à l’attaque, le 7 octobre, par la branche armée du Hamas du 7 octobre. Une destruction totale.] Mais ce qui a été infligé à cette école [voir photo ci-contre], aujourd’hui en ruines, ne peut être justifié par l’allégation que des terroristes s’y étaient retranchés ou qu’elle aurait été utilisée pour stocker des munitions. Et cette destruction n’est l’œuvre ni des Forces de défense israéliennes (IDF) ni du Hamas.

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L’école de Khirbet Zanuta, un village du sud des collines d’Hébron, a été ravagée par des colons, probablement ceux de l’avant-poste voisin de Havat Meitarim. Elle a été détruite après que les enfants qui la fréquentaient eurent fui leur maison pour sauver leur vie avec leurs parents, à la suite du début de la guerre à Gaza. Avant cela, ils avaient été régulièrement terrorisés [voir article de Gideon Levy dans Haaretz du 7 septembre 2023] par des colons qui s’étaient déchaînés dans le village à maintes reprises. Les colons sont ensuite entrés dans le village «vidé» et ont démoli l’école et presque toutes les maisons.

C’est un spectacle bouleversant. L’école était de construction relativement récente, datant de 2014, et même à travers les ruines, l’effort qui a été fait pour l’entretenir est repérable sur les carrelages au sol, les murs colorés, l’équipement éparpillé. Aujourd’hui, on dirait qu’elle a été bombardée. Les plafonds sont crevés, les murs fracassés, une fontaine d’eau a été détruite, les toilettes défoncées.

Cette petite école, qui ne compte que cinq salles de classe, a été dévastée par des malfaiteurs, par une pègre humaine. Ils ont semé la destruction pour le simple plaisir de détruire. Les lettres de l’alphabet arabe sont visibles sur les restes d’un tableau d’affichage dans l’une des salles de classe, un train en papier est accroché au mur d’une salle de classe à moitié détruite, chaque wagon représentant l’un des jours de la semaine – le wagon du mardi a été arraché du mur. «Ils ont dérobé celui du mardi», déclare Nasser Nawaj’ah, chercheur pour l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem.

Les beaux arbres décoratifs de la cour – situés au milieu d’un terrain désertique parsemé de rochers – ont été coupés en morceaux par ces pogromistes dérangés, les laissant flétris et mourants. D’un seul coup, tout l’effort prodigieux des villageois pour créer une petite école dans le désert a été transformé en un tas de ruines. Les vêtements des enfants, les ustensiles d’écriture et les livres sont éparpillés parmi les décombres. Deux bergers somnolent à l’ombre des débris de leur village.

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Il faut une bonne dose de malveillance pour détruire une école construite au prix de tant d’efforts par les habitants. Il faut une dose encore plus importante de non-respect de la loi pour rendre possible une situation dans laquelle des civils armés peuvent saccager un village sans que personne ne les arrête – ni même ne les traduise en justice par la suite. Cela ne peut se produire qu’ici, dans les collines du sud d’Hébron, une zone d’apartheid et d’anarchie, où la force fait le droit et où l’unité de l’administration civile du gouvernement militaire, ainsi que les FDI et la police israélienne, ne sont rien de plus que des subordonnés des colons violents.

L’avant-poste de Havat Meitarim, la zone industrielle de Meitarim et le bâtiment du Conseil régional des collines du sud d’Hébron, géré par les colons, se trouve sur la colline opposée. Au nord se trouve la ville de ad-Dahariya [ville palestinienne située à 23 km au sud d’Hébron, au sud de la Cisjordanie]. Or, le hameau de Khirbet Zanuta n’est plus qu’un ensemble de cabanes mutilées – pas un seul toit n’est resté en place – et de vestiges de maisons en pierre vieilles de plusieurs centaines d’années entrecoupées de structures plus récentes, d’enclos pour animaux à moitié détruits et de douzaines de pneus éparpillés tout autour, arrachés aux tôles des toits qu’ils étaient censés soutenir.

Des chiens de berger reniflent à travers les ruines, cherchant eux aussi une parcelle d’ombre sous le soleil du désert. Des villageois se reposent sous un bouquet d’arbres qui n’ont pas été déracinés. Dimanche dernier, le personnel de l’administration civile, qui est généralement composé de colons, s’est à nouveau présenté et a confisqué la clôture de l’enclos des animaux.

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Faiz Haderath, 45 ans, père de six enfants, chef du conseil du village de Khirbet Zanuta, qui est né dans une grotte et qui est berger de chèvres comme les autres, est également affalé sous un arbre, seul moyen d’échapper au soleil brûlant. Le week-end dernier, Faiz Haderath a perdu l’une de ses chèvres qui, dit-il, a été piétinée par un cheval chevauché par un colon qu’il peut identifier par son nom. Haderath utilise le mot «meurtre» pour décrire la mort de la chèvre.

