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Les politiques d'austérité incompatibles avec la santé

par
Ambulance su SAMU à Madrid. © Samur.

Le décret royal sur les " Mesures urgentes de sauvegarde du Système national de santé (SNS) et d'amélioration de la qualité et des prestations » obéit aux directives imposées par la troïka (FMI, BCE et Commission européenne) et à l'idéologie du Parti populaire (PP).

Madrid, le 16 octobre 2012

Un changement de modèle de santé

Le livret élaboré par le Ministère de la Santé et de la Consommation pour " expliquer » les mesures contenues dans le Décret Royal mentionné plus haut est truffé d'omissions et de mystifications sur les changements et les restrictions réelles qui découleront de son application.

Synthèse actualisée Inprecor

En premier lieu, cet opuscule justifie la réforme par l'énorme dette du système de santé. En deuxième lieu il invoque la crise économique actuelle. Pour une partie, cette dette dont on peut supposer qu'elle atteint 15 milliards d'euros, a été contractée de manière totalement inégale par chacune des Communautés Autonomes. Certains territoires l'ont accumulée sous une forme totalement frauduleuse, en se lançant dans des processus d'externalisation et de privatisation, conjointement à des entités privées et pour la construction d'hôpitaux. Ces processus ont été mis en œuvre à l'aide de formules telles que les concessions à des banques et des constructeurs, formules qui, comme le démontrent toutes les expériences de ce type, se sont avérées beaucoup plus coûteuses (entre 4 et 7 fois en ce qui concerne les hôpitaux de Madrid) que l'utilisation de leur propre administration tant pour la gestion que pour la construction.

En tout état de cause, il faut souligner que les dépenses de santé publique en Espagne s'élèvent à quelque 6,5 % du PIB alors que dans les 15 pays de la zone euro, elles atteignent une moyenne de 7,3 %, ce qui signifie que la dépense annuelle par habitant et par an est inférieure à la moyenne des pays de l'OCDE. De plus le taux de progression de ces dépenses est très modeste au cours des 10 dernières années (2,9 % face aux 4,3 % en moyenne dans l'OCDE). Si on ajoute à cela les indicateurs de santé de la population, on constate que les résultats obtenus sont meilleurs avec une quantité moindre en termes de santé, d'équité, de couverture et d'accès, de qualité et de sécurité des soins, de satisfaction des usagers et de légitimité du système selon l'opinion de la population, à l'exception des listes d'attente (selon le dernier rapport de l'Observatoire Européen des Systèmes et Politiques de Santé).

Les restrictions budgétaires subies par le Service national de santé sont également à l'origine de la dette, comme éléments d'une stratégie de plus grande ampleur mise en place dans la dernière décennie dans le but de détruire les services publics et de gagner la bataille d'adhésion de l'opinion publique à la politique de privatisation. Il en est résulté une carence financière énorme qui s'est traduite par l'allocation de crédits exceptionnels à la fin de chaque année.

La crise qui frappe actuellement le pays est le second motif invoqué par le gouvernement pour justifier le changement de système de santé. Comme on peut le vérifier, il n'est pas possible d'imputer la responsabilité de cette crise à un niveau excessif de dépenses publiques, l'Espagne se situant dans le peloton de queue des pays de l'UE en matière de dépenses sociales. Il en va de même pour le refrain éculé " nous avons vécu au-dessus de nos moyens », que le pouvoir tente d'instiller dans la population pour qu'elle accepte les restrictions. La crise a libéré les grands groupes financiers et spéculateurs — le grand capital dans sa logique de taux de profit — et a approfondi et étendu les politiques d'austérité, appliquées par les gouvernements soumis aux stratégies imposées par le FMI, la BCE et la Commission européenne (la troïka). Pour autant, les issues de cette crise ne passent pas par la réduction de la dépense publique, ni par la baisse des salaires et des pensions qui réduiraient les droits sociaux à des niveaux antérieurs encore inimaginables il y a peu.

Par ailleurs, le pouvoir profite de la crise pour implanter une politique profitant aux seuls intérêts des grandes banques et des grandes entreprises (soit à 1 % de la population). Cette politique est une véritable supercherie. Prétendre que cette réforme est menée dans le but de garantir la viabilité économique du Système national de santé (SNS) est une tromperie non seulement parce qu'elle est appliquée avec les réductions dont l'application a commencé, mais également parce qu'elle n'a jamais été prévue pour offrir cette garantie.

Il est clair que des économies pourraient être réalisées via un budget qui atteint les 90 milliards d'euros par an, en gagnant en efficacité et en améliorant la coordination pour éviter les doublons et les dépenses excessives de technologie de pharmacie (1). Il en résulte que la seule alternative qui a été mise en œuvre est faite de réductions de personnel et ressources humaines, avec des fermetures de sites, suppressions de lits, de services hospitaliers, services ambulatoires et services d'urgence. Le transfert d'hôpitaux, de services, de centres d'imagerie médicale et de laboratoires au secteur privé afin qu'il gère les prestations de santé, en faisant des profits sur les fonds publics, en est l'illustration la plus spectaculaire.

