Les 25 et 27 mars, les animateurs de ce qu'on appelle la nouvelle opposition en Biélorussie ont annoncé le retour des manifestations dans les rues. Ces journées ont montré par le niveau de mobilisation que le peuple était prêt à poursuivre sa lutte contre le régime bonapartiste de Loukachenko.
Devant la violence policière
Il convient de noter qu'à la fin du mois de novembre, les actions de protestation avaient commencé à acquérir un caractère local et ponctuel, s'étant déplacées des rues centrales des villes vers les cités-dortoirs et les banlieues. Le dernier événement qui a provoqué une sortie massive de la population dans les rues et provoqué une flambée de violence policière a été le meurtre de Roman Bonadrenko, un simple partisan de l'opposition, par des agents des forces de l'ordre. Le 11 novembre 2020, il a été battu par des agents des forces de l'ordre en civil pour leur avoir demandé de ne pas détruire les symboles de protestation dans la cour de son immeuble. Le lendemain, Roman est mort aux urgences de l'hôpital. Un mémorial populaire spontané s'est formé dans cette cour, et la police a multiplié des assauts dans la cour. Après la répression brutale des manifestations populaires liées à la mort de Bonadrenko, le régime, profitant du recul de la vague de protestation, a déclenché la répression et s'est mis à la recherche des citoyenÃes les plus actifs politiquement : militantÃes civiques et syndicaux, militantÃes des droits humains, dirigeants des " comités de voisins » qui s'étaient formés dans les immeubles des zones les plus contestataires et tous ceux qui ont participé le plus activement aux événements d'août-septembre 2020. Au 17 mars, le bureau du procureur général de Biélorussie a indiqué que 468 affaires pénales avaient été ouvertes contre 631 personnes en raison de leur participation à des activités de protestation, et que plus de 270 personnes (1) avaient le statut de prisonniers politiques. Le comité d'investigations indique que plus de 2 300 affaires pénales liées à des activités " extrémistes » ont été ouvertes depuis l'été dernier. Dans le même temps, pas un seul agent des forces de l'ordre n'a été poursuivi pour abus de pouvoir - même le manifestant Gennady Shutov, tué en août, a été reconnu " coupable » à titre posthume de résistance et d'usage de la violence à l'encontre d'un agent de l'État - et les policiers qui ont avoué le meurtre ont été jugés en tant que victimes.
Tous ces chiffres sont importants pour comprendre l'état de la société biélorusse au moment où les manifestants se préparaient à retourner dans la rue : une atmosphère de terreur effrayante, la réelle possibilité de recevoir une peine de prison pour avoir coordonné des manifestations dans son immeuble ou sur son lieu de travail, et même d'être torturé ou tué.
En outre, les sanctions prévues par le code des infractions administratives pour la participation à un événement de masse non autorisé ont été renforcées - les mesures telles que l'avertissement ont été supprimées, le montant des amendes et la durée de l'arrestation administrative ont été augmentés. Dans le même temps, il est impossible d'organiser un rassemblement de protestation légal en Biélorussie, car toutes les décisions sont prises par les autorités. Il est prévu de renforcer la loi sur la procédure d'organisation des événements massifs (qui présentait déjà un caractère répressif) et de donner à l'exécutif le droit exclusif d'accorder leur autorisation.
Personne ne reconnaît la victoire du dictateur
Le 25 mars, le service de presse du ministère de l'Intérieur a fait état de cas isolés d'activités de protestation, mais les faits disent autre chose. Car la police biélorusse a déclaré que plus de 200 personnes avaient été arrêtées pour avoir participé à des actions de protestation. Ce jour-là, les principaux médias d'opposition ont annoncé le " retour des manifestations dans les rues », mais après un long hiver, politiquement glacial, les gens n'ont pas pu s'organiser et sortir en masse dans les rues. Néanmoins, de petites " chaînes de solidarité » spontanées se sont formées dans le centre de Minsk. Après cela, le format a été instantanément modifié : les médias d'opposition ont appelé les conducteurs à klaxonner en soutien aux protestations et les citoyens protestataires à tirer des feux d'artifice à 21h.