Toute la population de Khirbet Zanuta – 36 familles vivant de part et d’autre de la route 60 – a fui le 17 novembre dernier, environ cinq semaines après le début de la guerre. Elle était parvenue à la conclusion que le danger posé par les attaques sur la vie des enfants – et des moutons – était trop grave, ne leur laissant d’autre recours que d’abandonner leurs maisons. L’effroi était si grand que personne ne resta, pas même pour garder ses biens. Nasser Nawaj’ah, le chercheur de B’Tselem, constate que la violence des colons a conduit, au cours de la guerre, à l’abandon de six villages dans les collines du sud d’Hébron.

Les ravages ayant frappé Khirbet Zanuta ont commencé en 2021, avec l’établissement de l’avant-poste de Havat Meitarim, que les villageois ont dénommé Havat Yinon Levi – la ferme de Yinon Levi – du nom de son fondateur, contre lequel l’administration américaine a pris des sanctions en février en raison de sa violence. Dans un premier temps, les résidents de l’avant-poste ont pris le contrôle de la plupart des pâturages et des citernes de Khirbet Zanuta. Le chef du conseil villageois, Faiz Haderath, parle d’agressions contre les bergers, d’arbres déracinés, de chiens lancés sur les troupeaux, de moutons écrasés par des véhicules tout-terrain et piétinés par des chevaux, et bien d’autres incidents encore. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, ils ont appris à vivre avec cette nouvelle réalité.

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Mais la guerre est arrivée et la brutalité s’est intensifiée en fréquence et en force. Les colons ont commencé à arriver armés de fusils, généralement accompagnés de soldats en uniforme, membres des brigades d’urgence ou d’unités de défense territoriale, jetant des pierres de jour comme de nuit sur les baraques, semant la destruction, instaurant la peur. Il y a eu au moins dix attaques particulièrement graves, raconte Faiz Haderath. Elles ont finalement conduit à la décision de partir. L’objectif des colons a été atteint, du moins temporairement.

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Leur auto-exil a duré près de 10 mois, alors qu’ils se dispersaient dans la région, trouvant des refuges provisoires – pour eux et pour leurs animaux – près de ad-Dahariya, la ville du district. «Nous pensions que les choses seraient plus calmes», explique le chef du conseil. Mais les colons les ont également persécutés dans leurs nouvelles habitations. Des avant-postes de colons – Havat Mor, Tene Omarim, Havat Yehuda – se trouvent à proximité de chaque abri temporaire trouvé par les villageois de Zanuta. Les colons de ces avant-postes ont continué à rendre misérable la vie des Palestiniens, contraints à cette diaspora temporaire. Ceux qui se sont retranchés à côté du point de contrôle de Meitar [localité israélienne située au sud du mont Hébron] ont également été harcelés sans relâche par les soldats, à toute heure du jour et de la nuit.

De temps en temps, depuis la route, ils contemplaient leur village abandonné. Mais ils n’osaient pas s’en approcher. A un moment donné, les colons ont tenté de dresser une clôture autour du village afin de bloquer l’accès aux maisons et aux propriétés, mais les villageois ont obtenu une décision de justice pour lever ce nouvel obstacle. Peu à peu, cependant, ils ont assisté à la destruction de leur village.

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Cela a commencé en décembre 2023, lorsqu’environ la moitié des structures, soit une trentaine, ont été vandalisées. L’étape finale a eu lieu ces dernières semaines, après que la Haute Cour de justice a accepté, en partie, la requête des villageois et a statué que l’Etat devait leur permettre de retourner chez eux et les protéger, ainsi que leurs biens. C’était à la fin du mois de juillet.

L’Etat a demandé un délai pour appliquer l’ordonnance et, au cours des semaines qui ont précédé le début du retour, la démolition du bâti villageois a été presque entièrement achevée. Faiz Haderath estime qu’environ 90% des structures du village ont été détruites. Ces quelques semaines d’août 2024 ont également été marquées par la destruction des poteaux d’éclairage à énergie solaire du village, qui n’a pas d’électricité, et par la coupe des 40 derniers oliviers.

Pourtant, les villageois étaient consternés par la gravité des dégâts lorsqu’ils sont revenus il y a deux semaines et demie, le 21 août. Entre-temps, seuls les hommes sont rentrés, avec les moutons; ils n’osent pas encore ramener les femmes et les enfants, ainsi qu’une partie du bétail. «Il n’est pas question que les femmes et les enfants soient ici – seulement les hommes et les moutons», affirme Faiz Haderath. Cette semaine, il n’était pas clair si les enfants se rendraient à l’école à Dahariya ou s’ils seraient transportés par bus jusqu’aux décombres de leur école dans le village.

