La confusion absurde entre antisémitisme et critique antisioniste de la politique israélienne est une affirmation du gouvernement israélien largement reprise par la droite et l’extrême droite en Suisse. S’y ajoute, de la part du Conseil fédéral, une sympathie non dissimulée pour le gouvernement israélien malgré l’apartheid et le génocide exercés contre les Palestinien·nes.
La classe dominante, en Suisse, imagine ainsi libérer sa conscience – si tant est qu’elle en a une – du fardeau de deux siècles d’antisémitisme de la Suisse moderne. Alors que la France, par la Révolution de 1789, a reconnu aux juifs la citoyenneté et l’égalité des droits, la Suisse a au contraire beaucoup tardé à les leur accorder. Avant 1866, les juifs résidant en Suisse n’étaient pas libres de changer de domicile et étaient donc privé·es du droit humain d’établissement. La liberté de culte et de conscience pour les non-chrétiens n’a été accordée qu’en 1874.
L’antisémitisme historique de la Suisse
En 1893, à l’occasion d’une votation populaire, l’abattage rituel a été interdit par une disposition introduite dans la Constitution fédérale. Il s’agissait d’une décision purement antisémite, à une époque qui ne connaissait pas la sensibilité d’aujourd’hui au bien-être des animaux.
Dans les années 1930-1940, la politique du Conseil fédéral était ouvertement antisémite. L’accueil des juifs persécuté·es par le fascisme et le nazisme devait être – au mieux – temporaire. « La barque est pleine », « éviter l’enjuivement de la Suisse », tels étaient alors les mots d’ordre officiels.
En 1938, sur proposition du Conseil fédéral, l’Allemagne nazie appose la lettre « J » sur les passeports des juifs.
En 1942, le génocide des juifs se poursuit à plein régime, mais le Conseil fédéral le sait et décide de fermer complètement les frontières suisses aux réfugié·es juifs. Ainsi, des centaines de milliers de juifs n’ont pas pu se rendre en Suisse ou ont été refoulé·es à la frontière ou encore ont été expulsé·es. Ils ont terminé leurs vies dans des camps de concentration. Il n’est pas exagéré de considérer que la Suisse s’est rendue ainsi complice du génocide de la Shoa.
Le retour de bâton
Pendant les années 1930 à 1945, beaucoup de juifs ont placé des sommes importantes dans les banques suisses et sont décédés ensuite dans les massacres de la Shoah. Alors que la Suisse s’était engagée à restituer ces fonds en déshérence aux héritier·es, les banques suisses, pendant de longues années, ont fait valoir leur secret bancaire pour s’opposer aux restitutions. Au cours des années 1990, du fait d’une campagne du Congrès juif mondial, soutenue par le gouvernement des États-Unis, la Suisse s’est trouvée en situation d’accusée d’une grave spoliation au préjudice des victimes de la Shoa.
Dans un premier temps, la Suisse officielle, Conseil fédéral en tête, défend les banques et dénonce l’agressivité et la cupidité des organisations juives. Mais la pression internationale, surtout celle des Etats-Unis, devient trop forte. Le Conseil fédéral et le Parlement crée alors la Commission Bergier, chargée d’une enquête historique sur la collaboration de la Suisse avec l’Allemagne nazie pendant la Deuxième Guerre mondiale.
En janvier 1997, un entretien avec le Conseiller fédéral Delamuraz est publié par 24 heures. Les propos du ministre reflètent un antisémitisme décomplexé en accusant les organisations juives de chantage et de demande de rançon. Le journal Le Matin publie peu après des dizaines de lettres de lecteurs, dont la majorité exprime un antisémitisme affiché et soutient le « cri du cœur » de Delamuraz.
Toujours complices
Actuellement, le Conseil fédéral, après avoir pris fait et cause pour Israël en octobre 2023, s’aligne sur les positions des États-Unis et des puissances occidentales, interrompt son financement à l’UNRWA, poursuit sa collaboration militaire avec Israël, ménage le gouvernement Netanyahou et garde le silence sur le génocide en cours à Gaza. Il prend ainsi l’exact contrepied de l’Afrique du Sud, qui a eu le courage et l’intelligence de saisir avec une grande pertinence la Cour internationale de justice pour interdiction d’un génocide en plein accomplissement.
La classe dirigeante en Suisse, soucieuse de protéger au mieux ses banques, ses sociétés d’assurances et ses entreprises de pointe fait ainsi des choix égoïstes, bornés et dénués de tout scrupule. Pendant ces deux derniers siècles, elle a régulièrement cultivé l’antisémitisme. Aujourd’hui, elle se tait face à un génocide en cours, comme elle s’est tue pendant les années 1939-1945. Plutôt que de donner une prétendue leçon d’antisémitisme à celles et ceux qui se solidarisent avec les victimes, elle ferait mieux d’observer son propre visage dans les miroirs de l’histoire et du droit international.
Le 2 avril 2024