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Ceux qui diront "non" à la guerre demain

par Ilya Budraitskis
Dimanche 2 mars 2014. Rassemblement de protestation en Russie contre la guerre en Ukraine. © Evgeny Feldman

Dimanche 2 mars les rues de Moscou sont devenues l'arène des premières réactions sociales à la préparation par le pouvoir russe de l'intervention militaire en Crimée.

Il y avait, d'une part, les adversaires de la guerre qui se sont rassemblés devant le ministère de la Défense, puis sur la place du Manège. Plus de 1.000 personnes, se rassemblant spontanément dans une action antiguerre auto-organisée, vue l'actuelle atmosphère politique de Moscou, ce n'est pas mal. Sont venus les meilleurs de ceux qui restent du mouvement démocratique d'il y a deux ans, depuis les libéraux jusqu'à l'extrême gauche.

D'autre part, à 17h, a commencé la procession patriotique progouvernementale organisée comme d'habitude grâce à l'aide des " ressources administratives ».

La guerre n'a pas encore commencé, il est donc difficile de préjuger les contours politiques possibles d'un mouvement antiguerre de masse. Mais je suis certain que ce ne sera pas seulement un mouvement de gens sympathiques, corrects et honnêtes qui refusent les mensonges et la cruauté. Ce sera aussi le mouvement de tous ceux qui vont avoir à payer les frais d'une nouvelle guerre.

Il y aura même ceux qui, aujourd'hui, dimanche jour férié, craignant de na pas toucher leur prime mensuelle, se sont laissés entraîner par la " postpolitique » de Poutine pour défiler en défense de Poutine et de " notre Sébastopol ». De ces travailleurs du rang, qui baissent les yeux. De ces employées modestes habillées dans les manteaux des institutions. De ces étudiants timides et velléitaires qui veulent s'assurer leur avenir ou gagner quelques centaines de roubles. De tous ceux qui ont été utilisés dans les campagnes électorales pour qu'elles apparaissent comme populaires, ceux qu'on a forcé à danser en silence autour des tambours patriotiques.

Maintenant ils vont payer : pour l'effondrement du marché de demain, pour la brutale augmentation des prix, pour l'accroissement des dépenses militaires et parce qu'ils devront " se serrer la ceinture ». Leur vie se détériore rapidement, chaque jour le taux de change dégringole. Et lorsqu'une nouvelle fois on leur offrira de se détendre en regardant le spectacle de Kiselyov (1) sur les " bandéristes » (2), ils regarderont à un moment avec leur poches, vides… Et ils comprendront alors qu'ils se sont fait avoir. C'est un tel mouvement anti-guerre que Vladimir Poutine peut provoquer. Dans ce cas il n'aura plus qu'à fuir. ■

* Ilya Budraitskis, journaliste et chercheur, est militant de la section russe de la IVe Internationale.

notes
1. Dmitry Konstantinovitch Kiselyov est un journaliste russe, nommé à la tête de l'agence de presse Rossiya Segodnya par Vladimir Poutine en décembre 2013, spécialisé dans la propagande homophobe et grand-russe.

2. Les " bandéristes » vient du nom de Stepan Bandera, dirigeant de l'Organisation des nationalistes ukrainiens - fraction révolutionnaire (OUN-R) et un des fondateurs de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) qui mènera une guérilla contre les occupants allemands et contre les partisans polonais et soviétiques, puis contre l'URSS jusqu'en 1953-1954 et dont les partisans sont également accusés d'avoir liquidé des populations polonaises et juives en Ukraine occidentale. S. Bandera a participé à la proclamation le 30 juin 1941 à Lviv d'un nouvel État ukrainien, non reconnu par Hitler qui l'a fait emprisonner dans le camp de concentration de Sachsenhausen jusqu'en septembre 1944. Il a été assassiné en 1959 à Munich par un agent du KGB. En Russie et en Pologne le terme " bandériste » est employé par les chauvinistes en tant qu'insulte à l'encontre des Ukrainiens.

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Auteur·es

Ilya Budraitskis

Ilya Budraitskis, chercheur en histoire et en sciences politiques, enseignant à l’Université de Moscou, organisateur du mouvement anti-guerre jusqu’à son exil en 2022, est militant du Mouvement socialiste russe.