Lors de la réunion de sa Direction nationale du 17 décembre 2022, le PSOL a approuvé à une large majorité de ne pas faire partie du nouveau gouvernement, c’est-à-dire de ne pas avoir de postes au cours du troisième mandat de Lula. En même temps, une deuxième résolution prévoit que le groupe parlementaire du PSOL soutiendra le nouveau gouvernement – ce qui n’est pas la même chose que de faire partie du bloc parlementaire dirigé par le Parti des travailleurs (PT).
Le PSOL a défini une limite entre le soutien aux mesures progressistes et le blocage des tentatives de coup d’État de l’extrême droite, en préservant son droit de s’opposer aux programmes qui attaquent les droits des travailleurs et du peuple. De cette manière, la résolution affirme que le PSOL sera autonome et décidera lui-même, de manière indépendante, ce qui bénéficiera de son soutien ou de son opposition.
Le PSOL s’est consolidé comme le deuxième plus grand parti de la gauche brésilienne, ayant en son sein différents groupements révolutionnaires et réformistes, qui se réclament du marxisme et a donné ainsi un fort signal qu’il continue de se conformer à ses principes. Les différences internes, qui ont fait l’objet d’un débat public dans les pages des principaux journaux du pays, ne remettent pas en cause les mérites et le potentiel du parti. Au contraire, le PSOL a montré, une fois de plus, qu’il est un parti vivant, dans lequel les débats produisent des divergences mais aussi des convergences. Un parti qui n’est pas monolithique et qui n’a pas de blocs cristallisés. Il n’est pas étonnant que dans la controverse sur les postes gouvernementaux, le bloc majoritaire – appelé PSOL de Todas as Lutas (qui regroupe les blocs PSOL-Popular et PSOL-Semente) – se soit divisé. Cela a permis à la gauche du parti de faire apparaître une majorité politique contre une position d’alignement sur le PT que défendaient Guilherme Boulos, élu député fédéral, et Juliano Medeiros, président du parti.
La controverse publique a été polarisée entre ceux qui défendaient l’indépendance du PSOL en tant que principe et ceux qui défendaient l’entrée au gouvernement. Dans cet affrontement, il ne fait aucun doute que la position en faveur de l’indépendance a triomphé. Le député fédéral élu Guilherme Boulos, l’un des plus grands défenseurs de l’entrée au gouvernement, a déclaré dans une interview au journal Globo (19/12/2022) que la « résolution dit que le PSOL ne demandera ni n’aura de postes ». Peu après, dans la même interview, Boulos met fin aux spéculations sur sa participation à un éventuel ministère et souligne : « Je suis un député fédéral élu et j’exercerai mon mandat à la Chambre ». Même le discours « triomphaliste » de l’aile favorable à l’entrée dans le gouvernement à propos de la résolution ne peut cacher le point central : le PSOL ne participera pas au gouvernement Lula et ses affiliés qui pourraient le faire ne parleront pas au nom du parti.
Cependant, il faut reconnaître un point souligné par l’aile favorable à l’entrée dans le gouvernement : la résolution conserve des éléments de médiation. Le texte ne contient pas dans sa formulation définitive ce que le MES a défendu lors des débats. Ainsi, la résolution reformulée ensemble par les principales forces du parti et approuvée par 53 voix contre 6 et une abstention, correspond au rapport des forces au sein du parti. Toutefois, ces limites de la résolution adoptée ne sauraient faire oublier le fait fondamental : la nature du PSOL a été préservée.
Par conséquent, le compromis du PSOL avec Lula n’est pas un chèque en blanc, comme le prouve le refus de son groupe parlementaire de réélire Arthur Lira (1) à la présidence de la Chambre de députés et sa résolution de ne pas entrer au gouvernement. Pour autant le parti ne tournera pas le dos à la situation concrète du pays, dévasté par quatre années de Bolsonaro avec, en ce moment, un courant néofasciste ayant du poids dans les secteurs de masse, et pariant sur leur mobilisation et sur l’affrontement physique avec la gauche. Dans ce contexte, notre priorité doit être la confrontation incessante avec le bolsonarisme. Si ce dernier a été vaincu lors de l’élection présidentielle, il est sorti renforcé des élections au niveau des États et dispose d’une importante force sociale comme l’indiquent les épisodes de coup d’État qui ont suivi la victoire de Lula.
L’hypothèse du développement de l’extrême droite n’est pas exclue et sa tactique permanente sera de déstabiliser et de renverser le nouveau gouvernement, même si les secteurs corrompus qui composaient l’administration Bolsonaro se rapprochent déjà de la nouvelle concertation de Lula dans son front large. C’est la même tactique que nous observons aujourd’hui dans des pays comme le Chili et le Pérou.
Ainsi, la tâche des socialistes est de combattre l’extrême droite et de défendre le gouvernement Lula contre toutes les attaques qui représentent un retour en arrière réactionnaire pour le pays, mais sans jamais faiblir en même temps dans la défense des améliorations des conditions de vie des travailleurs et de la majorité du peuple.
C’est une nécessité immédiate pour un pays qui est de nouveau en proie à la famine, qui voit l’Amazonie violemment attaquée et qui voit les universités publiques s’effondrer. Par conséquent, le PSOL ne faiblira pas dans la défense des mesures progressistes du gouvernement Lula, mais il ne faiblira pas non plus face à toute attaque du nouveau gouvernement contre la classe ouvrière. Ainsi, le principal engagement du PSOL est aux côtés des travailleurs, dans la lutte pour l’emploi, les salaires, le logement, contre les prix élevés, pour le financement de l’éducation, de l’éducation de base aux universités, pour la défense de l’Amazonie et des peuples indigènes, des femmes, des Noirs et de la population LGBTQIA+.
