Financé par le budget de l'État depuis 1950 (1), le système de santé polonais a subi les restrictions budgétaires depuis le milieu des années 1970. Les bas salaires, le manque du personnel médical, l'introduction de plus en plus fréquente de services payants (médicaments importés etc.) dans les hôpitaux au cours des années 1980, la corruption généralisée allant de pair avec le développement des centres de santé " coopératifs » payants d'une part et avec le rejet de la dictature après le coup d'État du 13 décembre 1981, ont généralisé au sein de la société le rejet de l'étatisme et l'idéalisation " du privé », réputé plus efficient.
Contre-réformes
La première contre-réforme, introduite par le gouvernement de Jerzy Buzek (2) en 1997, visant un financement mixte du système de santé (partiellement par une assurance, partiellement par le budget de l'État) a conduit à la création de 16 caisses d'assurance régionales, financée par des cotisations prélevées en même temps que l'impôt sur le revenu. JR Cette décentralisation allant de pair avec la création de centres de santé publics autonomes et des centres de santé non publics a conduit à de nombreux abus permettant un début d'accumulation du capital dans le secteur des services de santé. En 1998 la propriété des hôpitaux publics de proximité a été transférée de l'État aux régions, cantons et localités, dorénavant responsables de leur déficit.
En 2004 les caisses régionales ont été transformées en départements régionaux du Fonds national de santé (NFZ) qui financent par contrats annuels les services de santé, qu'ils soient ou non publics. Ce système de contrats a servi à restreindre les ressources des hôpitaux publics et autres centres de santé, conduisant à l'impossibilité de financer certains actes médicaux lorsque le nombre annuel de ces actes prévu dans le contrat était atteint (3). Le temps d'attente des patients a été démultiplié de cette manière, les forçant à recourir à des services de soins privés, non remboursés mais disponibles rapidement, permettant le développement accéléré de l'accumulation du capital dans le secteur de la santé.
Le gouvernement néolibéral de Donald Tusk (4) a fait voter en avril 2011 une loi sur l'activité de soins de santé, qui oblige les régions et les municipalités, s'ils n'ont pas " commercialisé » (5) les hôpitaux, de couvrir leur déficit au cours des trois mois qui suivent la clôture des comptes annuels. Les collectivités publiques qui vont " commercialiser » leurs hôpitaux ou centres de santé pourront demander l'annulation de leurs obligations juridiques (dettes etc.). Cette loi interdit également la création de nouveaux centres de santé publics (6). Enfin le loi prévoit la possibilité de rallonger le temps de travail de certains métiers médicaux et de faire travailler les infirmières dans ces entreprises commercialisées non seulement sur la base d'un contrat de travail, mais également en tant que " entrepreneurs individuels » sur la base d'un contrat commercial (7). Enfin le gouvernement envisage d'augmenter de 3 % (8) le montant de la cotisation obligatoire salariale de sécurité sociale, pour financer le déficit du secteur de santé…
Les buts du gouvernement
Zbigniew Zdónek, médecin et animateur du secteur de santé du Parti polonais du travail, explique l'actuelle contre-réforme : " L'an dernier le Fonds national de santé (NFZ) a dépensé 57 milliards zloty (14,37 milliards euro) pour financer les soins de santé. Les Polonais ont dépensé autant de leur poche pour les visites médicales, les soins et les médicaments. Ce marche va encore croître car la société vieillit et que nos dépenses de santé vont augmenter. Cela signifie qu'en un an nous dépensons la moitié de ce que durant les dernières dix ans nous avions versé sur les comptes des Fonds privés de retraites. Et comme par hasard, en même temps que du fait de la récente modification de la reforme des retraites l'État a privé — à juste titre — le marché des capitaux de près de 20 milliards de zlotys, qui durant les dix dernières années y étaient versées à perte, et augmentaient ainsi la dette de l'État, comme le premier ministre Donald Tusk a lui même fini par remarquer, la voie a été ouverte pour des nouvelles assurances de santé. La réforme des soins de santé réduit les hôpitaux au rôle d'entreprises typiquement mercantiles, financées par divers payeurs. De cette manière le premier ministre a ouvert au marché des capitaux l'accès à beaucoup plus d'argent. Il paraît qu'il le fait dans notre intérêt. Il y a dix ans, alors qu'il était coalisé avec l'Action électorale Solidarité, c'est aussi dans notre intérêt qu'il réformait les retraites — aujourd'hui il est obligé de faire un pas en arrière car sa solution coûte trop cher à l'État polonais. » (9)
" Les politiciens de la Plateforme civique savent comment s'enrichir au détriment des ressources publiques. Cela fait 20 ans qu'ils l'expérimentent. Depuis deux ans ils introduisent leur projet au travers de la ministre de la santé, qui veut passer pour hystérique mais qui savait très bien ce qu'elle faisait lorsqu'il y a deux ans elle a limité les compétences des médecins généralistes, leur interdisant de diagnostiquer et de soigner correctement les patients. Ce geste apparemment insignifiant a réorienté les patients vers les centres médicaux spécialisés. Des millions de patients se sont tourné vers les spécialistes, mais la ministre n'a pas prévu de financements pour cela et comme les spécialistes n'avaient plus de contrats, ils ne pouvaient accueillir ces patients. ce sont les hôpitaux publics qui les ont reçus, car ils doivent le faire. Mais les limites d'actes médicaux des hôpitaux n'ont pas été augmentés, c'est à dire qu'ils n'avaient pas le financement pour ces patients supplémentaires. Cela a provoqué leur endettement croissant. Alors la ministre a commencé à dire à haute voix qu'il s'agit des ressources publiques et que les société commerciales seront plus efficientes. Mais quelle commerce dans le monde pourra faire du profit si on ne lui paye pas une partie des prestations de services, dans le cas des hôpitaux les dites surcharges ? Ainsi organisée la mort des hôpitaux publics a été planifiée. Elle a ouvert la voix pour qu'ils soient repris par les capitaux privés. Le clé pour cela c'est la récente loi, signée par le président B. Komorowski, qui il y a seulement un an affirmait que la privatisation des hôpitaux était contraire à ses idéaux. » (10)
Les effets des privatisations
Les exemples de ce que provoquent les privatisations des hôpitaux déjà effectués ne manquent pas.
