Le 14 mai, la direction de Vetropack, dernière verrerie de Suisse qui recycle environ 25% du verre du pays, annonçait la fermeture de son site à Saint-Prex avec la suppression des 182 emplois. Entre enjeux syndicaux et écologiques, le cas de Vetropack illustre les apories d’un système capitaliste uniquement aiguillonné par la croissance de profits, mais également la capacité des travailleur·euses à proposer des solutions innovantes de manière autonome. Entretien avec Nicole Vassalli, responsable du secteur industrie chez UNIA et Thierry (nom d’emprunt), travailleur chez Vetropack.
Le 30 avril, vous avez remis un rapport de plus de 50 pages avec des propositions concrètes pour sauver l’entreprise. Comment s’est constitué le groupe de travail qui l’a rédigé?
Thierry: Ce groupe était constitué d’une dizaine de travailleurs·euses qui ont été libéré·es de la moitié de leur temps de travail par la direction. Les autres collègues ont également participé en prenant du temps sur leurs pauses et leurs weekends. Nous avons contacté des ingénieur·es de l’EPFL, des fournisseur·ses, des fabricant·es et des politiques au niveau cantonal et fédéral. C’est donc un gigantesque travail à la fois scientifique et politique qui a été mené. On a vraiment fait un projet «Comment reconstruire un outil de production à Saint-Prez de A à Z». On a chiffré les investissements et les coûts de production. On leur a démontré que notre projet permet de faire des économies et donc de faire plus de profits. L’argument que la direction n’a pas cessé de marteler pour justifier la fermeture du site est qu’il est moins rentable que ceux à l’étranger.
Tout ceci en très peu de temps finalement. Vous n’avez eu que globalement deux mois pour faire un travail qui peut normalement s’étaler sur une année entière.
T: Surtout qu’au début, la direction nous a refusé l’accès à leurs données et à leurs scénarios. Elle nous a dit que quoi qu’on fasse, ce ne serait pas rentable de maintenir le site de Saint-Prex. On a demandé à voir les rapports sur lesquels elle se basait. La direction a finalement lâché un petit document qui ne contenait presque rien et ont mis des semaines à répondre à nos questions.
Ensuite, il faut savoir que la construction d’un nouveau four, ce n’est pas notre domaine. Le four actuel date de 2006. Sa durée de vie est de dix ans, donc on aurait dû le changer en 2016. Cette année, des travaux ont été effectués pour le maintenir jusqu’en 2026. On a dû énormément discuter avec des expert·es, faire des recherches sur internet, lire des rapports. Une fois nos propositions remises, la direction est encore venue chercher la petite bête. On a donc réécrit aux fournisseur·ses. Certain·es ont collaboré, mais d’autres ont eu peur de se mettre la direction à dos et nous ont uniquement fourni ces informations par oral. Nous n’avons pas le droit de discuter du prix avec des fournisseur·ses, c’est du ressort du département technique.
Lors de la présentation du projet, la direction nous a pris pour des expert·es en rentrant dans les détails ! On a effectivement chiffré une très grosse partie des dépenses. Avec les 37000 mètres carrés de toit pour mettre des panneaux solaires, on a également calculé la récupération d’énergie possible. On a vraiment regardé tout ce qu’on pouvait faire sans toucher aux salaires. Nous sommes arrivé·es à la proposition de baisser les effectifs de 5% via des plans de pré-retraites à 62 ou 63 ans. Mais ce qui nous intéressait surtout, c’était comment économiser et récupérer l’énergie. D’ailleurs dans notre projet, on a proposé la solution adoptée par une autre usine de Vetropack avec laquelle on a eu des contacts. On a également évoqué le développement d’un nouveau modèle de production et on a réussi à savoir qu’une nouvelle machine allait sortir cette année. La direction, dans son rapport, a indiqué qu’il s’agissait d’une machine en cours de développement, alors qu’on a réussi à avoir la date de commercialisation directement avec le fabricant ! Pour dire qu’iels ont des soi-disant expert·es qui se sont penché·es sur notre dossier, ça fait rire !
Nicole : Ce qui était formidable dans ce processus, en plus du fait de produire un document solide, c’était de voir le changement que cela a induit chez les travailleur·euses. Au début, iels étaient frileux·ses à l’idée de contacter des expert·es ou de fournisseurs·euses en disant que c’était au manager de le faire. À la fin, iels étaient totalement à l’aise.
Au vu de soutien politique exprimé aux niveaux communal, cantonal et fédéral, de la solidarité des habitant·es de Saint-Prex, de la presse, et des enjeux liés à la décarbonation, avez-vous discuté de la réquisition de l’entreprise ?
