Mustafa Omar : Beaucoup de Frères musulmans ont été recrutés très jeunes, lorsqu'ils étaient au lycée, voire au collège. D'autres sont recrutés au début de leurs études supérieures, ils sont souvent issus de la campagne.
Synthèse
L'éducation n'est plus vraiment gratuite maintenant. En théorie, elle l'est mais en réalité, elle ne l'est plus car il est nécessaire de prendre des cours particuliers, d'acheter de quoi manger, etc.
Les Frères apportent un important soutien financier à des jeunes des lycées et des facs qui ne viennent pas des milieux aisés, mais appartiennent aux couches les plus pauvres des " classes moyennes » et à la classe ouvrière. Ils ont très peu d'argent, et les Frères leur procurent ce que l'État ne leur procure plus : des livres, un logement pour ceux qui ne trouvent pas de place dans les résidences universitaires, de la nourriture, etc.
Ceci est important, car certaines des manifestations les plus militantes contre Sissi ont été organisées par les étudiants partisans de Morsi et des Frères. C'est ainsi qu'ils gagnent leur loyauté.
Il y a une véritable différence entre ces jeunes et certains des plus riches dirigeants des Frères.
Question : Mais l'obéissance aux chefs ne fait-elle pas partie de l'idéologie des Frères musulmans ?
Mustafa Omar : Cela est généralement vrai, mais il est également vrai que les jeunes Frères sont écoutés par les dirigeants. Il ne s'agit pas d'une relation unilatérale. Les anti-Frères, comme par exemple les staliniens, ont souvent tendance à exagérer. Ils décrivent la Confrérie comme une organisation très hiérarchisée de haut en bas, avec une obéissance aveugle. Cela est vrai, mais en partie seulement. Les jeunes exercent une pression sur leur direction. C'était vrai avant que Morsi ne devienne président en juin 2012, et cela le reste après le coup du 3 juillet 2013.
Beaucoup de ces jeunes sont convaincus que le système économique actuel pose de gros problèmes, que le capitalisme pose de gros problèmes. Mais ils ont une vision réformiste du monde, ils veulent une réforme du capitalisme et une redistribution des richesses. Ils veulent la gratuité des soins médicaux et de l'éducation. Beaucoup de choses que nous, socialistes révolutionnaires, voulons également.
Néanmoins, ils croient véritablement qu'ils ont à suivre la stratégie et la tactique de la direction. Ils font confiance à leur direction pour atteindre ce but. J'ai parlé avec de nombreux jeunes Frères. Ils ont une critique du capitalisme, certes réformiste, mais une vraie critique. Ils n'observent pas tous une obéissance aveugle aux chefs.
Deuxièmement, beaucoup d'entre eux croient généralement en une société démocratique. Pas seulement comme moyen pour que les Frères parviennent au pouvoir. Beaucoup d'entre eux peuvent véritablement vivre dans un cadre pluraliste. Nous travaillions avec eux en Égypte avant la révolution de 2011. Et ils croyaient généralement en cela. Pour moi, il ne s'agit pas de cynisme afin de parvenir au pouvoir, comme cela est parfois expliqué.
En réalité, avant et après la révolution, il y a eu de nombreuses scissions significatives parmi les jeunes Frères. Elles ne concernaient pas beaucoup de monde, mais ces scissions étaient significatives.
Chez beaucoup de jeunes Frères, il y a eu un glissement vers la gauche sous la pression de la révolution. Ils ont scissionné de la Confrérie et ont rejoint le parti " Égypte forte » d'Aboul Foutouh.
Certains de ces ex-Frères sont maintenant des membres fondateurs du Front de la voie de la révolution. Et même s'ils ressemblent bien à des islamistes, ils ne sont pas aussi hostiles au marxisme qu'ils l'étaient il y a un an… Il faut prendre en compte l'origine sociale de ces ex-Frères, leur classe d'origine. Une partie significative d'entre eux - pas tous ! - sont ouverts au dialogue avec des forces de gauche, socialistes. Nous partageons avec eux certaines positions concernant la démocratie et l'opposition à l'impérialisme.
Question : Et concernant les femmes et le sexisme ?
