<b>Résultats des élections législatives du 17 juin</b>
ND (droite) : 29,66%, soit 129 sièges sur les 300 du Parlement.
Syriza (gauche radicale) : 26,89% voix et 71 députés.
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<li><a href="article-inprecor?id=1310">Partie 1.</a></li>
<li><a href="article-inprecor?id=1311">Partie 2.</a></li>
<li><a href="article-inprecor?id=1316">Partie 3.</a></li>
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Autrement dit, la Grèce ne se résume plus à un ensemble d'îles où le soleil est resplendissant, l'eau bleue (sic) et l'ouzo supérieur au pastis français…Un lieu de vacances et de tourisme. La Grèce est au "centre de la crise politique» de l'UE. Plus exactement de ce qui peut devenir : soit un exemple de résistance politique aux politiques du FMI, de l'UE et de la Banque centrale européenne (BCE), comme institutions du capital financier ; soit un exemple de passage en force des politiques d'austérité destructives d'une société comme de la résurgence d'une extrême-droite accompagnant la mise en place d'un État fort. Sur ce plan, on est à un carrefour d'un vaste "réseau ferroviaire» où le centre de commandement est constitué du noyau dur de l'UE: Allemagne, Autriche, Luxembourg, Pays-Bas, France, Nord de l'Italie - et de manière associée la Norvège, la Suisse, la Suède, la Finlande - qui seront les places fortes du capital. Et cela est à replacer dans le contexte de ses desseins de réorganisation spatiale de l'accumulation du capital en Europe, avec ses périphéries au sud et à l'est.
Cet ensemble doit être replacé dans le cadre d'une mondialisation du capital en crise et en développement (les deux vont de pair) ayant des pôles en compétition aussi bien au plan politique qu'aux plans économiques et militaires. Un affrontement qui n'est pas effacé par la transnationalisation de la chaîne productive de la valeur ajoutée et de ses "retombées» (les transnationales industrielles, agroalimentaires, financières, assurantielles, logistiques, foncières) qui ont fait une avancée fulgurante ces 20 dernières années.
Certes, pour l'heure, l'Espagne est plus au centre de la crise systémique bancaire de la zone euro où se profilent les signes d'une crise d'illiquidité (credit crunch). Mais ce n'est pas le sujet de cet article.
Une population condamnée
Trois jours avant les élections du 17 juin, un "paysage» est oublié. Quasiment tous les jours, des annonces de suicides paraissent dans la presse grecque - en grec, comme semblent l'oublier les "spécialistes» français, ou encore plus, les "analystes» allemands - décrivant ces tragédies individuelles. En fait, elles traduisent celles d'une société traumatisée.
Le 12 juin 2012, un retraité, un militaire à la retraite, a pris son fusil et a quitté sa maison, située dans le quartier de classe moyenne supérieure Kifissia, dans le nord d'Athènes. Il a marché quelques centaines de mètres et s'est tué au milieu de la rue. Cet ingénieur chimiste, âgé de 75 ans, entré à l'armée en lien avec son métier, a laissé un message à sa femme et à ses deux enfants: il ne pouvait faire face à ses dettes, à la crise économique. Il leur donnait des instructions pour la gestion de l'épargne familiale. La Grèce a connu, en deux ans, quelque 2000 suicides, pour l'essentiel des hommes. La cause souvent rendue explicite: l'endettement privé, le chômage, la perte de tout revenu. Or, la Grèce était un pays, avant 2010, réputé pour un taux de suicide particulièrement bas; moins d'un tiers de la moyenne européenne, selon Eurostat.
