La guerre à Gaza se poursuit, avec son cortège d’horreurs, mais aussi avec des mobilisations de solidarité importantes et une résistance significative en Palestine. Gilbert Achcar aborde cette situation et les pistes pour construire une résistance face à Israël et ses complices, l’extrême droite et l’impérialisme.
Dans quelle phase de l’intervention Israélienne sommes-nous maintenant ?
Les choses sont relativement claires à la lumière des rapports militaires des forces d’occupation. La phase de bombardement la plus intensive est terminée pour le nord et elle est en cours d’achèvement pour la partie sud. Dans la moitié nord et au centre, les forces d’occupation sont passées à la phase ultérieure, celle d’une guerre dite de basse intensité. En réalité ils organisent un quadrillage complet des zones qu’ils ont occupées afin de détruire le réseau de tunnels et rechercher les combattants du Hamas et d’autres organisations qui sont toujours embusqués et peuvent surgir à tout moment, tant que les tunnels existent.
Les forces israéliennes sont de plus sous pression internationale, américaine notamment, pour passer à cette phase de combat dite de basse intensité. Mais ce nom est trompeur parce qu’en réalité la basse intensité se limite aux bombardements. Le nombre de missiles et de bombardements par avions et drones va diminuer puisqu’il n’y a plus grand-chose à détruire à Gaza. Ils vont passer à des interventions ponctuelles contre les groupes de combattants qui émergent ici ou là.
Ce qui a suivi le 7 octobre était une campagne absolument ravageuse de bombardement, qui a pris des proportions génocidaires : la destruction de fond en comble d’une vaste zone urbaine aboutit inévitablement à l’extermination d’un nombre incroyable de civils. Plus de 1 % de la population de Gaza a été tuée. Cela correspondrait pour la France au chiffre effrayant de 680.000 morts !
À cela s’ajoute l’expulsion de 90 % de la population de ses lieux de résidence. Une bonne partie de la droite israélienne – qui est une extrême droite, dans un pays où la gauche sioniste a été laminée – voudrait les expulser du territoire de Gaza vers l’Égypte ou ailleurs. Israël veut s’assurer du contrôle militaire total du territoire, mais c’est une vue de l’esprit : ils n’y arriveront jamais à moins précisément de mettre tout le monde dehors. Tant qu’il y aura une population à Gaza, il y aura une résistance à l’occupation.
La baisse en intensité des bombardements sur Gaza permet d’autre part à Israël de hausser le ton face au Liban, face au Hezbollah. Les dirigeants sionistes misent sur le fait qu’une partie du pays peut être détachée du Hezbollah pour des raisons confessionnelles et politiques. Les menaces s’accroissent de jour en jour avec une forte pression pour que le Hezbollah se retire au nord, à une distance de la frontière qu’Israël jugerait acceptable. Faute de quoi, Israël menace de faire subir le sort de Gaza à une partie du Liban, autrement dit de raser les régions où le Hezbollah est en position de force dans la banlieue sud de la capitale, au sud du pays, et également à l’est dans la Bekaa.
Quel est l’état de la résistance militaire en Palestine ?
À Gaza, une résistance peut continuer dans les zones dévastées tant qu’il y a les tunnels. Une sorte de ville souterraine a été construite pour les combattants. C’est comme un réseau de métro, mais la population gazaouie ne peut pas s’y réfugier, contrairement à ce qu’on a pu voir en Europe durant la Seconde Guerre mondiale ou comme on le voit aujourd’hui à Kiev, en Ukraine. Les tunnels creusés par le Hamas sont à l’usage exclusif des combattants.
Des roquettes continuent à être lancées de Gaza sur les agglomérations israéliennes, le Hamas et d’autres groupes essayant de montrer ainsi qu’ils sont toujours actifs. Éradiquer le Hamas et toute forme de résistance à Gaza est un objectif impossible à atteindre.
C’est ce qui amène l’extrême droite israélienne à dire qu’il faut vider le territoire de sa population, l’annexer, réaliser le Grand Israël du Jourdain jusqu’à la mer et vider tout ce territoire des Palestinien·nes. L’extrême droite israélienne, Likoud y compris, aspire à cela. Netanyahou affiche un positionnement officiel plus ambigu du fait de sa position de Premier ministre, mais il n’arrête pas de faire des clins d’œil à cette perspective extrémiste.