À Minsk et dans d'autres villes du pays, le ciel a tremblé sous les feux d'artifice pendant au moins une demi-heure, et les klaxons des voitures pouvaient être entendus même à plusieurs kilomètres du centre-ville. Tout était très clair : personne ne reconnaissait la victoire du dictateur, personne ne pardonnait la terreur et la répression, mais toutes ces belles actions étaient plutôt des gestes d'impuissance révolutionnaire. Bien sûr, les policiers du KGB, et Loukachenko lui-même dans son palais rose, devaient probablement serrer les dents en voyant le ciel de Minsk illuminé par des milliers de salves de protestation et en écoutant le hurlement de centaines de klaxons de voitures. Mais quelle que soit la beauté de ces performances, une chose mérite d'être comprise : les klaxons, les feux d'artifice et autres actes symboliques de défi ne renversent pas les régimes dictatoriaux et ne rapprochent même pas l'heure de la victoire.
Le 27 mars, les habitants de Minsk ont à nouveau tenté de se rassembler pour une action de rue, mais la concentration accrue des forces de l'ordre et des équipements militaires dans la ville n'en a pas laissé l'occasion. Le 27 mars, au moins 240 personnes ont été arrêtées. Selon des données plus précises, les 25 et 27 mars, plus de 500 personnes au total ont été détenues. Cette tentative des gens de se soutenir mutuellement et de déclarer la poursuite de la résistance dans des moments difficiles de réaction a coûté aux manifestants 15 jours d'emprisonnement dans des conditions inhumaines (2).
La forme et le contenu
Par ailleurs, il convient de noter la raison pour laquelle les actions étaient prévues le 25 mars. Malheureusement, certains " marxistes » ont placé la forme au-dessus du contenu et ont refusé catégoriquement de soutenir les manifestations dans leur ensemble, en particulier à cause de la date. Car c'est le 25 mars 1918 que l'indépendance de la " République populaire biélorusse » (RPB) a été proclamée. Chaque année, cette journée est célébrée par les partis nationaux-démocratiques, y compris les sociaux-démocrates. Ceux qui ont participé à la proclamation de la RPB étaient des socialistes de gauche par conviction et étaient membres du parti Bielarusskaya sotsialistichnaya Hramada (Communauté socialiste biélorusse). L'annonce de la création de la RPB est devenue possible grâce à la révolution d'Octobre et à la politique nationale de Lénine, car, comme nous le savons, Lénine, dans son article " Les bolcheviks conserveront-ils le pouvoir d'État ? » (septembre 1917) a probablement été le premier homme politique de l'histoire à avancer l'idée d'une indépendance totale pour la Biélorussie, et pas seulement d'une autonomie. Ainsi, la RPB a été initialement fondée sur de bons principes, notamment la réduction de la journée de travail, la socialisation des moyens de production et la confiscation des propriétés foncières sans rachat. Néanmoins, la RPB fut en réalité un projet mort-né : ne disposant pas de citoyenneté, de système monétaire ni d'armée, cette " république » existait dans le territoire occupé par les troupes allemandes et était en fait un organe sous administration de l'occupant. Au fil du temps, la RPB est de plus en plus devenue un outrage - fait reconnu même par ses dirigeants - et le projet lui-même a acquis un caractère antibolchévique. À la fin de son existence, les dirigeants de la RPB ont cherché le soutien de diverses forces réactionnaires, depuis le Kaiser allemand jusqu'aux Gardes blancs. En conséquence, sur le territoire libéré des Allemands, le 1er janvier 1919, le véritable État biélorusse - la République socialiste soviétique de Biélorussie - a été fondé.
Comme on peut s'en douter, pour la gauche biélorusse la date du 25 mars est discutable : les sociaux-démocrates la considèrent comme un projet socialiste raté et les nationaux-démocrates l'apprécient pour son antibolchévisme ultérieur. Quant aux marxistes, ils ont toujours pris leurs distances avec cette date. Chaque année, ce jour-là, des actions autorisées et non autorisées étaient organisées par une partie de l'opposition biélorusse. Les autorités toléraient la tenue d'un rassemblement ou d'une marche ce jour-là, même s'il était rare qu'il n'y ait pas d'arrestations. Cette année, les autorités ont refusé d'organiser un événement légal, arguant qu'il pourrait être utilisé " par des forces destructrices pour déstabiliser la situation dans le pays ». En fait, le droit à la liberté de réunion a été violé sans aucun motif, comme c'est toujours le cas en Biélorussie. Mais une partie de la gauche a adopté une position ouvertement sectaire et approuvé ainsi les actions des autorités, refusant de participer aux manifestations ou gardant le silence sur les tortures et les détentions. Tout cela uniquement pour des raisons historiques décrites ci-dessus liées à la date du 25 mars.