Toujours le 12 juin, un homme jeune, âgé de 36 ans, s'est jeté de son balcon. Il en est mort. Cela s'est passé dans le quartier de Sepolia, une banlieue à l'ouest d'Athènes. La conurbation athénienne rassemble près de 40% de la population du pays. Il était chauffeur de taxi, au chômage depuis deux ans. Il vivait avec ses parents. Son père était aussi chauffeur de taxi, sans emploi. Les "difficultés économiques» - selon la formule de la presse stylée afin d'anesthésier l'information - assaillaient la famille. Seule la mère disposait d'un petit revenu. Il se suicida en l'absence de ses parents. Le troisième suicide en 24 heures. L'autre, un petit artisan endetté et sans perspective, âgé de 61 ans, s'est pendu dans un parc public, dans le quartier de Nikaia, dans la périphérie de la capitale. Un paysan de Crête, le 10 juin, à Pyrgos, a mis fin à ses jours, en avalant des pesticides.
Une partie d'entre eux laissent donc des messages. Les motivations de ces actes de désespoir sont similaires. Toutefois on peut constater que les options politiques - au sens général et lorsqu'elles sont exprimées - de ces êtres dévastés, comme le pays, sont fort différentes. Il faut le comprendre pour saisir effectivement une dimension, pas assez mise en relief, de la situation en Grèce. De facto, ce sont des anneaux d'une chaîne de "mise au pas» de l'économie grecque, chaîne qui étrangle la population.
Mercredi 4 avril 2012, à 8 heures 45, un homme de 77 ans s'était tiré une balle dans la tête, au cœur d'Athènes, sur la place Syntagma, esplanade centrale de la capitale. Ce pharmacien à la retraite, pas endetté, Dimitris Christoulas, a mis fin à ses jours sur cette place qui fait face au Parlement. Ce symbole des deux clans politiques dominants - la Nouvelle Démocratie (ND, droite) d'Antonis Samaras et le PASOK (Mouvement socialiste panhellénique) de la famille Papandréou, actuellement dirigé par Evangelos Venizélos - qui ont conduit la Grèce, avec leurs alliés du Capital, au désastre présent. Dimitris Christoulas a laissé une lettre qui, selon la déclaration de sa fille, "traduisait la voix et l'engagement politique de son père». Il avait été présent lors de diverses manifestations sur cette place Syntagma. Il affirmait dans un billet retrouvé dans sa poche: Le gouvernement d'occupation [de Georges Papandréou et, avant, de Samaras et Karamanlis] à la Tsolakoglou [gouvernement de collaboration avec les Allemands, installé pendant la Seconde Guerre mondiale] a véritablement réduit à néant la possibilité pour moi de survivre grâce à une retraite digne, pour laquelle moi, et moi seul, ai payé, 35 ans durant, sans soutien de l'Etat. Comme j'ai maintenant un âge qui ne me permet pas une action individuelle dynamique - sans toutefois exclure, si un Grec en venait à se saisir d'une kalachnikov, que je sois le second -, je ne trouve pas d'autre solution qu'une fin digne, avant de me mettre à faire les poubelles pour me nourrir. Je crois que les jeunes sans avenir, un jour, prendront les armes et sur la place Syntagma, ils pendront par les pieds les traîtres à la nation comme les Italiens ont fait avec Mussolini, en 1945, Place Loret, à Milan.» Rage et désespoir, résistance et abattement coexistent, comme dans toutes les crises de cette ampleur, durant une période du moins. Le mercredi soir, ce 4 avril, plus d'un millier de personnes se sont recueillies sur la place Syntagma. Elles ont déposé des messages et des bouquets de fleurs. Un appel au rassemblement avait été lancé via les réseaux sociaux autour du slogan: "Ce n'était pas un suicide. C'était un meurtre. Ne nous habituons pas à la mort.»
A 22 heures, la police spéciale - au sein de laquelle l'extrême droite est fort implantée - dispersait les personnes présentes avec des gaz lacrymogènes, spéciaux, régulièrement utilisés. Ils sont livrés par Israël qui les utilise contre les Palestiniens; les motos BMW, nouvelles, sont livrées par les autorités allemandes, solidaires de l'imposition d'un certain ordre.