En Cisjordanie, la différence avec Gaza est que l’autorité palestinienne – qui est en charge des zones de peuplement palestinien en Cisjordanie – est exactement dans la position de Vichy par rapport à l’occupation allemande. Mahmoud Abbas est le Pétain des Palestiniens. Il existe en Cisjordanie des organisations prônant la lutte armée telles que le Hamas ou d’autres, mais ce qui a le plus attiré l’attention au cours de la dernière année, c’est l’émergence de nouveaux groupes de jeunes qui ne sont affiliés ni au Fatah, ni au Hamas, ni à aucune des organisations traditionnelles. Dans certains camps de réfugiés ou certaines villes, comme à Jénine et à Naplouse, ils se sont constitués en groupes armés et ont mené des opérations ponctuelles contre les troupes d’occupation, ce qui a entraîné des représailles massives.
Depuis le 7 octobre, les troupes d’occupation se sont engagées en Cisjordanie dans une campagne de ratissage, un remake de la « bataille d’Alger », avec en plus le recours à l’aviation pour la première fois depuis 2001. À cela s’ajoute l’action des colons sionistes qui harcèlent et tuent. À l’heure où nous parlons, il y a eu environ 300 morts en Cisjordanie. Ce n’est pas comparable à l’hécatombe, absolument terrible, perpétrée à Gaza, mais l’extrême droite israélienne souhaite répéter celle-ci en Cisjordanie à la première occasion. Cela dit, contrairement à ce que le Hamas espérait, il n’y a pas eu d’embrasement généralisé avec un soulèvement de la population palestinienne en Cisjordanie et à l’intérieur de l’État d’Israël en réponse à l’appel du mouvement islamique. La raison en est que la population de Cisjordanie est consciente de la disproportion du rapport de force militaire. Contrairement aux militaires du Hamas à Gaza, où il n’y a plus de force d’occupation directe depuis 2005, la population de Cisjordanie côtoie quotidiennement les forces d’occupation et est directement confrontée à l’extrême droite et aux colons. Elle sait que ceux-ci n’attendent qu’une occasion pour refaire ce qui a été fait en 1948, c’est-à-dire terroriser les gens et les forcer à fuir hors du territoire. C’est ce qui explique que la Cisjordanie n’a manifesté que modérément sa solidarité avec Gaza.
Quel est l’état des mobilisations en Israël ?
Le 7 octobre a été un choc très fort, comme l’a été le 11 septembre 2001 aux États-Unis. Puis il y a eu une utilisation en boucle dans les médias. L’événement n’arrête pas d’être exploité, avec une série sans fin de témoignages afin d’entretenir une mobilisation revancharde de la population. C’est ce type de campagnes, aux États-Unis, qui a permis à l’équipe Bush de se lancer dans les guerres d’Afghanistan et d’Irak. Pour l’instant en Israël, cela fonctionne aussi, et la grande majorité de l’opinion judéo-israélienne soutient la guerre.
Une petite minorité antiguerre dénonce le génocide. Il faut saluer son courage, car elle se heurte à un rejet complet par son milieu social. Mais ce qui est frappant, c’est la quasi-absence de mobilisation des citoyen·es palestinien·es d’Israël, contrairement à 2021, quand il y avait eu une forte mobilisation en solidarité avec le début d’Intifada en Cisjordanie. Cela avait entraîné des réactions violentes de l’extrême droite sioniste à l’intérieur. Au vu de la haine qui s’est emparée de la population judéo-israélienne après le 7 octobre, si les citoyen·es palestinien·es avaient tenté de reproduire une telle mobilisation, les conséquences auraient été terribles.
Cette population subit un climat très intimidant, avec brimades, répression et censure qui s’abattent sur elle, aggravant leur statut de citoyens de seconde zone. Ce sont maintenant des parias aux yeux d’une grande partie de la société israélienne.
Qu’est ce qui fait que selon toi il n’y a pas plus d’action dans les pays arabes ?
J’appartiens à une génération qui a vécu la défaite de 1967 et ses lendemains, puis les années 1970 qui ont connu de très fortes mobilisations. Cette fois, il y a eu quelques grandes manifestations dans des pays arabes, mais pas plus qu’en Indonésie ou au Pakistan par exemple. En Jordanie ou au Maroc, il y a eu de grandes manifestations, mais ces pays n’ont même pas mis fin à leurs relations diplomatiques avec l’État d’Israël.