T: Pour rigoler, j’ai dit au groupe de travail qu’on pourrait les exproprier! J’ai lancé l’idée en disant qu’une fabrique de verre est d’une importance stratégique pour l’État. On l’a vu pour le covid. On a été en manque de tout. À l’époque, notre directeur était venu en nous demandant si on avait l’outillage pour produire des petites fioles pour mettre du désinfectant. Fermer la dernière usine de verre en Suisse, est-ce un risque stratégique pour le pays ? J’ai envie de dire que oui.
On pourrait racheter l’entreprise, mais le problème c’est le coût. Il faudrait investir pour un nouveau four à fusion et la rénovation de l’outillage et des deux lignes de production, qui datent de 2012. La direction a beaucoup laissé aller les choses. Donc c’est compliqué vu les coûts que cela implique. On sait que la direction a eu des propositions de subventions mais sans savoir lesquelles. Dans notre projet, nous avons également pris en compte le fait qu’avec l’entrée en matière de la loi CO₂ début 2025, l’entreprise aurait très certainement pu bénéficier de subsides.
Est-ce qu’une alliance avec d’autres secteurs processionnels est envisageable ? Par exemple, avec les vigneron·nes ?
T: Vetropack fournit environ 70% du marché du vin et un petit peu de bouteilles de bière. Les petit·es vigneron·nes n’achètent pas assez de volume pour se fournir chez nous. Dans notre projet, on avait justement prévu une machine qui fasse de la petite production pour récupérer ces client·es qui sont basé·es dans le Lavaux, sur la Côte, à Neuchâtel! Bref, pour favoriser le circuit court. Pour certain·es vigneron·nes qui se fournissent à l’étranger, cela ne change rien. Certain·es au contraire veulent une bouteille suisse pour un produit suisse.
En Suisse, on est dans un paradigme extrêmement libéral, sans vision stratégique industrielle : que produit-on et où le produit-on. Avez-vous proposé des idées pour le futur de l’entreprise ?
T: Oui, on y a réfléchi. On parle de recyclage, de circuit court. Pourquoi ne pas faire une station de lavage pour les bouteilles sur le site de Vetropack ? On du terrain et une machine de contrôle pour les bouteilles. On s’est un peu renseigné, et ça demande surtout des terrains, mais c’est possible suivant le volume.
Et même ce projet de lavage a été rejeté par la direction ?
T: On ne l’a pas présenté parce qu’on s’est dit que cela demandait de la place, de nouvelles infrastructures et beaucoup d’argent. La direction voulait un projet avec un minimum d’investissement. On a donc minimisé les investissements, tout en ayant le projet le plus rentable et le plus écologique possible. On aurait pu proposer un four avec de l’hydrogène, plus écologique, plutôt que de l’oxygène mais cela coûte cher. Mais le projet est facilement adaptable à l’hydrogène. En plus, dans ce dernier, il y avait la possibilité de faire de la récupération de chaleur pour du chauffage à distance.
Et pour la suite ?
N: On a demandé le maintien des emplois avec le futur repreneur, s’il y en a un. À ce qu’il n’y ait pas de licenciement avant la fin des négociations et un plan social digne de ce nom. Il faut récompenser les longues carrières des travailleur·euses qui ont donné leur santé et qui considèrent cette entreprise comme la leur. Il y a plein de dysfonctionnements qu’iels ne dénoncent pas: les heures supplémentaires, les plannings qui changent constamment. Ils et elles l’acceptent. C’est maintenant à l’employeur de faire sa part.
Pour finir, j’aimerais revenir sur le cas de Micarna. Contrairement à Vetropack, l’industrie de la viande est en partie vouée à disparaître ou à être fortement réduite pour des raisons climatiques. Comment faire le lien entre ces deux situations ?
N: Micarna est un cas, du point de vue syndical, complétement différent : on n’a pas lutté pour sauver les emplois. Les travailleur·ses non plus. C’était une lutte pour le respect et pour être reconnu·es de la direction. Cette dernière voulait centraliser la production sur un autre site, ce que les travailleur·euses n’ont pas contesté, car un autre service allait être créé à Écublens à la place par Migros. Donc, il n’y aurait pas forcément de perte de places de travail. En revanche, il y aura une perte d’emplois pour les travailleur·euses concerné·es.
Ce qui a déclenché la grève à Micarna était le manque de considération, alors qu’à Vetropack c’était vraiment pour un sauvetage des emplois. À Micarna, on a demandé, en plus de l’application du plan social, qui est par ailleurs pourri, l’application de mesures supplémentaires. UNIA n’a jamais été reconnu comme syndicat sur le site de Micarna. Migros a depuis changé son plan social au niveau national. On pense que c’est grâce à la mobilisation chez Micarna que l’entreprise a fait cela.
Propos recueillis par Térence Durig, publié par Solidarités.