Tribuen unitaire publiée par Libération. «Notre modèle ne doit plus être celui de bases militaires telles qu’elles existent aujourd’hui.» Il y a un an, le 27 février 2023, Emmanuel Macron annonçait depuis l’Elysée vouloir tenir compte des «bouleversements» et «transformations profondes» auxquels la France était confrontée sur le continent africain. La politique africaine de la France est en effet confrontée à une vague sans cesse croissante de rejet de la part des citoyens et citoyennes d’Afrique francophone, en particulier son volet militaire, après le fiasco de la «guerre contre le terrorisme» et de l’opération Barkhane qui a davantage contribué à complexifier la crise sahélienne qu’elle n’a aidé à la résoudre. Dans son grand discours de politique africaine, le président cherchait donc l’an dernier à promouvoir «un nouveau modèle de partenariat militaire» qui permettrait de «déployer sous forme partenariale notre présence sécuritaire».
Le droit international instrumentalisé et dévoyé
«Demain, assurait Emmanuel Macron dans ce même discours, notre présence s’inscrira au sein de bases, d’écoles, d’académies qui seront cogérées, fonctionnant avec des effectifs français qui demeureront, mais à des niveaux moindres et des effectifs africains qui pourront aussi accueillir, si nos partenaires africains le souhaitent et à leurs conditions, d’autres partenaires.» En apparence nouvelle, l’idée ne fait que s’inscrire dans une lente évolution du maillage militaire français en Afrique depuis les indépendances. La réduction progressive des effectifs a en effet toujours été compensée par l’évolution des moyens d’intervention et la rapidité de déploiement à partir de quelques points d’ancrage, permettant des dizaines d’opérations extérieures. Rien que ces deux dernières décennies, le bilan est effarant. Tout en se défendant de jouer encore le «gendarme de l’Afrique», et n’hésitant pas à instrumentaliser et dévoyer le droit international, la France a maintenu une partition de fait puis installé un régime fragile en Côte-d’Ivoire, distillé le chaos en Libye, dont l’effondrement a ensuite contribué à déstabiliser l’arc sahélien, et cherché à imposer ses solutions en Centrafrique. Systématiquement présentées comme vertueuses et réussies au plan militaire, les interventions et ingérences françaises ont toujours aggravé les crises dont Paris disait s’émouvoir.
La réforme de façade du franc CFA en Afrique de l’Ouest
Aujourd’hui, concéder quelques menues évolutions relève d’une stratégie maintes fois éprouvée dans la longue histoire de la Françafrique : cela permet de conserver ce qui est jugé essentiel à la «grandeur» de la France et à la défense de ses intérêts, c’est-à-dire les leviers d’influence et d’ingérence hérités de la période coloniale. C’est d’ailleurs exactement ce qu’Emmanuel Macron a fait il y a quatre ans avec une réforme de façade du franc CFA en Afrique de l’Ouest, dans laquelle la suppression revendiquée de quelques «irritants» visait à désarmer toute critique de l’ensemble de ce système monétaire emblématique de l’ingérence française en Afrique.
Le «nouveau» partenariat militaire, l’armée française au Niger était censée l’illustrer depuis quelques mois. Celle-ci n’agissait plus, nous disait-on, qu’avec discrétion et sous les ordres de ses partenaires africains. Discrète, elle l’était : officiellement, il n’y avait plus d’opération extérieure au Sahel depuis novembre 2022, malgré la présence de 2 500 militaires au Niger et au Tchad. Celle-ci relevait de la notion juridiquement floue de «partenariats militaires opérationnels» permettant de contourner le faible contrôle parlementaire prévu par la Constitution.
Le putsch survenu fin juillet au Niger a rapidement fait tomber les masques. Au terme d’un bras de fer entre la diplomatie française et les nouvelles autorités nigériennes de fait, l’état-major a finalement été contraint d’organiser le retrait des troupes françaises. Et si le putsch intervenu au Gabon fin août n’a eu finalement aucune incidence sur la base française dans ce pays, l’événement a été perçu en France comme une possible nouvelle onde de choc.