L'affirmation par le ministère que le but de toute cette politique est de " toujours préserver le droit des citoyens à la protection de leur santé et de garantir qu'en Espagne, la couverture santé reste universelle, publique, gratuite et de qualité », est de nouveau et tout simplement fausse. Il faudrait en premier lieu signaler que le droit à la santé est attaqué dès lors que ne sont pas accordées des conditions d'accès égalitaire et gratuit, exactement ce que cette réforme supprime. Il en résulte l'exclusion des citoyennes et citoyens qui n'ont pas cotisé à la sécurité sociale qui n'est plus un service universel exclusivement soumis au droit inhérent à toute personne et qui est devenue une simple compagnie d'assurance, abusivement dénommée Sécurité Sociale, qui protège uniquement ses cotisants.

Les soins de santé ne peuvent pas plus constituer un service public dès lors que, pour une bonne partie de la population, ces soins sont délivrés par des institutions privées, De plus, ces prestations de santé ne sont pas réellement gratuites car la réforme a instauré le paiement de certains services et médicaments, ce qui en interdit l'accès à une partie de la population. Cette disposition est confirmée par l'annonce de la limitation des prestations aux services de base dont la liste reste à définir et dont seront donc exclus un certain nombre de services.

La situation sociale

La situation sociale est dramatique pour une part importante de la population, et les données récentes ne font que le confirmer. Et de plus, avec les chiffres dont nous disposons, nous ne faisons qu'en entrevoir certains aspects. Selon Eurostat, l'Espagne est parmi les derniers des 27 pays de l'UE, suivie uniquement de la Lettonie et de la Lituanie, dans le classement du coefficient Gini qui détermine l'inégalité dans la répartition des revenus par foyer. Le taux de pauvreté et d'exclusion sociale atteint 25,5 % de la population en Espagne, quand la moyenne est de 21,7 % dans l'UE et de 21,6 % dans la zone euro. Les tout derniers chiffres de l'Enquête de Population Active (EPA) de juillet 2012 indiquent un taux de chômage de 24,63 % de la population active, mais qui atteint 52,1 % dans le cas des jeunes de moins de 25 ans et 35,76 % en ce qui concerne les travailleurs immigrés. Toutes les personnes sont sans emploi dans 1 737 600 foyers.

Selon les chiffres fournis par la banque nationale Banco de Espa±a, le revenu moyen par foyer s'élevait à 10.571 euros en 2010 contre 11.120 euros en 2009. Selon l'Institut national de la statistique (INE), le salaire annuel brut moyen était de 22.790 euros pour l'année 2010, mais le salaire le plus souvent constaté était de 16.500 euros. Et les montants moyens des pensions de retraite contributives et non contributives étaient respectivement de 805 euros et 366 euros mensuels.

Ces caractéristiques sont celles d'un pays qui présente de grandes inégalités sociales, avec un quart de sa population en dessous du seuil de pauvreté dont quasiment un quart de ses travailleurs et chômeurs et la moitié des jeunes, tandis que la majorité de la population se classe dans la catégorie des mileuristas, néologisme qui désigne les travailleurs dont le revenu mensuel avoisine les 1.000 euros. À ceux-ci s'ajoutent les retraités qui perçoivent uniquement des pensions de subsistance. Si on ajoute les annonces de nouvelles baisses, le pays après avoir compté sur un prêt de 100 milliards d'euros pour sauver les banques, est en train de négocier un nouvel emprunt pour sauver le pays, il faut s'attendre à la poursuite des politiques d'ajustement.

Nous nous trouvons en face de la plus grande offensive de ces dix dernières années contre les conditions de vie des citoyens, une situation de véritable urgence sociale. Après la faillite du système financier en 2008, l'extension de la crise à l'économie réelle des pays au centre de cette tourmente et l'effondrement des recettes néolibérales, le capitalisme retrouve le chemin de l'accumulation par dépossession, en spoliant les droits arrachés par les luttes des classes laborieuses, en s'appropriant les ressources naturelles et publiques, ce qui rend la situation incompatible avec une vie digne.

Les conséquences pour la santé

Le nouveau modèle de système de santé modifie radicalement l'orientation du système de santé. La prévention de la maladie et la protection de la santé sont totalement abandonnées, de même que la planification basée sur les besoins de santé. L'objectif est maintenant de " satisfaire la demande » des usagers, la convertissant ainsi en marchandise, en objet de consommation, en une assistance qui use et abuse des hautes technologies et des dépenses de pharmacie, étant donné que ce sont les éléments du système qui génèrent les profits les plus importants pour les grands monopoles du secteur.

Le système met un terme à la couverture universelle, à l'égalité dans l'accès aux soins et réduit les attributions de divers organismes exclusivement aux urgences, ce qui est non seulement un facteur de dégradation de la santé de ces personnes mais provoque des problèmes de santé publique qui peuvent s'étendre à toute la population.