Analysant la situation d'un point de vue marxiste, notre parti " Un monde juste » comprend que la forme ne peut pas définir le contenu et que nous devons soutenir les demandes démocratiques du peuple, qui coïncident avec notre programme politique. C'est pourquoi le comité de Minsk de notre parti a condamné les actions des autorités visant à intimider les citoyens et à créer une atmosphère d'état d'urgence dans la capitale. Notre parti a également déclaré que toutes et tous les détenus devaient être immédiatement libérés alors que les responsables du recours à la violence et de la restriction des droits des citoyens à la liberté de réunion devaient être punis et présenter des excuses publiques à toutes les victimes. En outre, il n'est pas exagéré d'affirmer que la plupart des manifestants ignoraient le contexte historique et idéologique du jour où la manifestation devait avoir lieu. Le fait que les gens descendent dans la rue à des dates autres que celles associées à l'histoire du mouvement ouvrier et communiste ne fait que démontrer le manque de travail systématique de la gauche avec les manifestants et le snobisme de la plupart des groupes de gauche, qui placent la " pureté idéologique » au-dessus du soutien aux justes revendications des masses.
Nouvelles lois répressives
Bien que les actions des 25 et 27 mars aient été réprimées et se soient déroulées de façon " clandestine », le pouvoir a bien saisi le signal de la volonté de poursuivre la lutte donné par la majorité des Biélorusses et a annoncé un nouveau paquet de lois répressives. Le 16 avril 2021, la Chambre des représentants de l'Assemblée nationale de la République de Biélorussie a adopté en deuxième (dernière) lecture (3) un projet de loi " sur la modification de la lutte contre l'extrémisme ». Ce projet élargit entre autres la définition de " l'extrémisme » et de " l'activité extrémiste », permettant de fait au ministère des affaires intérieures de décider qui est extrémiste. De plus, en vertu de la nouvelle loi, la police a désormais le droit de recourir à la force " à sa propre discrétion, en tenant compte de l'évolution de la situation » et n'est plus responsable de tout préjudice résultant du recours à la force. Bien sûr, il y a quelques réserves dans la loi, comme le fait que lorsqu'il utilise des moyens de contrainte ou d'autres dispositifs, un policier doit s'efforcer de causer le moins de dommages possible, mais il est clair qu'elles sont simplement formelles, car de telles réserves existaient auparavant sans que cela empêche les policiers d'utiliser la brutalité et la torture. Mais ce sont les amendements au Code pénal qui sont les plus importants dans ce paquet de lois répressives. Ils prévoient la poursuite pénale d'une personne qui aurait été sanctionnée administrativement deux fois au nom de la loi sur l'organisation des événements de masse. En d'autres termes, si une personne est attrapée par la police lors d'un rassemblement pour la troisième fois en un an, elle peut se voir infliger une véritable peine de prison de plusieurs années. La nouvelle édition de la loi " sur les événements de masse » introduit également des innovations répressives : désormais, les partis politiques sont responsables (!) de chaque membre du parti s'il participe à un rassemblement non autorisé (4). Cela crée une base légale pour la liquidation des partis d'opposition, car si un deuxième avertissement est émis au cours d'une année, conformément à la loi le parti peut être dissous par la Cour suprême.