En l’espace de quelques mois, après le Mali et le Burkina Faso, le Niger est le troisième pays à avoir exigé le départ de l’armée française, en dépit des menaces et des représailles diplomatiques (suspension des visas, gel brutal de projets de coopération, etc.). Ces dernières punissent collectivement les sociétés de ces trois pays, entravant des actions de solidarité internationale et les libertés individuelles et collectives, notamment celle de circuler. Quoi qu’on pense des nouveaux gouvernements à la tête de ces Etats, il est incontestable que l’exigence d’en finir avec l’ingérence française est partagée par les citoyens et citoyennes des pays africains, qui aspirent à une véritable souveraineté. Au Tchad, dernier pays sahélien dans lequel des forces françaises sont présentes en nombre, les voix de l’opposition démocratique se font également entendre, malgré les risques qu’elles encourent, pour demander le retrait de l’armée française qui soutient la dictature du fils Déby après avoir soutenu celle du père.
En finir avec l’ingérence militaire française
Dans les autres pays où la France conserve une enclave de souveraineté militaire sous la forme de bases permanentes, en Côte-d’Ivoire, au Gabon, au Sénégal et à Djibouti, mais également dans les pays voisins, ces mêmes exigences sont portées par un large arc de forces politiques, syndicales ou associatives. Comme elles, nous affirmons qu’il est temps d’en finir définitivement avec l’ingérence militaire française.
Chez l’exécutif et certains parlementaires français, le putsch au Niger a fait naître la crainte qu’une cogestion de ces bases militaires, même de façade, n’entrave la liberté de manœuvre de la France – c’est dire la certitude très coloniale avec laquelle le sujet est abordé – voire expose celle-ci à une insupportable instabilité. Pour notre part, que le projet de réforme des bases militaires aboutisse ou non, nous ne nous en satisferons pas. Les justifications officielles successives au maillage militaire français en Afrique, dont la «guerre contre le terrorisme» depuis une douzaine d’années ou les enjeux de verrouillage des routes migratoires, ont progressivement anesthésié tout débat public sur une vieille revendication anticoloniale, au risque de bientôt considérer comme «naturelle» et indépassable cette présence des armées françaises.
Si l’idée à la tête de l’Etat a toujours été de rester militairement présents sur ce continent, nous disons à l’inverse à l’armée française en Afrique qu’il est largement temps de partir. Il est temps que les bases militaires françaises soient purement et simplement démantelées, que les opérations extérieures prennent fin, que la coopération militaire avec les régimes autoritaires cesse. Nous n’avons pas la naïveté de croire que cela serait suffisant pour que l’Afrique se dégage des multiples formes de domination que lui imposent notre pays, l’Occident en général et ses concurrents impérialistes (Chine, Russie, Turquie ou autres) : nos organisations sont pleinement engagées dans de multiples formes de solidarité avec les mouvements sociaux sur place et dans des mobilisations contre le franc CFA, la dette, les accords de libre-échange, le pillage par les multinationales et l’évasion fiscale, les politiques migratoires criminelles, etc. Mais un agenda de retrait militaire total serait un pas concret en direction d’une véritable décolonisation.
Parmi les signataires : Boris Plazzi en charge des questions internationales au bureau confédéral de la CGT Jérôme Bonnard secrétaire national de l’Union syndicale Solidaires Benoît Teste secrétaire général de la FSU Sylvie Colas secrétaire nationale de la Confédération paysanne Ariane Anemoyannis porte-parole du Poing Levé Laurence Boffet porte-parole d’Ensemble ! Vincent Boulet responsable du secteur international du PCF Merlin Gauthier président de PEPS Anasse Kazib porte-parole de Révolution Permanente Christine Poupin porte-parole du NPA Marina Verronneau responsable de l’international au Bureau Exécutif d’EELV Lou Chesné porte-parole d’Attac Yvette Dugas secrétaire générale du CADTM France Gustave Massiah économiste, Cedetim Michèle Leclerc-Olive présidente de Corens (Hauts-de-France) et de Cibele (Ile-de-France) Céline Méresse présidente du Crid Augusta Epanya coordinatrice de la Dynamique Unitaire Panafricaine Camille Gourdeau co-présidente de la Fasti François Sauterey co-président du Mrap Martine Boudet Rejoignons-Nous Emmanuel Charles co-président de Ritimo Patrice Garesio co-président de Survie Olivier Besancenot ancien candidat à l’élection présidentielle Jean-Paul Lecoq député de Seine-Maritime Gérard Tautil co-fondateur du Partit Occitan.