Mustafa Omar : Les choses sont également mitigées. Une partie des soutiens des Frères sont des femmes. Elles travaillent, et les Frères sont d'accord avec cela. Sur ce point, ils ne sont pas aussi à droite que les salafistes. Ils sont sexistes, mais pas autant que les salafistes. Le sexisme des salafistes se situe carrément à un autre niveau. Les Frères ont en général une conception du mode de vie très " classe moyenne » urbaine. Leur point de vue est très différent du point de vue totalement ringard, conservateur et réactionnaire des salafistes qui disent que les femmes doivent rester à la maison au lieu d'aller travailler.
Question : Comment parvenez-vous à faire la différence entre les Frères musulmans et les ex-Frères ? Croyez-vous sur parole ceux qui disent qu'ils ne sont plus Frères ? La " taqéïa » (droit de mentir aux ennemis) ne fait-elle pas partie de leur idéologie ?
Mustafa Omar : Beaucoup de gens dont je suis en train de parler ont publiquement démissionné des Frères. Ils ont une critique radicale de la vision du monde des Frères. Nous travaillons avec eux depuis des années, et nous savons exactement qui est qui, qui est honnête et qui ne l'est pas.
Beaucoup d'entre eux ont encore un penchant islamiste, mais ils rejettent la politique des Frères.
La pression de la révolution a produit une petite scission chez les Frères. Une minorité significative de plusieurs milliers de membres a quitté les Frères pour rejoindre la gauche. Lorsqu'ils ont vu la confrérie faire des arrangements cyniques avec le régime de Moubarak puis avec le Conseil supérieur des forces armées, des milliers de Frères ont préféré quitter la confrérie et continuer à participer à la révolution du 25 janvier. Avant, ils croyaient vraiment leurs dirigeants quand ils leur disaient qu'ils étaient contre le régime, contre la dictature militaire, contre la corruption, etc. Quand ils ont vu que ce n'était pas le cas, ils les ont quittés.
Certains militants issus des Frères ont rejoint le Front de la voie de la révolution. Il s'agit d'un petit groupe de gens, pas très nombreux, mais de taille significative. Le slogan du Front est " ni les militaires ni les Frères ». Ils font campagne avec nous sur ce mot d'ordre. Ils ne peuvent donc pas être des sous-marins de la confrérie.
Question : Défendez-vous toujours le slogan " toujours contre les militaires, parfois avec les Frères » ?
Mustafa Omar : C'était notre approche générale avant la révolution de 2011. Je pense que cette formule est devenue en partie obsolète au cours de la dernière année, mais la partie la plus importante de ce mot d'ordre reste toujours correcte et d'actualité. Nous sommes en effet en train de défendre le droit des Frères d'exister en tant que force politique, du point de vue de la défense des droits démocratiques.
Nous avons eu un grand débat à ce sujet au sein des Socialistes révolutionnaires. Tout le monde n'était pas toujours content de cette position. Notre organisation avait connu une scission en 2009. Beaucoup de gens refusaient ce slogan. Aujourd'hui, tous les SR d'Égypte sont d'accord avec ce slogan.
Question : Quelle est la position de la gauche envers les Frères ?
Mustafa Omar : Une des questions les plus importantes pour la gauche égyptienne est la façon d'aborder la question des Frères musulmans.
Historiquement, la majorité des courants de la gauche égyptienne considère que les Frères sont des fascistes. Une minorité à gauche est en désaccord avec cette approche. Parmi eux, il y a les Socialistes révolutionnaires. Il s'agit d'une question très importante, car il est possible de voir aujourd'hui les ramifications de ces différentes manières d'analyser les Frères.
La totalité de la gauche stalinienne et de la gauche nassérienne considère que ce sont des fascistes, et ils tendent aujourd'hui la main à Sissi. Une minorité à gauche, et pas seulement les SR, considère que les Frères ne sont pas des fascistes et sont pour cette raison capables d'avoir une position indépendante d'opposition à l'État, mais également d'indépendance envers les Frères.
Nous sommes capables de nous battre pour les droits démocratiques, alors qu'historiquement la majorité des courants de gauche a considéré l'État autoritaire comme un moindre mal par rapport aux Frères.
Dans les années 1990, la majorité de la gauche a soutenu la répression contre les islamistes, et soutient aujourd'hui celle contre les Frères y compris les massacres. Certaines des icônes de la gauche des cinquante dernières années soutiennent aujourd'hui Sissi. Aberrahman El Abnoudy, poète de la révolution, soutient par exemple Sissi aujourd'hui parce qu'il croit que les Frères sont une force obscurantiste. C'est incroyable, c'est un désastre !