Le PSOL continuera en toute indépendance et en toute liberté à critiquer et à combattre toutes les mesures qui vont à l’encontre de l’amélioration des conditions de vie de la population. Parallèlement à cela, nous comprenons que contester la société idéologiquement est le rôle du PSOL, que c’est décisif et que le PT l’a abandonné pour devenir le gestionnaire du capitalisme brésilien pendant ses années de gouvernement.
Il est important de noter que d’autres partis et organisations radicales de la gauche brésilienne n’ont pas réussi à sortir de la marginalité politique alors que le PSOL – le parti de Marielle Franco (2) – a développé grâce à sa cohérence un prestige considérable auprès d’une partie importante de la fonction publique, des jeunes, des femmes, des hommes et femmes noirs et de la population LGBTQIA+. Nous avons la responsabilité de faire prendre conscience des positions anticapitalistes qui servent les intérêts de la grande majorité du peuple à de larges secteurs organisés et non organisés, aux travailleurs et à la classe moyenne urbaine, y compris aux secteurs séduits par le bolsonarisme, tels les livreurs et les employés de la sécurité publique.
Être en dehors du gouvernement de front large est crucial pour avoir un parti avec une indépendance de classe qui ne se dilue pas dans la politique nationale. De plus, le peuple a besoin de voir clairement qu’il existe une alternative antisystème à gauche et que le PSOL, bien qu’il soit encore en construction, présente les meilleures conditions pour accumuler des forces dans ce but. Pour cette raison, la décision du PSOL de ne pas être représenté dans les ministères et les postes de second niveau dans le gouvernement de collaboration de classe était tout aussi importante. Car en cas de victoire de la proposition visant à entrer dans le gouvernement, le parti risquerait de voir une de ses fractions internes néo-réformiste intégrer le régime.
La résolution de la Direction nationale préserve donc les principes et la nature anti-régime du parti. Le PSOL ne s’éloigne pas de son projet initial et ne se mêle pas à l’opposition de droite et d’extrême droite. De cette manière, les conditions pour la construction de ses propres structures, pour une action indépendante et des relations organiques avec les mouvements sociaux qui vont s’opposer au gouvernement et au PT, sont réunies. Pour cette raison, cette résolution est stratégique. Mais en même temps, dans ces temps difficiles de bolsonarisme et de grande confusion dans l’avant-garde, le parti a réussi à prendre une orientation fine qui permet le dialogue et l’unité, sans capitulation, sur les exigences urgentes du peuple ainsi que la confrontation ininterrompue avec l’extrême droite.
La prochaine tâche consiste à faire en sorte que la résolution de la Direction nationale soit exécutée dans son intégralité – et les déclarations de dirigeants importants dans la presse indiquent que cette voie devrait être suivie par la partie qui a défendu l’entrée au gouvernement. Cependant, nous savons que la séduction des postes dans la puissante machine du gouvernement fédéral est gigantesque, il faut donc une vigilance permanente, une intensification de la politisation du parti et une action unitaire auprès de la société. Le PSOL doit être aux premiers rangs des principales revendications populaires et des affrontements contre les hordes de Bolsonaro.
L’orientation est donc de miser sur la lutte et la mobilisation. Mais aussi, poursuivre la discussion des orientations du parti, dans lequel le MES a joué un rôle fondateur, agissant de manière décisive pour sa construction et son maintien comme un large parti anticapitaliste et antisystème. La lutte permanente contre les pressions opportunistes sur le PSOL a remporté une victoire importante, et toute cette confrontation politique interne a été un épisode de plus du besoin permanent et fondamental de construire une alternative de parti en accord avec les principes de la gauche révolutionnaire, en élaborant les tactiques les plus variées pour faire face aux défis de la réalité, sans renoncer à l’indépendance de classe, à l’internationalisme et au programme anticapitaliste.
* Le Mouvement de la gauche socialiste (Movimento Esquerda Socialista, MES/PSOL), section sympathisante de la IVe Internationale au Brésil, est un courant politique marxiste-révolutionnaire, exclu du Parti des travailleurs (PR) fin 2003, qui, avec une minorité de camarades de Democracia socialista (alors section brésilienne de la IVe Internationale), a été à l’origine de la fondation du Parti Socialisme et Liberté (PSOL) en 2004.
Nous reproduisons ici la déclaration adoptée par son exécutif national, le 21 décembre 2022. Elle a été d’abord publiée par la page web de la revue du MES, Revista Movimento : https://movimentorevista.com.br/2022/12/sobre-a-ultima-reuniao-do-diretorio-nacional-do-psol/
(Traduit du brésilien par JM).
1. Arthur Lira, député fédéral du Parti progressiste d’Alagoas, est président de la Chambre de députés depuis le 1er février 2021. Au cours de son mandat il a reçu plus de 140 demandes de destitution du président Jair Bolsonaro, mais a décidé de n’en soumettre aucune au vote des députés. Après la défaite électorale de Bolsonaro qu’il avait soutenu, à la fin 2022 il a cherché le soutien de Lula. Le PT ne présentera pas de candidature contre lui, ce qui scelle en pratique sa réélection à ce poste.
2. Marielle Franco, militante de la gauche du PSOL, élue au conseil municipal de Rio de Janeiro le 1er janvier 2017, féministe, défenseuse des droits humains et LGBTQIA+, a été assassinée avec son chauffeur, Anderson Pedro Gomes, le 14 mars 2018. L’enquête judiciaire n’a toujours pas abouti… le policier militaire suspect a été condamné pour trafic d’armes en août 2022 à cinq ans de prison.