La faiblesse relative des mobilisations ne peut s’expliquer que par le poids des défaites accumulées. La cause palestinienne s’est trouvée affaiblie, notamment du fait des divisions et de l’action de l’autorité palestinienne de type vichyste, ce qui a permis à un certain nombre d’États arabes d’établir des relations diplomatiques avec Israël.
Mais il y a aussi les défaites des deux ondes de choc révolutionnaires qu’a connues la région jusqu’ici, en 2011 et 2019. Quand on observe la région aujourd’hui, le constat est triste : il ne reste presque rien des conquêtes de ces deux vagues.
Les deux derniers pays où il existait toujours des gains du mouvement populaire sont la Tunisie et le Soudan. La Tunisie est passée de la dictature de Ben Ali à celle de Kaïs Saïed, avec peut-être un aspect de « farce » venant après la tragédie. Au Soudan, les comités de résistance avaient marqué des points jusqu’à l’année dernière, lorsque les deux fractions de l’ancien régime ont entamé en avril une guerre civile impitoyable. On en parle peu dans les médias mondiaux et notamment occidentaux malgré les dizaines de milliers de morts et les millions de déplacé·es, les violences sexuelles et tout le reste : plus la couleur de peau des gens est foncée, moins on en parle. C’est une immense tragédie, à laquelle les comités de résistance n’étaient pas préparés. Ils n’ont pas de branches armées qui leur auraient permis de jouer un rôle dans une situation de ce type.
On voit concrètement l’impact des défaites depuis le « printemps arabe » : la Syrie, le Yémen la Libye, et maintenant le Soudan, sont dans des situations de guerre civile ; en Égypte, Sissi a mis en place une dictature plus brutale que celle de Moubarak dont la population s’était débarrassée en 2011, et en Algérie les militaires ont rétabli l’ordre en se saisissant de l’occasion offerte par le Covid, puis ce fut le tour de la Tunisie…
Tout ça ne crée pas un climat propice à de grandes mobilisations qui, au Caire ou dans d’autres capitales, s’en prendraient aux représentations diplomatiques d’Israël et forceraient les gouvernements à rompre leurs liens avec l’État sioniste.
Est-ce pertinent d’en conclure que si le projet de l’extrême droite sioniste se réalise, Israël va augmenter son poids dans la région ?
L’extrême droite israélienne sait que les gouvernements de la région font très peu de cas de la question palestinienne, qu’une grande partie d’entre eux a déjà noué des relations officielles avec Israël, et qu’ils s’entendent bien entre gouvernements réactionnaires. Israël n’éprouve donc pas le besoin de faire des concessions de ce côté. Ils savent que le gouvernement saoudien est hypocrite, qu’il est sur la voie d’établir des relations avec eux comme les Émirats l’ont fait. Il y a coopération sécuritaire et militaire entre eux contre leur ennemi commun, l’Iran.
L’extrême droite israélienne attire dans son giron, avec l’effet du 7 octobre, une partie de ce qui était considéré comme le centre-droit. Elle table aujourd’hui sur le fait que l’administration américaine, qui s’est fourvoyée dans un soutien inconditionnel à son entreprise contre Gaza, s’est mise dans une position d’où elle ne peut plus reculer. En effet, les États-Unis sont entrés en période électorale, les Démocrates sont donc en concurrence avec les Républicains, et Trump ne manquera pas de saisir le moindre désaccord qui pourrait surgir entre Israël et Washington pour taper sur l’administration Biden. Cette dernière est en position de faiblesse, elle s’est mise dans une position d’où elle n’est plus en mesure d’exercer une forte pression sur l’entreprise génocidaire d’Israël. Il y a beaucoup d’hypocrisie dans les discours de Blinken exhortant Israël à faire preuve d’un plus grand souci « humanitaire » : il se moque du monde, sachant que les destructions et massacres génocidaires à Gaza n’ont été possibles que grâce à l’appui américain.
Cette guerre est la première guerre conjointe israélo-américaine, la première guerre où les États-Unis sont entièrement, depuis le début, partie prenante de l’opération, de ses buts déclarés, de son armement et de son financement.
En outre, l’extrême droite israélienne et Netanyahou misent sur un retour de Trump à la présidence américaine, qui leur faciliterait grandement la tâche pour leur projet de Grand Israël.