Question : Refuser la répression contre les Frères est une chose, mais est-il pour autant envisageable de s'allier, même momentanément, avec eux ?
Mustafa Omar : Le profil de certains partisans des Frères musulmans permet de travailler avec eux. On peut travailler avec certains militants de base des Frères sur des objectifs démocratiques. C'est par exemple en ce moment même le cas sur des questions économiques et sociales, en particulier à l'Université. En ce moment, tactiquement, il est très difficile de travailler avec les Frères. Mais dans quelques mois, il sera important de travailler avec eux sur des objectifs communs. Sinon, nous ne parviendrons pas à avoir une influence sur des personnes appartenant aux Frères. C'est une divergence entre nous et d'autres forces de gauche. Il serait fou de dire que nous ne manifesterons jamais avec les Frères. S'ils sont d'accord avec nos revendications, ils devraient être les bienvenus.
Question : En tant qu'individus ou en tant qu'organisation ?
Mustafa Omar : Il est possible de le faire avec des individus. La question de travailler avec eux en tant qu'organisation n'est pas actuellement à l'ordre du jour. Mais je ne sais pas ce qui peut arriver dans l'avenir. Il s'agit d'un problème tactique. Il ne faut oublier qu'ils ne sont pas seulement présents à l'Université. Ils sont aussi implantés dans les lieux de travail, dans les usines, dans les grandes entreprises… On ne peut pas les ignorer.
Question : Les 23 et 25 janvier 2014, vos deux organisations avaient-elles manifesté ensemble ?
Mustafa Omar : Non, bien sûr, nous avions manifesté séparément. Ce serait suicidaire de travailler avec les Frères en ce moment. En ce qui concerne l'avenir, nous ne savons pas comment les Frères peuvent changer, nous ne savons pas comment la situation peut évoluer. Il ne faut jamais dire jamais.
En ce qui concerne les possibilités de travail en commun en ce moment, il faut prendre en compte deux aspects :
● 1. Avant d'arriver au pouvoir, les Frères disaient être pour la démocratie. Une fois au pouvoir, ils l'ont combattue. Maintenant qu'ils ne sont plus au pouvoir, ils peuvent dire à nouveau dire qu'ils sont pour la démocratie...
● 2. Cela dépend de la situation et de la mobilisation. S'ils sont d'accord pour participer à une mobilisation, c'est qu'ils sont d'accord avec les revendications de cette mobilisation. Cela ne signifie pas que nous allons oublier ce qu'ils ont fait dans le passé ou nous abstenir de les critiquer. Le problème en ce moment est qu'ils refusent de se joindre à toute mobilisation qui ne demande pas le retour de Morsi. Pour cette raison, il n'est pas possible de travailler avec eux.
Ils sont persécutés et très en colère. Il faut comprendre que des milliers d'entre eux sont en prison, des milliers sont torturés. Ils sont très en colère, même contre les Socialistes révolutionnaires.
Question : Vous dites défendre leur droit démocratique d'avoir un parti. Trouvez-vous que leur prétention à parler au nom de Dieu, à détenir la vérité absolue, est compatible avec la démocratie ?
Mustafa Omar : Je crois dans leur droit d'avoir un parti, je m'oppose au pouvoir qui s'attaque à la démocratie. Je peux expliquer aux gens autour d'eux que leur politique est néfaste. Mais l'État n'a pas le droit de décider qui doit avoir un parti ou pas.
Si c'était une organisation fasciste, ce serait une question différente. Je ne serais pas opposé à leur interdiction. Ils sont conservateurs, réactionnaires, mais pas fascistes.
Pour moi, le fascisme, c'est vouloir détruire complètement la démocratie, la classe ouvrière, les syndicats... Ce n'est pas leur volonté. Eux, ils sont simplement autoritaires. Ils sont à la fois conservateurs et réformistes. Ils sont de centre-droit. Ce ne sont pas des fascistes.
