L’Argentine vit le premier semestre du gouvernement d’ultra-droite de Javier Milei, qui vise à porter un coup définitif à la classe ouvrière et à restructurer le capitalisme argentin pour relancer l’accumulation, dans un contexte de crise généralisée. S’il réussit, cela pourrait se traduire par une défaite à long terme du mouvement populaire.
Depuis le début de son mandat, le gouvernement n’a pas été en mesure de se stabiliser pour mener à bien les aspects structurels de son programme. Il a produit un ajustement féroce des prestations de l’État et un effondrement de 20 % des salaires réels des travailleurs enregistrés entre décembre et mars, laissant le salaire formel moyen en dessous du panier de biens de base d’une famille typique. La situation de la moitié de la classe ouvrière argentine, qui occupe des emplois non déclarés, est encore pire. La pauvreté a atteint 41,7 % en décembre, selon les données officielles, et serait passée à 51,8 % au premier trimestre 2024. Cependant, le radicalisme de son programme et l’incapacité à harmoniser les volontés des secteurs politiques qui soutiendraient certaines des réformes structurelles ont jusqu’à présent empêché qu’elles soient adoptées par le parlement. Le 1er mars, dans son discours inaugural lors de l’ouverture des sessions du Congrès, le président a exprimé son intention de changer de tactique en faveur d’une plus grande flexibilité afin de générer des accords permettant le vote des réformes, ce qui n’implique pas, en principe, l’abandon effectif de leur radicalisme.
Depuis lors, le gouvernement a tenté de parvenir à un consensus sur au moins certaines des mesures et a réussi à faire voter par la chambre des députés une version partielle du projet de loi fondateur de son mandat (un projet de loi qui n’avait pas pu être promulgué en février). Toutefois, le vote nécessaire du Sénat et sa promulgation ne sont pas encore assurés, même si l’on peut s’attendre à ce qu’ils soient atteints, moyennant quelques modifications supplémentaires.
Les résistances populaires sont réelles
D’autre part, bien que le peuple argentin ait été démobilisé ces dernières années, depuis les premières mesures gouvernementales, une série de protestations de différentes natures ont eu lieu, culminant avec l’énorme mobilisation nationale du 23 avril en défense de l’université publique (qui, en Argentine, est accessible sans restriction ni frais). Plus d’un million et demi de personnes se sont mobilisées dans tout le pays, issues de secteurs hétérogènes, tant sur le plan économique que politique, avec toutefois une forte présence des classes moyennes. Il s’agit probablement de la plus grande manifestation de la dernière décennie, et la protestation a également été légitimée par les grands médias et les secteurs politiques qui observent passivement ou même soutiennent le gouvernement.
Alors que le projet de loi comprenant une réforme régressive du travail et un régime favorisant les grands investissements sans aucun avantage pour la population était en cours d’examen au parlement, les confédérations syndicales ont appelé à une manifestation le 1er mai et à une grève nationale le 9 mai. La manifestation du 1er a été unitaire et a connu une participation massive, essentiellement syndicale. La grève du 9 a été bien suivie, bien qu’il soit difficile d’en mesurer l’ampleur et d’en tirer des conclusions. Cependant, le discrédit des directions syndicales et l’absence de manifestation dans la rue ont atténué l’impact que la grève du 9 mai aurait pu avoir sur les politiciens qui doivent voter pour ou rejeter la loi du gouvernement.
Le scenario est encore ouvert. Le gouvernement peut ou non se stabiliser et même s’il se stabilise, il n’est pas certain qu’il puisse surmonter les énormes difficultés macroéconomiques du pays, y compris en s’attaquant brutalement aux conditions de vie de la classe ouvrière. Mais aucune issue ne sera favorable pour le peuple si elle n’est pas le produit d’une vague de protestations de rue qui inverse le climat de démobilisation imposé ces dernières années.
Le 15 mai, traduction de Fabrice Thomas.