C’est pour cela qu’ils annoncent sans cesse que la guerre va continuer durant toute l’année 2024. C’est inséparable du fait que cette année 2024 est une année électorale aux États-Unis. Ils vont exploiter cette occasion pour continuer sur leur lancée militaire. La menace est donc très sérieuse pour le Liban et pour la Cisjordanie, les deux cibles potentielles d’une prochaine campagne militaire sioniste de grande envergure. La guerre « contre-insurrectionnelle » de « basse intensité » qui est en cours en Cisjordanie peut s’amplifier et, au Liban, les échanges limités de bombardements de part et d’autre de la frontière risquent de se transformer en opération de grande envergure.
À la lumière de l’expérience des mobilisations historiques sur la guerre, que ce soit le Vietnam, l’Irak ou la première Intifada, quels sont les mots d’ordre les plus efficaces pour contrer l’offensive israélienne ? Beaucoup de gens se posent la question de comment agir puisqu’on paraît être face à un ennemi indestructible.
L’effet 7 octobre a été exploité à fond en tablant sur ce que j’avais appelé, après le 11 Septembre, la « compassion narcissique », cette compassion qui ne s’exerce que vis-à-vis des semblables. En France, le parallèle a été fait d’emblée entre la rave party de ce 7 octobre et le Bataclan, de sorte que les gens s’identifient aux Israélien·nes et mettent le Hamas dans la même catégorie que l’État islamique.
Malgré cela, on a vu dans les pays occidentaux une montée de la mobilisation de solidarité avec Gaza, qui est cependant en grande partie celle des communautés d’origine immigrée en provenance de la région arabe ou de régions en sympathie avec la cause palestinienne. Malgré la disproportion absolue de la présentation des évènements dans les médias – pour lesquels une mort palestinienne est bien moins importante qu’une mort israélienne – les gens se rendent compte de l’ampleur du génocide en cours. Mais, avec l’effet 7 octobre, l’indignation est d’une moindre ampleur que ce qu’elle devrait être face à une guerre génocidaire de ce type, qui se déroule sous les yeux du monde entier.
Cependant, l’indignation gagne du terrain et a commencé à renverser la vague du 7 octobre pendant laquelle les voix de solidarité avec la Palestine ont été étouffées par une campagne qualifiant d’antisémitisme, de nazisme, etc., la moindre expression de cette solidarité. Il faut maintenant construire dans la durée en s’appuyant sur l’indignation face au génocide. Ce qui se passe à Gaza permet de montrer la réalité de l’État d’Israël, gouverné par l’extrême droite depuis de nombreuses années, une extrême droite de plus en plus radicale qui est passée à l’action en saisissant l’occasion du 7 octobre comme l’administration de George W. Bush avait utilisé le 11 Septembre pour mener des actions que ses membres projetaient depuis longtemps.
En termes de type d’action, la campagne BDS est éprouvée et efficace. Il faut la continuer et l’amplifier. Sur le plan politique, il faut mettre l’accent sur la complicité des gouvernements occidentaux – à des degrés divers. On peut comprendre les raisons historiques de l’attitude de la classe dirigeante allemande, mais les leçons de la catastrophe du nazisme qu’ils ont tirées sont bien mauvaises si elles les conduisent à soutenir un État qui, bien que se prétendant juif, se comporte de plus en plus comme les nazis.
En France, Macron a dû sentir qu’il était allé trop loin quand il a offert de participer à la guerre israélienne contre Gaza, et la France s’est maintenant distinguée d’autres gouvernements européens en soutenant l’appel au cessez-le-feu. La procédure enclenchée par l’Afrique du Sud auprès de la Cour internationale de justice sur la question du génocide est également un point d’appui pour la pression sur les gouvernements.
Il faut aussi s’opposer aux livraisons d’armes à Israël, notamment aux États-Unis, et souligner l’hypocrisie et le « deux poids deux mesures » des gouvernements occidentaux face sur la question de l’Ukraine et sur celle de la Palestine. Leur discours humanitaire et juridique sur l’Ukraine s’est effondré comme un jeu de cartes, surtout vu depuis le Sud mondial. Certes peu de gens se faisaient des illusions, mais maintenant le double discours est tout à fait flagrant. Cela comprend la qualification de génocide : elle a vite été utilisée pour l’Ukraine alors que ce qu’y a fait la Russie jusqu’ici est de bien moindre intensité destructrice et meurtrière que ce qu’a fait Israël à Gaza en trois mois.