Ainsi après avoir privatisé il y a deux ans l'hôpital public de Ruda Slaska, le maire A. Stania (PO) a du chaque mois consacrer 200 000 zlotys du budget de la ville pour financer la nouvelle société anonyme. Pourtant " le syndicat libre "Août 80" de cet hôpital et le Parti polonais du travail avaient élaboré un projet de plan pour sauver l'hôpital. Les citoyens se sont regroupés pour faire signer une pétition réclamant le maintien de l'hôpital public moyennant une cotisation citoyenne de 10 zloty mensuels de chaque habitant majeur. Les habitants auraient ainsi pu prendre le contrôle de l'hôpital en mains, aider à son financement grâce à 5 millions de zlotys collectés annuellement ! En trois ans nous aurions un hôpital moderne et tout l'argent collecté pourrait servir à développer la prévention et à soigner les malades. Et qu'avons nous à la place ? Une société commercialisée qui génère chaque mois un déficit de 200 000 zloty et la perspective qu'elle finira privatisée, car telle est la loi… du marché. » (11) Mais aux élections municipales de novembre 2010 le maire responsable de ces machinations a perdu et a été remplacé par Grazyna Dziedzic, tête de liste d'une initiative citoyenne soutenue par la Parti polonais du travail.
Le chef du canton de Krosno Odrzanskie, également membre de PO, a transféré la gestion de l'hôpital cantonal à une société anonyme de Szczecin. Celle-ci a réalisé le " miracle » typique pour ceux de son espèce : elle a réduit les coûts des soins et la charge salariale. Dans ce canton de 60 000 habitants, elle n'a employé qu'un seul médecin dans le service interne, qui était également le chef de ce service, le directeur médical de l'hôpital, le médecin du service des soins palliatifs et le médecin du centre de diabétologie… Grâce à de telles réductions du personnel l'entreprise a fait de gros bénéfices et à la fin de l'année elle a pu racheter un des hôpitaux pour 6 millions de zlotys. Z. Zdónek commente : " Le fait que les patients atteint de crise cardiaque n'avaient pas de garantie de transport sanitaire, qu'il n'y avait pas de médecin capable de recevoir un patient gravement malade. Les gens mourraient. Mais ce ne sont pas eux qui comptent, ce sont les bénéfices… » (12)
Résistance… victorieuse !
Le chef, élu de PO, du canton de Swidncia, lourdement endettée, a tenté de " commercialiser » l'hôpital public " Latawiec ». Le Syndicat national des infirmières et sages-femmes OZZPiP, soutenu par le Syndicat libre " Août 80 » et le Parti polonais du travail ont décidé de lutter.
" Nous sommes contre la commercialisation et en conséquence la privatisation de l'hôpital — expliquait Elzbieta Pieprz, présidente de l'OZZPiP de Swidnica lors d'une réunion publique en mars dernier. — Nous voulons défendre nos emplois ! Nous sommes prêtes à toutes les formes de lutte, y compris la grève d'occupation. » " Lorsque des infirmières acceptent de travailler avec des contrats commerciaux, cela provoque déjà des conflits. Mais un employeur privé voudra le maximum d'économies. La privatisation mettra en danger non seulement les emplois, mais aussi les contrats de travail », expliquait Marta Galeczka du conseil d'autogestion infirmier de " Latawiec » (13).
