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Affirmation d'un syndicalisme indépendant

par Chedid Khairy
Collecteurs d'impôts fonciers en grève. © Hossam al Hamalawy

Dans le cadre du processus révolutionnaire que connait l'Égypte depuis janvier 2011, les ouvriers et le mouvement syndical ont joué un rôle important. La demande d'un syndicalisme défenseur des intérêts des travailleurs s'est affirmée plus encore.

Pour être ancienne, la sensibilité qui conteste le syndicalisme officiel et sa structure fondée en 1957 comme un des piliers du régime militaire, n'a jamais complètement cessé d'exister. Elle était toutefois plutôt faible et souvent circonscrite à de petits réseaux militants d'opposition. Avec la révolution et les importants bouleversements que connaît le pays, la volonté de bâtir un syndicalisme indépendant (mostaqîll en langue arabe) a repris.

Peu avant la chute de Moubarak, le pays commence à connaître une vague impressionnante de grèves et de protestations des travailleurs. Au départ, les motifs de ces mobilisations sont souvent économiques avec des questions de salaires, de primes, de contrats de travail pour les précaires… Mais très vite, la question de la liberté syndicale et la dénonciation du syndicalisme officiel pointent.

De fortes grèves touchent des secteurs très divers : les industries sidérurgiques, le textile, la zone du canal de Suez, les transports, les hôpitaux, l'éducation sans oublier les journalistes, les employés des banques ou encore les imams. Des policiers descendent dans les rues pour leurs salaires, allant jusqu'à mettre le feu à un immeuble situé dans le secteur du ministère de l'Intérieur, véritable place forte au cœur de la capitale et dénommée Lazoughli du nom du quartier où elle se trouve. Dans les organes de presse officiels, les dénonciations de la corruption sont nombreuses. On demande même la démission de dirigeants de journaux (al Ahrâm, Rose al Youssef, al Gomhoureya…). Les femmes sont présentes dans les grèves, notamment dans le textile et la santé. On a pu avoir plus de 3 000 cas de grève en même temps ! Deux questions lancinantes existent : l'insuffisance des salaires (un salaire minimum autour de 70 euros…) et de fortes hausses des prix. Le chômage est aussi important : on estime qu'il y a 7 millions de chômeurs, soit 10 % de la force de travail. Quatre millions de citoyens n'ont aucun droit social.

A al-Mahalla al-Kobra, la grève concerne des hausses de salaires mais aussi le renvoi du gestionnaire de l'entreprise. Les travailleurs obtiennent ce qu'ils réclament, un des dirigeants ouvriers a été nommé à ce poste. Ils ont aussi obtenu le paiement des journées de grève. Ils ont accepté d'augmenter la productivité pour rattraper les heures perdues…

Le projet de constitution d'une Fédération égyptienne des syndicats indépendants a été lancé au cours d'une réunion sur la place al-Tahrîr le 30 janvier 2011 dans le contexte des puissantes manifestations et du début de la montée de vives critiques contre les syndicats officiels et leurs responsables. Ce soir là, Kamal Abu Eita, dirigeant du syndicat indépendant des collecteurs d'impôts fonciers, l'annonce et évoque la chute du syndicalisme d'État. Des slogans dénoncent le dirigeant de la Fédération officielle ETUF (NDLR) Hussein Megawer.

Le 2 mars 2011, la Fédération syndicale égyptienne indépendante tient sa conférence de fondation au siège du syndicat des journalistes. Intitulée " ce que les ouvriers veulent de la révolution », cette réunion regroupe plusieurs centaines de syndicalistes provenant de villes et de secteurs professionnels variés. Les piliers de ce projet sont les syndicats autonomes qui ont émergé ces derniers temps : le syndicat des collecteurs d'impôts fonciers, celui des techniciens de la Santé, l'union des retraités et le syndicat indépendant des instituteurs. On note la participation de travailleurs des télécommunications, d'ouvriers du textile, de la sidérurgie, de l'université ouvrière du Caire, des villes " nouvelles » al-Sadate et du 10 de Ramadan, de province comme des syndicalistes de al-Mahalla.

Les autorités militaires essayent, à de multiples reprises, de mettre un terme à ces luttes. Elles annoncent l'interdiction des grèves et des réunions de travailleurs… Malgré cela, cette vague est loin d'être terminée. L'armée lance une confrontation avec ce puissant mouvement social. Elle recourt aux médias cherchant à convaincre l'opinion publique que la poursuite des grèves et des protestations représentent un danger pour la " transition démocratique ». De même, elle affirme qu'il est urgent de faire reprendre l'économie, etc. On tente de discréditer les revendications des travailleurs présentées comme sectorielles, donc en opposition avec les demandes nationales. Les travailleurs rejettent une telle argumentation et affirment que leurs revendications font partie intégrante des revendications de la révolution. La colère est forte avec la nomination d'Isma'el Fahmy, ancien trésorier de l'ETUF comme ministre du Travail et celle de Samir Sayad au poste de ministre de l'Industrie et du Commerce. S. Sayyad, ancien diplomate, est aussi le PGD d'une des plus grosses entreprises de peinture touchée par des grèves.

