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Tunisie : stop à la pollution néocoloniale !

par Collectif
« Les vies des Gabsiens·nes comptent » Manifestation contre le néocolonialisme, devant le ministère de l’industrie, à l’appel du Collectif Stop Pollution et de l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET). Tunis, 24/04/2025. © Malek Ben Dekhil, nawaat.media

Les régions tunisiennes de Gafsa et Gabès subissent depuis des décennies les pollutions catastrophiques provoquées par l’industrie du phosphate dans lesquelles la France a une responsabilité historique. En 2017, sous la pression des mobilisations du collectif Stop pollution à Gabès, l’Etat tunisien avait pris des engagements pour limiter la pollution.

Non seulement le Président Kaïs Saïed les a annulés mais, sous la pression de l’Europe et de ses multinationales (comme Total ou ENI), il vient d'annoncer, dans les mêmes régions, le lancement de l'industrie de l’hydrogène « vert ». Ces projets s’insèrent dans le « Green deal » européen, et dans la recherche d’une alternative au gaz russe. Contrairement à la couleur annoncée, ces projets vont faire peser sur les pays d’Afrique du Nord comme la Tunisie le très lourd coût environnemental des besoins énergétiques de l'Europe.

Nous, organisations et citoyen·nes européen·nes, apportons notre soutien au collectif Stop Pollution de Gabès qui lutte en Tunisie contre ces décisions. Nous ne pouvons pas rester silencieux.ses car les industries de l'hydrogène et du phosphate sacrifient les terres de la Tunisie, et la santé des Tunisiens·nes, au nom de notre consommation énergétique et de l’agro-industrie chimique.

Les méga-projets d’hydrogène annoncés par le ministère tunisien de l’Industrie, et co-rédigés avec l’agence de développement allemande GIZ, prévoient déjà au moins l’accaparement de 500 000 hectares de terres, et de 16 millions de m³ d’eau par an – l’équivalent de la consommation de 400 000 Tunisiens·nes.

La colonisation française a lancé l’industrie du phosphate dès la fin du 19ème siècle pour fabriquer des engrais pour l'agriculture intensive, ou des détergents. Le déchet du phosphate, le phosphogypse, radioactif et bourré de métaux lourds, pollue l'eau et provoque massivement des maladies comme le cancer.

En Europe, à partir des années 80, les mines de phosphates ont été fermées suite à des études qui démontraient leur danger pour la santé et la nature. Mais en Afrique, les mines sont toujours en activité. Toute l'industrie du phosphate et les rejets de phosphogypse se sont concentrés en Tunisie, au Maroc ou au Sénégal.

Depuis mars 2025, Kaïs Saïed a même retiré le phosphogypse de la liste des substances dangereuses. Une fuite en avant vers toujours plus de pollution, d'empoisonnement des populations, et du vivant dans son ensemble. Et la pollution touche encore l'Europe.En effet, l'utilisation du phosphate comme engrais, ou comme complément alimentaire pour le bétail, est l’une des sources du phénomène d’eutrophisation de l'eau et des pollutions aux algues vertes. C'est aussi la première cause de contamination au cadmium qui cause cancer, ostéoporose, troubles rénaux ou infertilité.

C’est donc un problème international de pollution, et si les dégâts les plus visibles sont dans le « sud », dans les régions d’extraction, l'Europe n'est pas épargnée.

L’un des principaux clients de la Tunisie, et qui produit sur place des centaines de milliers de tonnes d’engrais phosphatés par an, est la multinationale française Roullier. Les autorités françaises sont au courant de l’activité de Roullier, qu’elles félicitent régulièrement pour ses profits, tout comme elles connaissent bien les pollutions, puisque c’est la France qui a construit les premières infrastructures de l'industrie chimique tunisienne dans les années 50 à la fin de la période coloniale.

L’État français est un grand spécialiste des scandales de santé. Quand ce n’est pas chez nous, en Europe, qu’il en provoque, c’est chez nos voisins africains et arabes qu’il les exporte.

Mais en plus de la pollution déjà existante, l’État tunisien a donc annoncé la construction à Gabès d’une usine d’ammoniac, un gaz ultra-polluant et très explosif, fabriqué à partir d'hydrogène et qui sert principalement de matière première pour fabriquer des engrais, et du carburant de manière croissante.

Cette usine est la première étape de méga-projets qui seront menés par des multinationales européennes, en vue d’exporter vers le vieux continent des millions de tonnes d’hydrogène brut, ou sous forme d’ammoniac. Alors que le mouvement Stop Pollution avait obtenu l’arrêt de l’extension de la zone industrielle de Gabès, les besoins énergétiques de l’Europe, dans un contexte de guerres entre impérialismes, en ont décidé autrement.

Aujourd'hui, il est temps que cesse la pollution néocoloniale. Les États et les multinationales européennes impliquées doivent rendre des comptes.

Dès maintenant, nous réclamons, en Tunisie, comme partout en Afrique :

  • L’arrêt des rejets de phosphogypse. Au même titre que tous.tes les citoyen·nes du monde, les citoyens africain·nes ont droit à un environnement propre, sain et durable.

Et pour tous les projets industriels européens :

  • Une réelle concertation qui inclue les organisations impliquées dans le respect des droits sociaux et environnementaux, et représentatives des populations locales,
  • La mise en place de mécanismes de contrôle des multinationales en terme de responsabilité environnementale vis-à-vis des populations locales, de leur environnement et de l'ensemble du vivant.

Marseille le 16 avril 2025, publié sur le blog Mediapart.

Pour signer ce texte, c'est ici

Organisations signataires :

  • Les Amis de la terre 
  • Attac 
  • CADTM Comité pour l'abolition des dettes illégitimes 
  • CRID 
  • Survie 
  • Union syndicale Solidaires
  • Confédération paysanne
  • Greenpeace
  • European Civic Forum France 
     

Premier·es signataires :

  • Mathieu Rigouste, militant et chercheur indépendant
  • Emmanuelle Hellio, chercheuse et membre du CODETRAS (Collectif de défense des travailleur.euse.s étranger.ère.s  dans l'agriculture) ;
  • Maxime Combes, économiste
  • Fatima Ouassak, essayiste
  • Omar Benderra, Algeria-watch
  • Manel Ben Boubaker, professeure d’histoire géographe, syndicaliste et militante antiraciste
  • Alassane Dicko, militant pour la Justice sociale et le développement
  • Claude Mangin-Asfari, AARASD 94 - Association des amis de la République Saharaouie Démocratique du Val de Marne
  • Guigui Jaffar, militant pour la souveraineté des Comores
  • Georges Franco, artiste peintre
  • Luiza Toscane, militante pour le droit d'asile
  • Bernard Christian Rekoula, réalisateur activiste, défenseur des droits de l'homme et de l'environnement
  • Khadicha Bariha, cheffe-monteuse
  • Elodie Gueguen, journaliste
  • Allan Henry, journaliste