après l'adoption de la nouvelle Constitution, le nouveau gouvernement dirigé par Jomaâ va-t-il réussir à donner le coup de grâce au mouvement révolutionnaire ? La réponse dépend surtout de la capacité de la direction du Front populaire à corriger sa ligne politique et à revoir sa tactique et ses alliances. En tout cas, seules deux options demeurent possibles en Tunisie, celle de la liberté et du progrès social qui a été rendue possible par la chute du dictateur, et celle, au contraire, du retour d'un pouvoir politique répressif comme complément indispensable du régime néocolonial dominant
Tunis, le 11 février 2014
Après un blocage qui a duré plusieurs mois, la situation semble, comme par enchantement, s'acheminer vers un début de dénouement de la crise révolutionnaire, favorable aux forces conservatrices.
L'adoption, le 27 janvier, de la nouvelle Constitution, le vote de confiance, deux jours après, d'un nouveau gouvernement, d'une part ; leur accueil très favorable par les sphères impérialistes, d'autre part ; ont largement contribué à désamorcer la crise et à nourrir les illusions par rapport au nouveau gouvernement dirigé par Medhi Jomaâ.
Mais, c'est surtout, la décision du FMI, de l'Union européenne et de la Banque mondiale, de mettre fin à leur embargo financier, qui a le plus joué en faveur de la " trêve » avec l'octroi d'un prêt de 3,6 milliards, soit l'équivalent du cinquième du budget de l'Etat.
Les raisons de la joie exprimée des forces impérialistes sont : d'une part, l'épuisement du mouvement populaire, sous les effets conjugués de l'aggravation de la crise sociale et économique et de la montée de l'extrémisme islamique, qui a très fortement contribué à la dégradation de la situation sécuritaire et, d'autre part, de l'absence d'alternative progressiste crédible.
Il y a aussi, le recul des deux forces politiques apparues à la faveur de l'insurrection révolutionnaire, surtout le recul d'Ennahdha, mais aussi, dans une certaine mesure, celui de la coalition des forces de gauche et progressistes, le Front populaire.
Enfin, le retour en force de plusieurs figures politiques de l'ancien régime dont celles présentes dans la principale, Nida Tounes.
Par ailleurs, et malgré le mouvement de contestation populaire contre de nouvelles taxes qui a secoué la Tunisie, début janvier, le calme qui règne actuellement est assez significatif d'un profond désir, largement partagé, de retour au calme.
Le gouvernement Jomaâ bénéficie, contrairement au précédent, de plusieurs atouts :
D'une part, la neutralité bienveillante des principales forces politiques ;
D'autre part, l'appui de l'organisation patronale (Utica) et de celle, très importante, de la direction de la puissante centrale syndicale UGTT.
De plus, il bénéficie d'une manne inespérée de 3,6 milliards de dollars pour tenter d'acheter une " trêve sociale », jusqu'aux élections, prévues fin 2014.
Enfin, il semble que le FMI va revoir à la baisse ses exigences concernant les mesures d'austérité qu'il exige, en acceptant de les étaler sur une période plus longue, de juin 2015 à mars 2016. Le FMI, ne veut pas risquer d'attiser de nouveau la colère sociale avant les élections. Si cela se confirme, Jomaâ pourra maintenir intact le large soutien politique dont il bénéficie actuellement. Il pourra aussi compter sur le soutien de la moyenne bourgeoisie, assez influente en Tunisie, et qui a été très touchée par les retombées économiques et sécuritaires de la crise révolutionnaire.
La tâche essentielle de Jomaâ sera, avant tout, celle d'achever les grands chantiers des réformes structurelles voulues par le FMI et la Banque mondiale. Ils concernent les investissements étrangers, la fiscalité, le secteur financier, notamment la refonte des trois grandes banques publiques, la libéralisation du secteur agricole et celui des services, et surtout la libéralisation du transport aérien et des marchés publics.
En somme, l'enjeu réel du gouvernement Jomaâ est de réussir à fermer la parenthèse historique ouverte par l'insurrection révolutionnaire, et d'imposer, de nouveau, la paix néocoloniale en Tunisie.
Jomaâ va-t-il réussir à donner le coup de grâce au mouvement révolutionnaire ? La réponse n'est pas facile. Elle dépend surtout de la capacité de la direction du Front populaire à corriger sa ligne politique et à revoir sa tactique et ses alliances, notamment, celle avec Nida Tounes. Elle doit aussi se débarrasser de l'idée désastreuse de croire qu'il est possible de réussir la transition démocratique, sans que le combat pour les libertés ne soit associé à celui pour les droits économiques et sociaux. La réponse dépend, surtout, de l'attitude de la direction syndicale et de sa base face à la politique de Jomaâ et aux revendications soulevées par la révolution. En tout cas, seules deux options demeurent possibles en Tunisie, celle de la liberté et du progrès social qui a été rendue possible par la chute du dictateur, et celle, au contraire, du retour d'un pouvoir politique répressif comme complément indispensable du régime néocolonial dominant. ■
* Fathi Chamkhi est membre de la direction nationale du Front populaire, en tant que président de RAID (association tunisienne affiliée internationalement à ATTAC et au CADTM). http://www.tunisie.attac.org Il est par ailleurs militant de la LGO (Ligue de la gauche ouvrière), organisation liée à la IVe internationale.