Les colons n’ont pas relâché leurs efforts, comme le montre le massacre de la brebis. Ils viennent tous les jours au village pour intimider, harceler, maudire et menacer. Lundi dernier, nous avons vu leur drone planer au-dessus du village. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un oiseau de proie. Les drones effraient les moutons et les chèvres, les animaux se mettent à courir pour essayer de s’échapper. Dans le passé, les villageois ont déposé des plaintes auprès de la police, mais ils ne l’ont pas fait depuis leur retour, ayant perdu l’espoir que les autorités agissent.

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Cependant, la semaine dernière, l’avocat des villageois, le Dr Quamar Mishirqi-Assad – de l’ONG Haqel: In Defense of Human Rights [ONG, composé de Juifs et Palestiniens, créée en 2016, défendant en priorité les paysans palestiniens contre les occupations de terres] – a envoyé une lettre insistante aux forces de défense israéliennes et à la police israélienne. Elle soulignait que malgré la décision de la Haute Cour de justice selon laquelle l’Etat doit assurer la sécurité des villageois et empêcher l’entrée des colons, ces derniers persistent dans leurs provocations quotidiennes. Enumérant une longue liste d’infractions, Quamar Mishirqi-Assad demande qu’une force de police soit affectée au village compte tenu des menaces explicites faites aux bergers de les tuer s’ils reviennent et restent. Aucune réponse n’a été reçue à cette lettre. Et il est peu probable qu’il y en ait une!

Mais le calvaire des villageois ne s’arrête pas là. Depuis leur retour, l’administration civile refuse de leur permettre de reconstruire leurs maisons. Retourner, oui, mais dans des ruines. Il est même interdit de tendre une toile sur les débris, pour remplacer le toit et se protéger du soleil. Les colons viennent tous les jours et photographient chaque changement que les villageois osent faire; immédiatement après, le personnel de l’administration civile arrive pour confisquer le matériel et démolir.

C’est ce qui est arrivé, par exemple, à la clôture érigée par Mohammed Thal, un gardien de chèvres. La clôture a été arrachée et confisquée par les autorités militaires israéliennes environ une heure après la visite des colons à la fin du mois d’août. Un grand nombre de soldats ont été amenés pour s’occuper de la clôture. «Pourquoi le déploiement d’une telle force? Pour s’emparer de six poteaux de fer et d’un grillage? Plus de 30 soldats pour six poteaux et un grillage?» Les villageois sont trop effrayés, y compris pour ramasser les objets qui traînent sur le sol. Les «honorables colons», chargés dès lors de faire respecter la loi (!), vont se manifester, prendre des photos, dénoncer les villageois, puis leurs collègues de l’administration civile vont débarquer et semer la destruction. C’est ainsi que les choses se passent dans les collines du sud d’Hébron.

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Le porte-parole de l’administration civile a fait la déclaration suivante à Haaretz cette semaine: «Comme l’ont déclaré les autorités locales, la zone en question n’est pas une zone militaire close et le retour de ses habitants n’est pas interdit. A la suite des audiences de la Cour et de son arrêt, les Palestiniens sont retournés à Khirbet Zanuta… Au cours de leur retour, des officiers de Tsahal et en particulier des officiers de l’Administration civile ont été déployés pour garantir la sécurité et l’ordre public dans la zone. Il convient de noter que les Palestiniens ont érigé un certain nombre de structures illégales et que des mesures ont été prises à leur égard, conformément à la loi.» […] «Nous soulignons que, depuis leur retour sur le site, nous n’avons reçu aucune plainte concernant des Israéliens causant des dommages sur ce site, et donc, cette allégation n’est pas connue. Les FDI agissent afin de permettre à tous les habitants de la région de vivre en toute sécurité.»

Nasser Nawaj’ah, chercheur auprès de B’Tselem, souligne: « Le tribunal a dit que les villageois devaient rentrer chez eux. Comment se fait-il que le tribunal ordonne leur retour et que l’administration civile dise qu’ils ne peuvent pas poser une pierre sur une autre? L’Etat n’a pas protégé les habitations et maintenant il n’autorise pas leur reconstruction. En fait, l’Etat leur dit: « Retournez au village et mourez sous les décombres. Retournez au village et mourez sous le soleil.»

Mohammed Thal, le gardien de chèvres, dont le troupeau compte 300 bêtes, nous a parlé des différences entre les chèvres et les moutons. «Le lait de chèvre est meilleur que le lait de brebis, et le fromage est également meilleur. Mais les chèvres posent plus de problèmes». Le chef du conseil de village Faiz Haderath ajoute: «Les chèvres sont comme les colons. Les moutons ne font pas de dégâts, les chèvres si. Mais j’ai reçu des chèvres de mon père, qui les avait reçues de mon grand-père, alors je ne peux pas m’occuper des moutons, seulement des chèvres.»

Article publié dans Haaretz du 6 septembre 2024; traduction rédaction A l’Encontre.

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