Un éventail de thèmes politiques permet aujourd’hui de rebâtir une conscience internationaliste et anti-impérialiste, réellement conséquente. Le jumelage de l’Ukraine et de Gaza permet de montrer qu’on est contre toute invasion, qu’elle soit russe, israélienne ou américaine, et qu’en tant qu’internationalistes nous sommes conséquents dans la défense de valeurs universelles comme la paix, le droit des peuples, l’autodétermination, etc.
Il y a aujourd’hui matière à de nombreuses de batailles d’éducation politique face aux médias, face à l’hypocrisie régnante, face à tous les partisans d’Israël ou de Moscou. Cette guerre des récits est facilitée par l’évidence de la sympathie de l’extrême droite pour Netanyahou et Poutine. Cela permet aussi de montrer comment antisémitisme et sionisme se complètent. Il faut retourner l’accusation assimilant l’antisionisme à l’antisémitisme en montrant que, s’il est vrai que certains discours antisémites se déguisent en antisionisme, cela est loin d’établir une égalité permanente entre antisionisme et antisémitisme. Il faut souligner en revanche la convergence entre antisémitisme et sionisme : l’extrême droite antisémite d’Europe et des États-Unis, qui souhaite se débarrasser des juifs, soutient le sionisme parce que celui-ci prône également le fait que les juifs doivent se rendre en Israël plutôt que de vivre en Europe ou en Amérique du Nord.
En ce qui concerne les mots d’ordre pour la solidarité avec Gaza, il faut aujourd’hui articuler les différentes questions qu’on a évoquées et qui sont d’abord de nature défensive : c’est-à-dire la nécessité d’arrêter le massacre, qui est la priorité absolue, donc l’appel à un cessez-le-feu immédiat. Mais cela ne suffit pas, parce que l’arrêt des combats en présence d’une occupation armée sur tout le territoire pose évidemment un problème. Il faut donc exiger aussi le retrait immédiat, et surtout inconditionnel, des troupes d’occupation. Il faut d’ailleurs exiger le retrait immédiat et inconditionnel d’Israël de l’ensemble des territoires occupés depuis 1967.
C’est un mot d’ordre qui est conforme à une optique que la grande majorité des gens peut comprendre puisque le droit international considère ces territoires comme occupés et donc exige la fin de leur occupation et de toute colonisation mise en place par l’occupant. De même, le droit international reconnaît aux réfugié·es palestinien·es un droit au retour ou à la compensation.
Après, c’est aux Palestiniens de décider ce qu’elles et ils veulent : le débat au sein du mouvement de solidarité sur un État ou deux États est souvent déplacé à mon sens, parce que ce n’est pas à Paris, à Londres ou à New York que doit être décidé ce qu’il faut pour les Palestiniens. Le mouvement de solidarité doit se battre pour le droit à l’autodétermination du peuple palestinien dans toutes ses composantes. C’est aux Palestinien·nes de décider ce qu’ils et elles souhaitent. Pour l’instant, il y un consensus palestinien sur les revendications de retrait d’Israël des territoires occupés en 1967, démantèlement des colonies en Cisjordanie, destruction du mur de séparation, droit au retour des réfugié·es et égalité réelle pour les citoyen·nes palestinien·nes d’Israël. Autant de revendications démocratiques, qui sont compréhensibles par tout le monde, et doivent être au centre de la campagne de solidarité avec le peuple palestinien.
Au-delà, dans le domaine de l’utopie, il y a matière à réflexion et débat, bien sûr, mais ce n’est pas là-dessus que se construisent les campagnes de masse, notamment dans l’urgence d’un génocide en cours.
Propos recueillis par Antoine Larrache le 19 janvier 2024.
Gilbert Achcar est professeur à SOAS, Université de Londres. Contributeur régulier et historique d’Inprecor et de la presse de la IVe Internationale, il est l’auteur notamment du Choc des barbaries (2002, 2004, troisième édition : Syllepse, Paris, 2017), Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits (Sindbad, Actes Sud, Arles, 2009), Le Peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe (Sindbad, Actes Sud, Arles, 2013). Son livre le plus récent – La Nouvelle Guerre froide. États-Unis, Russie et Chine, du Kosovo à l’Ukraine – vient tout juste de paraître en français aux éditions du Croquant.