Question : Vous dites qu'ils sont autoritaires. L'autoritarisme est-il compatible avec la démocratie ? S'ils considèrent qu'ils possèdent la vérité absolue parce que c'est la parole de Dieu, pourquoi une fois au pouvoir laisseraient-ils s'exprimer des opinions opposées à la volonté divine ? Ce problème ne concerne pas que les Frères musulmans. Il concerne également le parti salafiste Nour.
Mustafa Omar : Ma réponse n'est pas une réponse absolue. En ce moment, par rapport à l'État, au moment où la classe dominante est en train d'effectuer une contre-révolution pour détruire complètement tout type de réalisation démocratique de la révolution du 25 janvier 2011, je suis opposé à ce que l'État interdise le parti des Frères musulmans ou le parti Nour. Dans une situation différente, si la révolution renaissait et se renforçait, je ne serais pas par principe opposé à l'interdiction de tels partis. Mais, en ce moment, le principal adversaire est l'État.
Question : Mais il y a un an, lorsqu'ils étaient au pouvoir, n'ont-ils pas essayé d'établir une dictature ?
Mustafa Omar : Non, ce qu'ils ont tenté de faire était de partager le pouvoir avec la classe dominante de l'ère Moubarak. Ils n'en ont pas eu l'opportunité. D'un point de vue formel, ils gouvernaient. Mais en réalité, la classe dominante du régime Moubarak ne leur en a pas laissé la possibilité.
Question : Mais n'ont-ils pas tué des opposants ?
Mustafa Omar : Certes ils ont commis des crimes et nous, les SR, n'avons pas cessé de manifester contre eux pendant un an. Nous avons été les premiers, avec le mouvement du 6 Avril à avoir manifesté contre Morsi, c'était le 31 août 2012. Nous ne voulons pas les blanchir de leurs crimes, mais ils ne dirigeaient pas vraiment l'Égypte, ils tentaient de partager le pouvoir avec les militaires, et la classe dominante en général. Ils ne pouvaient pas faire grand-chose. Tout ce qu'ils faisaient était saboté. Ils ont offert leurs services à la classe dominante et la classe dominante les a envoyés bouler.
Les Frères sont réactionnaires, je ne dis pas qu'ils sont progressistes. Mais 90 % des personnes tuées sous Morsi l'ont été par le ministre de l'Intérieur qui est toujours en place aujourd'hui. En fait, les Frères n'ont pas organisé de réelle mobilisation de masse de leurs membres avant la fin juin 2013, ils ne l'ont fait que juste avant le putsch du 3 juillet.
Pendant les 12 mois où ils ont été au pouvoir, leurs sièges ont été partout incendiés. La police et l'armée ont refusé de protéger leurs locaux. Ils ont refusé de mobiliser leurs membres pour engager une bataille de rue. Pas parce qu'ils étaient contre cela, ni parce qu'ils n'avaient pas la capacité de le faire. Mais parce qu'ils avaient l'espoir que l'État continuerait à leur faire confiance. Ils ne voulaient pas déstabiliser leur pouvoir. Je ne cherche pas à prendre la défense des Frères, mais d'essayer d'expliquer ce qui s'est passé pendant l'année où Morsi était au pouvoir.
Question : Tu dis que 90 % des personnes tuées l'ont été par la police, mais qui a tué les 10 % restants ?
Mustafa Omar : Il y a eu un incident majeur après le décret constitutionnel de novembre 2012 par lequel Morsi a tenté de s'arroger les pleins pouvoirs. Lorsque des confrontations avec des opposants aux Frères ont eu lieu le 4 décembre 2012 devant le Palais présidentiel, les Frères ont été battus et la plupart des morts pendant cette bataille étaient membres de la confrérie. Mais la seule victime dont on a parlé est Husseini Abou Deif, une icône de la révolution effectivement tuée par les Frères ce jour-là.
Cependant, les Frères ont perdu cette bataille à plate couture. Et ils n'ont plus jamais recommencé. Leur seul recours à la violence a eu lieu le 30 juin 2013, lorsque la foule est venue incendier leur quartier général au Caire. Des membres qui étaient à l'intérieur ont tué trois personnes. C'est dans un contexte précis. Ce n'est pas comme si les Frères étaient des brutes fascistes qui descendaient dans la rue pour massacrer les gens. L'État était d'une certaine façon impliqué dans l'incendie des locaux des Frères musulmans. Des dizaines d'entre eux ont été incendiés pendant l'année où Morsi était au pouvoir. Et lorsque Morsi disait à la police " arrêtez ça, s'il vous plaît », celle-ci répondait qu'elle n'avait rien à faire de leurs locaux.
