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Rassembler la gauche anticapitaliste ?

par
Paru dans le périodique suisse SolidaritéS n°145 du 2 avril 2009.
Un "  Appel pour une vraie force politique alternative de gauche en Suisse  » a été lancé récemment par Jean-Marie Meilland et Olivier Cottagnoud de la Gauche valaisanne alternative, par Florian Keller de la liste Alternative de Schaffhouse ainsi que par trois responsables du POP vaudois, Josef Zisyadis, Julien Sansonnens et Jean-Baptiste Blanc.

Cet appel a pour objectif de créer ensemble une "  nouvelle force politique alternative de gauche, écosocialiste, qui manque tant en Suisse  ». Le mouvement solidaritéS, présent dans les cantons de Genève, Vaud et Neuchâtel ainsi qu'à Bâle, entend apporter sa contribution, sans sectarisme, à toute démarche de renforcement d'une gauche anticapitaliste au niveau national. Nous sommes dès lors interpellés par cet appel.

Définir un chemin

Quel programme, quelles alliances, quels principes de fonctionnement  ? Des questions capitales posées dans le cadre de toute tentative de regroupement des forces contestant radicalement le désordre capitaliste, des questions que l'on ne saurait éluder, faute de quoi un tel regroupement est voué à l'échec, à n'être qu'un feu de paille, ou alors à se réduire à une pure opération électorale. Les réponses ne sont certes pas simples ! Et un accord préalable ne constitue évidemment pas, pour solidaritéS, une condition pour engager la discussion. Mais l'élaboration de réponses communes est décisive pour faire un pas en avant vers la constitution d'un nouveau parti anticapitaliste en Suisse. Dans ce sens, il est nécessaire d'élaborer un programme, une démarche d'alliances, des principes démocratiques de fonctionnement collectif qui doivent contraster, point par point, avec ce qu'est aujourd'hui la gauche de gouvernement, socialiste ou verte.

Une gauche anticapitaliste, qui veut s'unir, s'adresse à toutes celles et à tous ceux qui souhaitent une alternative à gauche, en rupture avec toutes les politiques menées au gouvernement, sur le plan fédéral, dans les cantons et les communes, par la droite comme par la gauche social-libérale, pour leur dire que nous sommes prêts à nous unir dès maintenant pour développer des luttes et des mobilisations, mais aussi pour bâtir une nouvelle force politique large et pluraliste, résolument anticapitaliste et démocratique. C'est ce que solidaritéS a adopté comme perspective lors de son congrès des 14 et 15 mars 09 pour la construction d'un mouvement anticapitaliste, féministe et écologiste.

Quelles alliances, quels principes de fonctionnement, quel programme ?

Pour solidaritéS, toute démarche d'alliance doit en effet être fondée sur une indépendance rigoureuse envers la social-démocratie et les Verts. Dans l'état actuel des rapports de forces, tout accord gouvernemental ou parlementaire de cogestion dans les exécutifs avec le PS et les Verts revient à être l'otage consentant de leur politique, à leur servir de caution, ce qui entraîne des conséquences désastreuses pour tout projet anticapitaliste.

► Construire une force politique commune implique une démocratie militante, qui passe par l'adoption d'un fonctionnement démocratique nécessaire pour agir ensemble, qui évite avec soin toute attitude élitiste et garantit la totale liberté de discussion, de formation de courants, afin de clarifier les questions laissées en suspens et de tirer les leçons de l'expérience commune.

► Une telle force doit se doter d'un programme intransigeant contre les réformes libérales, pour une Europe sociale, féministe et démocratique, contre les guerres impérialistes, pour une politique plaçant l'égalité entre femmes et hommes au cœur de ses préoccupations, pour une écologie sociale remettant en cause le sacro-saint pouvoir de la propriété privée, pour une démocratie participative effective aux antipodes des systèmes de représentation et de délégation, pour une reconstruction de l'espace public par une politique d'appropriation sociale qui fasse prévaloir le service public, les biens communs de l'humanité, les solidarités, sur la privatisation du monde, le calcul égoïste et la concurrence de tous contre tous.

Des "  idiots utiles  »  ?

Dans un article publié fin février 09 par Gauchebdo, Julien Sansonnens, un des initiateurs de l'Appel, posait la question de savoir si, en France, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) d'Olivier Besancenot ne faisait pas office d'"  idiot utile de la contre-révolution sarkozienne  »  ? Parlant de l'écho médiatique, Sansonnens mettait José Bové et Besancenot dans le même sac  : "  La situation de Besancenot n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle d'un José Bové, largement construit par les médias, avant que ceux-ci ne le lâchent  ». Et de conclure, à propos de l'avenir du NPA, par la question  : "  Continuer à surfer sur toutes les tensions, ou prendre les responsabilités qu'une accession au pouvoir impliquerait  ?  » L'intransigeance du NPA serait une machine à faire perdre la gauche, elle interdirait indéfiniment son retour au pouvoir. Ce discours est celui des dirigeants socialistes français qui distillent leur prétendue analyse selon laquelle Olivier Besancenot jouerait à gauche le rôle de division qu'a joué Le Pen à droite.

Le mouvement anticapitaliste, féministe et écologiste pour le socialisme du 21e siècle, que solidaritéS entend contribuer à construire, n'a pas pour objectif de "  prendre les responsabilités du pouvoir  » en participant à la gestion de cet Etat. C'est en effet un Etat bourgeois, auquel collaborent allègrement le PS et les Verts, dont la politique vise à améliorer et renforcer les conditions de domination d'une bourgeoisie en pleine offensive de démantèlement des régulations imposées par les rapports de force sociaux des décennies d'après-guerre… Le bilan de la politique de die Linke, qui gère avec le PS l'exécutif de Berlin, est illustratif de cette impasse  !

Non, nous nous battons pour un socialisme autogestionnaire, une véritable démocratie participative, un socialisme par en bas. C'est une question de fond, surtout après le contre-modèle désastreux de l'URSS stalinienne qui s'est caractérisé notamment par une dictature féroce, une répression monstrueuse et de nouveaux privilèges.

Une radicalité nécessaire  !

Pour reconstruire un projet anticapitaliste et féministe à gauche, il faut parfois savoir reculer pour mieux sauter, faire un pas en arrière pour en faire deux en avant dans la reconquête d'un rapport de force social favorable aux salarié•e•s. Certes, l'affirmation de l'indépendance envers les politiques libérales et les partis tels que le parti socialiste et les Verts peut faire perdre à la "  gauche  », dans un premier temps, des positions dans des exécutifs. Mais les préserver au prix des pires compromissions, c'est à coup sûr - toute l'histoire des 30 dernières années le montre - semer la confusion, brouiller les lignes de front, préparer d'amères désillusions, et aller vers le pire au nom de ce prétendu réalisme qu'est la politique du moindre mal. C'est, surtout, sous-estimer l'ambition et la volonté politiques qu'exigent les catastrophes sociales et écologiques annoncées.

2 mars 2009

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