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La machine sioniste de destruction massive menace le Liban à la suite de Gaza

par Gilbert Achcar
Manifestation à Londres. © 2021 Loredana Sangiuliano/Shutterstock.

Il y a deux semaines, nous estimions, à la lumière des éléments disponibles, que les forces d'occupation israéliennes cesseraient leur campagne intensive de bombardement ravageur au début de cette nouvelle année, pour passer à une « guerre de basse intensité » dont l'objectif serait de resserrer le contrôle sur la majeure partie du territoire de la bande de Gaza tombée sous leur emprise, d'éradiquer ce qui y resterait de résistance et de détruire le réseau de tunnels qui subsiste sous son sol (voir « Où va la guerre d'Israël contre Gaza ? », 20/12/2023). Lundi dernier, au premier jour de cette nouvelle année, le porte-parole officiel de l'armée d'occupation a annoncé le retrait de Gaza de cinq brigades, composées essentiellement de réservistes, dans ce qui a été interprété par les observateurs comme un premier pas vers le passage à une « guerre de basse intensité », comme l'ont promis les dirigeants israéliens à leurs soutiens extérieurs, les États-Unis au premier chef.

La vérité est que, pour des raisons à la fois humaines et économiques, l'État sioniste ne peut pas continuer longtemps à mener une guerre de la même intensité que celle qu'il mène depuis le « Déluge d'Al-Aqsa ». En effet, Israël est un pays relativement petit, avec une population juive d'un peu plus de sept millions d'habitants, dont un million et demi d'hommes en âge de servir dans les forces armées (auxquels s'ajoutent un million et demi de femmes qui n'ont pas encore été engagées dans la guerre). Il ne peut pas continuer à mobiliser approximativement un demi-million de réservistes pendant une longue période, car cela constitue une lourde charge humaine sur le plan social et encore plus lourde sur le plan économique.

Jusqu'à la fin de l'année dernière, c'est-à-dire en moins de trois mois, la guerre a coûté environ 20 milliards de dollars, selon ce qu'a déclaré un ancien vice-gouverneur de la Banque centrale israélienne au Washington Post, soit un coût avoisinant le quart de milliard de dollars par jour, ce qui est énorme pour l'économie du pays. Le gouvernement sioniste estime que le coût total de la guerre, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahu a confirmé samedi dernier qu'elle durerait au moins un an, sera d’environ 50 milliards de dollars (soit environ un dixième du PIB d'Israël). Netanyahou et ses alliés de l'extrême droite sioniste d'autant plus déterminés à poursuivre la guerre à moindre intensité tout au long de cette nouvelle année qu’ils misent sur la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine de l'automne prochain. Ils sont convaincus que Trump leur donnerait le feu vert pour qu’ils achèvent la « seconde Nakba » en s'emparant définitivement de la bande de Gaza et en l'annexant. Tout en comptant sur le financement américain pour atténuer l'impact de la guerre sur leur économie, ils doivent en réduire le coût afin de pouvoir la poursuivre au cours des prochains mois comme ils l'entendent.

En même temps, cependant, le gouvernement sioniste planifie une deuxième campagne intensive de bombardement qui commencerait après que l'intensité des bombardements sur Gaza aura été réduite. Aux tout premiers jours de la nouvelle offensive israélienne, des rapports indiquaient que le ministre de la « Défense » sioniste, l'ancien général de division Yoav Gallant, membre du Likoud et rival de Netanyahou, avait souhaité qu'Israël attaque le Hezbollah au Liban en même temps que le Hamas à Gaza. Gallant est connu pour être un défenseur de la doctrine connue sous le nom de Dahiya [banlieue, en référence à la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah], appliquée pour la première fois lors de l'assaut israélien sur le Liban en 2006. Cette stratégie militaire consiste à riposter à quiconque menacerait la sécurité d'Israël d'une façon si radicale et si destructrice qu'elle constituerait une forte dissuasion. En tant que chef du commandement sud entre 2005 et 2010, Gallant a supervisé l'application de cette doctrine lors de l'attaque meurtrière de trois semaines contre Gaza à partir de la fin de l'année 2008.

L'été dernier, le ministre de la « Défense » sioniste menaçait de ramener le Liban à « l'âge de pierre ». C’était après avoir inspecté la zone des fermes de Chebaa, à la frontière libanaise, et y avoir aperçu une tente installée par le Hezbollah. Gallant avait alors déclaré : « Je mets en garde le Hezbollah et Nasrallah de ne pas commettre d'erreurs. Vous avez commis des erreurs dans le passé et vous avez payé un prix très élevé. Si, à Dieu ne plaise, une escalade ou une confrontation se produisait ici, nous ramènerons le Liban à l'âge de pierre ». Il avait poursuivi en répétant : « Je mets en garde le Hezbollah et son chef : ne faites pas d'erreur. Nous n'hésiterons pas à utiliser toute notre puissance et à détruire chaque mètre appartenant au Hezbollah et au Liban s'il le faut ». Il avait ajouté : « Lorsqu'il s'agit de la sécurité d'Israël, nous sommes tous unis ». Ces derniers mots répondaient à l'affirmation par le chef du Hezbollah qu’Israël était affaibli par sa crise politique.

La probabilité d'une nouvelle agression massive de l'État sioniste contre le Liban est donc devenue très forte. Le gouvernement israélien met le Hezbollah devant un dilemme en exigeant de lui qu’il retire ses forces militaires au nord du fleuve Litani, à quelque 10 km au nord de la frontière libanaise. S'il s'exécutait, le Hezbollah perdrait la face, tandis que s'il refusait d'obtempérer, il porterait la responsabilité d'une nouvelle agression dévastatrice contre le Liban, en particulier contre les zones où il est déployé. L'intervention limitée du Hezbollah dans le sillage du « Déluge d'Al-Aqsa » a donc eu un effet pervers, car le parti a manqué l'occasion de forcer Israël à s'engager dans une guerre intensive sur deux fronts, tandis qu'Israël menace aujourd'hui de se lancer dans un bombardement intensif du Liban, en le distinguant à son tour après avoir achevé son bombardement intensif de la bande de Gaza.

 

Traduit en français à partir de la traduction anglaise, faite par l’auteur sur son blog, de l'original arabe publié dans Al-Quds al-Arabi le 2 janvier 2024. Cet article a été écrit avant l'assassinat par Israël d'un haut dirigeant du Hamas à Beyrouth.

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Auteur·es

Gilbert Achcar

Gilbert Achcar est professeur d'études du développement et des relations internationales à la SOAS, Université de Londres. Il est l'auteur, entre autres, de : le Marxisme d'Ernest Mandel (dir.) (PUF, Actuel Marx, Paris 1999), l'Orient incandescent : le Moyen-Orient au miroir marxiste (éditions Page Deux, Lausanne 2003), le Choc des barbaries : terrorismes et désordre mondial (2002 ; 3e édition, Syllepse, Paris 2017), les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits (Sindbad, Actes Sud, Arles 2009), Le peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe (Sinbad, Actes Sud, Arles 2013), Marxisme, orientalisme, cosmopolitisme (Sinbad, Actes Sud, Arles 2015), Symptômes morbides, la rechute du soulèvement arabe (Sinbad, Actes Sud, Arles 2017).