Le 13 avril un comité de défense de l'hôpital public de Swidnica a été créé. " Nous luttons pour le bien des salariés, car objectivement travailler dans un hôpital public c'est mieux que dans le privé. Mais nous luttons aussi dans l'intérêt de nos patients. Les cas des hôpitaux transformés dans les environs, à Swiebodzin, Dzierzoniow ou Zabkowice Slaskie, montrent bien qu'on n'y soigne que les cas ne pouvant être transportés ou les cas légers, donc rentables. Les patients avec des maladies plus lourdes sont envoyés chez nous. Les hôpitaux privés s'orientent en fonction du profit, car c'est ce que le Code commercial leur impose », expliquait Elzbieta Pieprz en appelant à la constitution du comité (14). Le comité a rassemblé des syndicalistes (OZZPiP et " Août 80 »), les organisations professionnelles (infirmières, sages-femmes et médecins), les partis politiques — outre le Parti polonais du travail (PPP), également l'Alliance de la gauche démocratique (SLD, social libéral) et Loi et Justice (PiS, droite populiste), les patients et de nombreux citoyens de Swidnica. La pétition du comité a reçu des milliers de signatures (15). Finalement, les autorités ont reculé : le 2 juin la commission cantonale qui devait présenter le projet de " commercialisation » a mis fin à ses travaux, sans oser proposer un tel projet ! ■
* Jan Malewski est rédacteur d'Inprecor. Cet article n'aurait pu être écrit sans l'aide de Zbigniew Zdónek (médecin, animateur du secteur de santé du Parti polonais du travail), Iwoana Borchulska (vice-présidente nationale du Syndicat des infirmières et sages-femmes OZZPiP), Krystyna Ptok (vice-présidente de l'OZZPiP de la région de Silésie), Elzbieta Pieprz (présidente de l'OZZPiP de Swidnica) et Luiza Nowaczynska (militante de OZZPiP de l'hôpital "Latawiec" de Swidnica), qui ont présenté la situation de la santé en Pologne et raconté leurs luttes lors de la Conférence européenne pour la défense du service public de santé, les 7-8 mai à Amsterdam.
2. Jerzy Buzek, Premier ministre de l'Action électorale Solidarité, a été balayé lors des élections législatives d'octobre 2001, ne parvenant pas à dépasser le seuil de 8 % des suffrages exprimés exigé pour les coalitions électorales (5 % pour les partis politiques) et n'ayant plus aucun député. Cet échec n'a pas mis fin à la carrière de J. Buzek, élu député européen en 2004 sur la liste de la Plateforme civique (PO) et président du Parlement européen depuis 2009.
3. Fréquemment au cours du second semestre de l'année…
4. Donald Tusk, fondateur du Congrès Libéral Démocratique (KLD) en 1991, puis de la Plateforme civique (PO) en 2001, est Premier ministre depuis les élections d'octobre 2007, à la tête d'un gouvernement de coalition entre PO et le parti agrarien PSL. Son candidat à la présidence de la République, Bronislaw Komorowski, a remporté l'élection présidentielle en juin 2010, assurant à PO le contrôle total des institutions étatiques et lui permettant d'accélérer la politique de contre-réformes ultra libérales, dont celle de la santé.
5. Par " commercialisation » on entend ici la transformation en société commerciale, même si la région, la ville ou le canton restent propriétaires des actions de cette entreprise. Il s'agit donc d'un pas vers la privatisation.
6. A l'exception de la création d'un nouvelle entité, par la fusion de deux entités publiques préexistantes.
7. Le contrat commercial permet à l'employeur de ne pas financer la sécurité sociale de ceux qu'il fait travailler…
8. Soit en moyenne plus de 100 zloty (25 euros), le revenu moyen brut étant de 3438 zloty (867 euro) au quatrième trimestre 2010 selon l'Office central de statistiques (GUS), soit autour de 2500 zloty net. Près de 70 % de salariés en Pologne gagne moins que cette moyenne, tiré vers le haut par les très hauts revenus.
9. Z. Zd¾nek, Donaldyzacja sluzby zdrowia (La donaldisation du service de santé), article publié dans l'hebdomadaire du Syndicat libre " Août 80 », Kurier Zwiazkowy n° 363 du 6 avril 2011.
10. Z. Zd¾nek, Wszyscy jestesmy Olewnikami (Nous sommes tous victimes comme les Olewnik), Kurier Zwiazkowy n° 367 du 25 mai 2011.
11. Z. Zd¾nek, Jak sie kreci lody na sluzbie zdrowia (Comment s'enrichir sur les services de santé), Kurier Zwiazkowy n° 350 du 24 novembre 2010.
12. Z. Zd¾nek, Kurier Zwiazkowy n° 367 du 25 mai 2011.
13. Cité dans Kurier Zwiazkowy n° 361 du 23 mars 2011.
14. Cité dans Kurier Zwiazkowy n° 364 du 13 avril 2011.
15. Kurier Zwiazkowy n° 365 du 20 avril 2011.