La conférence met en avant deux principales revendications : la dissolution de la confédération officielle avec la saisie de ses locaux, archives et fonds, ainsi que la reconnaissance légale de la nouvelle fédération. Il est demandé au pouvoir de mettre un terme aux adhésions des structures syndicales officielles. De même, un calendrier précis pour appliquer ces revendications est exigé ainsi que la mise en place de réelles négociations collectives. Un appel est adressé aux syndicats dans le monde pour qu'ils expriment leur solidarité et qu'ils appuient leur demande de dissolution des syndicats officiels et leur exclusion des fédérations internationales.

On notera les interventions de figures du courant syndical autonome (1). Ils ont évoqué les plaintes envers l'État et leurs demandes. Ainsi, on trouvait Ahmed El-Sayyed, président de la Fédération des Techniciens de la Santé, Salah Abdel Salam, président du syndicat des collecteurs d'impôts fonciers, El-Badry Farghali, président de l'Union des travailleurs retraités et Mohamed Balah, membre du syndicat indépendant des enseignants. Ils ont, chacun à leur manière, insisté sur la force du mouvement des travailleurs, dénoncé la trahison de l'ETUF et affirmé le besoin de désormais rebâtir un système social débarrassé de la corruption. Le processus révolutionnaire est loin d'être terminé et la construction d'un syndicalisme indépendant y participe. L'exemple de la bataille depuis 2007 pour légaliser le syndicat des collecteurs des impôts fonciers est mis en avant. La syndicalisation et l'action indépendante représentent les deux idées centrales.

Kamal Abbas, ancien ouvrier de la sidérurgie et responsable du Centre for Trade Union and Worker Services (1) a dénoncé la direction de l'ETUF et son président Hussein Megawer. Après avoir évoqué la déclaration de l'ETUF du 27 janvier soutenant le régime et dénonçant les manifestations, il a demandé la saisie des documents et des archives de la Fédération officielle et une enquête judiciaire contre les dirigeants corrompus. Pour lui, la nomination d'Ismail Fahmy, l'ancien trésorier de la Fédération officielle comme ministre du Travail vise à protéger l'ETUF.

Les documents de la nouvelle structure mêlent esprit démocratique de la révolution et revendications économiques et sociales. Elle a reçu de nombreux messages d'appui et de solidarité d'organisations syndicales et internationales comme le Bureau international du travail (BIT) et la Confédération Internationale des Syndicats. Signe des temps, la Fédération officielle a été contrainte officiellement de reconnaitre qu'elle acceptait le droit de former son propre syndicat !

L'espoir est de rassembler la série de structures autonomes qui ont commencé à apparaître sous des formes diverses : ligues, unions, syndicats et fédérations en dehors de l'ETUF. On trouve ainsi des groupements militants actifs dans une série d'entreprises comme l'entreprise textile de al-Mahalla, l'Autorité des transports publics qui regroupent des chauffeurs de bus, des conducteurs de train, des mécaniciens, des ingénieurs, des employés sur le Grand Caire, du complexe sidérurgique de Helwan, des ouvriers d'industrie de Naha' Hamadi en Haute Égypte. De même, les animateurs espèrent s'ouvrir aux larges couches de travailleurs égyptiens qui se sont impliqués dans le soutien et l'animation des puissantes mobilisations ayant secoué le pays.

La force des mobilisations est telle que pour l'instant le régime joue la montre. La possibilité d'enraciner un syndicalisme indépendant et combattif dépendra bien sur du niveau d'engagement et des capacités à peser sur la situation. Les aspirations à la démocratie et à la justice sociale sont désormais étroitement imbriquées. ■

* Chedid Khairy (pseudonyme) est un militant marxiste impliqué dans la solidarité avec la région arabe.

notes
NDLR : ETUF (Egyptian trade union federation). Seule fédération syndicale autorisée en Égypte jusqu'au 30 janvier 2011.

1. D'après les comptes-rendus de la presse égyptienne et des témoignages.

2. Le Centre pour les Services Syndicaux et Ouvriers, CTUWS selon son sigle en anglais, a été fondé en 1990 à Helwan par des syndicalistes progressistes. Il vise à favoriser la défense des droits syndicaux et sociaux, la formation des syndicalistes et à affirmer le besoin d'un mouvement syndical indépendant. Le Centre a été capable d'étendre ses interventions sur d'autres villes (Mahalla, Alexandrie, 6 Octobre, Nagah Hamadi…), malgré de nombreuses difficultés, dont une interdiction. Voir son site (principalement en arabe) : http://www.ctuws.com

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