En définitive, le modèle de système de santé, qui réduit les prestations, fait payer pour d'autres et expulse les citoyens les plus vulnérables, finit par provoquer des tragédies et des morts qui pourraient parfaitement être évités. Pour toutes ces raisons, le modèle de système de santé qui se profile avec le Décret Royal 16/2012 est un modèle inhumain, xénophobe qui ne garantit pas le droit à la santé à l'ensemble de la population et qui augmente le taux de morts par maladie dans des couches sociales définies.

Stratégies et alternatives

Nous sommes plongés dans une crise mondiale d'une ampleur sans précédent. En dépit des nombreuses comparaisons et études sur les crises antérieures, il ne semble pas que la crise actuelle présente de nombreuses similitudes. C'est la raison pour laquelle les stratégies qu'il nous faut mettre en œuvre, pour que la sortie de crise ne se traduise comme jusqu'à présent par une rechute sur le dos des citoyens, devront s'adapter à cette nouvelle situation. À leur tour, elles devront être réfléchies, débattues et au final appliquées selon de nouveaux modes. L'avènement du printemps arabe a pu nous fournir quelques enseignements à ce sujet, de même que le mouvement des indignés partout dans le monde. En ce qui nous concerne, le mouvement 15-M a, dès le 15 mai 2011, ouvert la voie à l'exploration d'une autre forme d'actions.

L'histoire récente des syndicats majoritaires fervents de négociations et de pactes, montre leur manque de démocratie interne et leur perte de légitimité en conséquence de leurs méthodes bureaucratiques. Il est donc nécessaire d'impulser l'auto-organisation des travailleuses et des travailleurs en favorisant la prise de conscience et, par une participation démocratique, la prise de décisions. Il faudra parallèlement animer l'organisation d'une citoyenneté indignée par la détérioration des conditions de vie qu'elle endure. Face à la négociation et aux accords auxquels les syndicats majoritaires nous ont habitués, face aux connivences entre la majorité et la gauche institutionnelle, nous devons impulser des mobilisations massives et permanentes et provoquer ainsi la convergence de tous les secteurs en lutte. L'unité d'action est nécessaire pour ne pas rester sur des mobilisations symboliques sans répercussion réelle qui ne font que démobiliser, et de poursuivre des objectifs clairs débattus et acceptés démocratiquement. Nous devons également être conscients du fait que cette lutte ne peut être gagnée uniquement par la mobilisation des secteurs les plus conscients. Elle nécessite l'adhésion de la majorité des citoyens pour obtenir une corrélation des forces meilleure qu'actuellement, en essayant d'unir nos forces pour parvenir autant de fois que possible à impliquer les organisations les plus grandes, de même que les plus sectaires à certaines occasions. Et nous devons également nous rappeler en permanence que les luttes doivent dépasser le cadre des frontières des pays de l'UE.

La stratégie de défense de quelques services publics de santé doit s'inscrire dans un discours global qui articule largement les objectifs avec les revendications auxquelles les personnes sont les plus attachées. Il est donc nécessaire de comprendre que l'offensive contre les services publics et la volonté de démantèlement de ceux-ci s'inscrivent dans les politiques d'austérité : attaque contre les salaires, la journée de travail, les pensions, les libertés et la démocratie elle-même, impulsées par la troïka et appliquées par les gouvernements de l'UE. Cette préoccupation place la bataille idéologique au premier plan, car toutes ces politiques sont incompatibles avec la santé du peuple.

Pour triompher, ces politiques intègrent, bien sûr, la nécessité de vaincre la classe laborieuse et ses organisations. Les réformes du droit du travail, les agressions contre les syndicats, contre le droit à la négociation collective, contre le droit de grève, contre le droit de manifestation, etc., en sont les illustrations quotidiennes.

Sur le terrain de la santé, il nous appartient de faire des propositions pour arriver à prendre le contrôle des services publics, en tenant compte de certaines questions de base :

► l'impact inadéquat des systèmes de soins sur la santé, car en période de crise comme celle que nous traversons aujourd'hui, ce contrôle prend plus d'importance ;

► comment la santé est majoritairement conditionnée par les déterminants sociaux, la situation de classe et de genre ;

► l'importante médicalisation de la vie quotidienne en raison de l'influence de l'industrie bio-technologique et pharmaceutique.

Nous pensons également que ces services devraient être décentralisés, contrôlés par les citoyens dans toutes les phases des projets, de leur mise en œuvre, de l'organisation, de la planification de la gestion et de la politique de soins. Avec des critères d'organisation et de planification pour combattre les inégalités d'accès aux soins, ainsi que l'universalité et l'équité comme axes directeurs. L'exigence d'un financement public nous amènera à mettre en place une réforme fiscale progressive accompagnée de la suppression des impôts indirects pour le financement de la santé. Et cette exigence nous amènera à exiger le non-paiement de la dette et la nationalisation de tout le secteur privatisé. ■

* Carmen San José Pérez, médecin, est syndicaliste du Movimento Asembleario des Trabajadores de la Salud (MATS). Cet article a été d'abord publié par la revue Viento Sur (Traduit de l'espagnol par Antoine Dequidt)

notes
1. " La Sostenibilidad del Sistema Sanitario P·blico. 12 Propuestas para garantizarla », FADSP, Janvier 2011.

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