Ce n'était donc pas une année où ils auraient réussi à imposer un ordre autoritaire. Leur projet était différent : il s'agissait de " vendre » à la classe dominante leur capacité à contrôler les masses grâce à leur base militante. Mais la classe dominante n'était pas intéressée. Elle l'avait été au début, mais une fois que la situation s'est stabilisée et que les Frères ont réussi à dévitaliser la révolution, ils avaient fait le boulot. La classe dominante leur a alors dit " au revoir et merci ». Ils avaient fait le boulot : ils avaient trahi la révolution.
Question : Mais trahir la révolution suppose qu'ils y avaient préalablement adhéré. Etait-ce vraiment le cas où l'avaient-ils simplement utilisée ?
Synthèse
Mustafa Omar : Ils l'ont bien sûr utilisée. En même temps, tous leurs membres ne sont pas opposés à la révolution. C'est pour cela que certains sont partis. Les Frères musulmans ont trahi la révolution, mais ce n'est pas eux qui l'ont tuée. C'est la classe dominante qui a tué la révolution. Les Frères l'ont simplement aidée en trahissant les gens qui ont voté pour eux dans cinq élections différentes. Et la majorité de leurs électeurs ne sont pas membres de la confrérie. Ils croyaient simplement que les Frères allaient instaurer la justice sociale et la dignité. Le 25 janvier 2011, ils s'étaient engagés à réaliser les objectifs de la révolution. Une fois au pouvoir, ils ont changé leur discours… ils ont donc trahi. 13 millions ont voté pour Morsi, alors que les Frères avaient seulement 5 millions de partisans. 8 millions ont voté pour Morsi parce qu'ils croyaient en la révolution et que Morsi avait dit qu'il accomplirait les tâches de la révolution. Au premier tour de la présidentielle, Morsi avait eu seulement 5 millions de votes. Au second, il en a eu environ 13. Et 10 millions ne voulaient pas le retour des hommes de Moubarak.
Question : Les marxistes disent que les staliniens et les sociaux-démocrates ont trahi la classe ouvrière parce que ces partis se réclamaient historiquement de la classe ouvrière et de l'anticapitalisme. Est-il justifié d'utiliser ce même terme à propos des Frères musulmans ?
Mustafa Omar : Les Frères étaient partie prenante de la révolution. Le 2 février 2011, lorsque des hommes de main de Moubarak montés sur des chameaux avaient attaqué les manifestants sur la place Tahrir, des Frères étaient présents pour les repousser. La révolution aurait été vaincue s'ils n'avaient pas été là et Moubarak serait toujours au pouvoir. Ils sont réactionnaires, droitiers, opportunistes mais ils ont participé à la révolution.
Nous pensons que Hamdine Sabahi a trahi le processus révolutionnaire en s'alignant sur la position des militaires après le coup d'État militaire de juillet 2013. Mais nous lui apportons à l'élection présidentielle un soutien critique. Nous ne nous sommes jamais alliés aux Frères.
Aux États Unis, les Démocrates font partie de la classe dominante, et pour cette raison, il ne faut pas voter pour eux. Les Frères, par contre, ne sont pas un parti de la classe dominante. C'est " un parti mixte ». S'ils appartenaient à la classe dominante, pourquoi des dizaines de milliers d'entre eux seraient-ils en prison ou tués ? Les Républicains n'ont jamais tué les Démocrates. Ces deux partis ne s'entre-tuent pas. Les Frères sont un parti de la classe moyenne qui est suivi par une partie non négligeable de la classe ouvrière. Je n'ai jamais vu George Bush demander que l'on mette la tête de Clinton sous la guillotine. Les Frères ne sont pas un parti de la classe dominante. Ils voulaient rejoindre la classe dominante. Ils ont été éconduits.
Question : Et comment se présente la situation du syndicalisme ?
Mustafa Omar : Terrible. Le gouvernement a imposé de nouveau la centrale syndicale de Moubarak. Et la nouvelle Constitution a plus ou moins mis hors la loi les syndicats indépendants. ■
* Mustafa Omar est journaliste au Caire et militant Socialiste révolutionnaire.