Cependant, malgré l'adoption de lois répressives et les condamnations massives à caractère politique, il faut rester optimiste. Malgré toutes ces choses effrayantes, l'opposition de gauche et tous ceux qui sont contre la dictature ne sont pas affaiblis. Il y a tout juste un an, peu de gens auraient imaginé que le soutien au régime serait si réduit et l'intérêt pour la politique si élevé. Il y a seulement un an, personne n'aurait pu imaginer que, même dans des conditions de répression sévère, des syndicats indépendants se développeraient et que des Biélorusses rejoindraient activement les partis politiques d'opposition existants et parleraient de la création de nouvelles structures politiques. Malgré une répression d'une ampleur comparable à celle de l'ère stalinienne, les initiatives de base et les comités de grève, créés au plus fort de la mobilisation protestataire, perdurent. En ce qui concerne les autres tactiques des socialistes, il est impossible de dire quoi que ce soit de nouveau, car il n'existe pas de recettes magiques qui mettront les masses en mouvement et détruiront la peur qui a été semée par le régime au cours de ces longs et difficiles mois. Nos tâches restent les mêmes : renforcer les liens avec le mouvement ouvrier, essayer de maintenir les structures de nos partis et syndicats et mener à bien l'explication de notre programme socialiste autant que possible dans les conditions existantes.
Mécontentement populaire inévitable
Bien sûr, une atmosphère de démoralisation et de pessimisme règne désormais. Néanmoins, la crise politique n'a pas disparu et la dictature a reçu un coup sévère, le régime continue d'avoir peur et fonctionne dans des conditions qui sont pour lui une menace existentielle. De nombreux fonctionnaires, policiers, enseignants, travailleurs du secteur médical et culturel ont quitté le service public en 2020 en signe de protestation et le dictateur ne doute pas sans raison de la loyauté de ceux qui continuent encore à travailler dans le secteur public. Non seulement le nombre d'opposants au régime n'a pas diminué depuis l'automne dernier, mais il a augmenté suite à la répression et aux menaces contre toutes celles et ceux qui émettent des critiques. Les conditions de vie des citoyenÃes continuent de se détériorer : les salaires continuent de baisser depuis plusieurs mois consécutifs, le montant réel des pensions a atteint son plus bas niveau en février, il y a des cas d'arriérés de salaires, les prix ont augmenté de manière significative et l'inflation a été beaucoup plus élevée que prévu par la Banque nationale. En outre, il y a des informations sur la préparation de licenciements massifs et le manque de fonds dans le budget.
Une explosion massive de mécontentement populaire dans un avenir proche est non seulement possible, mais inévitable. La seule question est de savoir quel sera l'élément déclencheur d'une nouvelle vague de mobilisation. Il convient ici de rappeler l'une des lois de la dialectique : le passage du quantitatif au qualitatif. Un événement en soi peut ne pas être la cause, mais il peut être le dernier élément nécessaire dans la chaîne d'autres événements qui conduisent à l'explosion sociale.
Minsk, 18 avril 2021
* Pavel Katorzhevski, politologue, militant trotskiste, est membre du comité central du Parti biélorusse de gauche " Un monde juste » et un des dirigeants de son organisation de jeunesse.
(Traduit du russe par JM).
2. Après la fin des arrestations administratives, les 25 et 27 mars, de nombreux détenus ont raconté qu'ils avaient été torturés, battus et soumis à d'autres formes de mauvais traitements (manque de literie, restriction des procédures d'hygiène, arrosage des cellules de prison avec des quantités excessives de chlore prétendument en " prévention contre le coronavirus »). Nombre de celles et ceux qui ont été placés en détention administrative après les 25 et 27 mars se sont retrouvés à l'hôpital avec des tendons et des muscles déchirés. Les personnes arrêtées ont déclaré avoir été torturées en étant obligées de se tenir debout face au mur, les jambes tendues au maximum et les bras levés, paumes vers l'extérieur, le tout accompagné de coups sur les côtes.
3. Une fois qu'un projet de loi a été adopté par la Chambre des représentants en deuxième lecture, il doit être approuvé par la chambre haute du Parlement - le Conseil de la République. Il s'agit d'une formalité purement bureaucratique et il n'y a même pas la moindre chance que le Conseil de la République rejette les projets de loi répressifs. Il est probable qu'au moment où cet article sera publié, ils auront été approuvés.
4. En fait, le paquet de projets de loi répressifs est beaucoup plus large, et l'article n'identifie que les changements les plus importants, selon l'auteur, et qui légaliseraient la répression politique.