Varsovie, samedi 24 juin. Un rassemblement plus nombreux que d'habitude de manifestants devant la Diète. Un gros camion-plateau sert de tribune improvisée. Des discours. Puis d'un coup de la tribune jaillit une langue étrangère l'orateur parle en français ! C'est Xavier Chiarelli, militant des Jeunesses Communistes Révolutionnaires (JCR), un des animateurs du mouvement contre le CPE, qui parle de ce qui s'est passé en France et comment il a été possible de vaincre La semaine précédant la manifestation, l'hebdomadaire satirique " Nie » (" Non »), qui vend près de 300 000 exemplaires, avait publié une interview de Xavier, annonçant sa venue. Mais laissons-lui la parole pour qu'il raconte lui même.
Xavier Chiarelli : Je me suis rendu à Varsovie à l'invitation du KPiORP, Comité de soutien et de défense des travailleurs réprimés. J'étais invité en tant qu'ancien porte-parole de la coordination étudiante du mouvement de cette année contre le CPE et la précarité à intervenir dans une manif organisée par le comité à Varsovie dont les mots d'ordre étaient " pour l'école laïque, les études universitaires gratuites et l'État social ». Le KPiORP est une structure qui est apparue récemment en Pologne et qui regroupe une bonne partie de la gauche radicale polonaise (dont plusieurs courants révolutionnaires trotskistes, libertaires mais aussi des sociaux-démocrates de gauche) et qui se bat notamment contre les licenciements de syndicalistes, quel que soit le syndicat.
Inprecor : Concrètement qu'as-tu fait là-bas ?
Xavier Chiarelli : Je suis intervenu au début de la manifestation pour raconter la lutte de cette année en France, en expliquant brièvement que c'était grâce à la grève avec blocage, à l'auto-organisation et au lien avec les travailleurs que nous avons fait plier le gouvernement. Je n'étais pas le seul à intervenir : des militants des organisations faisant partie du collectif, un représentant lycéen, une militante féministe, une militante lesbienne sont également intervenus. C'était une manifestation clairement antigouvernementale de 2500 personnes et c'est quelque chose d'important.
2500 personnes, cela peut paraître peu, mais la situation est particulièrement difficile, c'est très différent de la France. Depuis la chute de la dictature bureaucratique et la restauration du système capitaliste, la quasi-totalité des acquis sociaux de la classe ouvrière polonaise ont été liquidés. C'est un capitalisme sauvage qui s'est implanté en Pologne et le rapport de forces entre les classes y est très défavorable. L'envahissement du pays par le capital y est visible : la publicité est ultra-présente, elle recouvre toute la surface des trams et des bus par exemple Les chaînes de supermarchés, qui sont l'emblème de la précarité en Pologne, ont toutes obtenu le droit de s'implanter quasiment sans limites et chez Géant, les caissières n'avaient pas le droit de quitter leur poste pour aller aux toilettes et la direction leur proposait de mettre des couches
Le parti au pouvoir, Loi et Justice (PiS), a fait alliance avec le parti d'extrême droite, la Ligue des Familles polonaises (LPR), dont le président, Giertych, est devenu ministre de l'éducation. Cela a d'ailleurs déclenché des manifestations d'étudiants et de lycéens, ce qui arrive pour la première fois depuis la restauration du capitalisme.
La gauche est dominée par la social-démocratie (ce sont les anciens communistes qui se sont reconvertis), les syndicats sont très bureaucratisés et dominés par la droite ou la social-démocratie. Pour donner une idée, " Solidarnosc », un des principaux syndicats, a appelé à voter pour le parti qui est aujourd'hui au gouvernement La gauche radicale est restée pendant des années complètement marginalisée, divisée et infiltrée par l'extrême droite et les services secrets.
Donc ce qui s'est passé est un réel pas en avant : avant la formation du KPiORP, les manifs de la gauche radicale ne regroupaient jamais plus de quelques dizaines de personnes. Et pour donner une idée, la principale centrale syndicale (social-démocrate) a réuni 400 personnes pour le premier Mai cette année
Inprecor : Comment les gens là-bas ont-ils réagi à tes interventions ?
Xavier Chiarelli : Les participants à la manifs étaient intéressés et même parfois enthousiasmés par ce qui s'était passé en France. Après la manif, j'ai été invité à faire un exposé plus détaillé à une réunion des membres du collectif et j'ai cru comprendre qu'une bonne partie d'entre eux avaient envie d'en savoir plus sur notre lutte et sur la situation en France. Les militants qui étaient le plus intéressés étaient les camarades de " Sierpien 80 » (" Août 80 ») et du Parti Polonais du Travail (PPP).
" Sierpien 80 » est un syndicat très combatif, qui a mené des luttes très dures et très courageuses au coeur d'un secteur sinistré et dans une situation vraiment difficile. C'est la troisième force syndicale du pays dont le bastion est la haute Silésie, principale région industrielle de Pologne : c'est une région minière et sidérurgique. Le taux de syndicalisation dans les mines de cette région est maintenant le plus élevé du pays. Les cadres de ce syndicat, plus ou moins 3000 personnes, ont récemment décidé de constituer un parti pour défendre les travailleurs sur le plan politique. Cela a donné naissance au Parti Polonais du Travail (PPP), dont le programme comprend la réduction du temps de travail, l'augmentation des salaires, la séparation de l'Église et de l'État, le retrait des troupes d'Irak mais aussi la défense des droits des femmes et des homosexuel(le)s. Ce n'est pas une organisation révolutionnaire mais elle a une implantation à 99 % ouvrière et évolue très à gauche. Cette organisation et le syndicat sur lequel elle s'appuie me semblent constituer un réel espoir. Les camarades proches de la IVe Internationale interviennent dans le PPP et y jouent un rôle qui a l'air d'être significatif. Je pense que le rapprochement entre nos camarades et ces syndicalistes combatifs, ainsi que la collaboration entre plusieurs courants au sein du KPiORP, est quelque chose de très intéressant.
Inprecor : Quel bilan tires- tu de ce voyage ?
Xavier Chiarelli : La France est un pays où la combativité est significative et où les luttes sont parfois exemplaires, et nous avons donc des choses à apporter aux camarades qui luttent dans les autres pays. Plusieurs camarades des JCR ont fait le même type d'intervention en Écosse, en Angleterre, au Maroc, en Allemagne, en Suisse, en Espagne, en Grèce
Notre lutte a eu un impact sur celle des étudiants et des jeunes ailleurs en Europe et dans le monde : je crois que la lutte de cette année a inspiré en partie les luttes en Allemagne, au Chili, en Grèce Mais je pense qu'il est fondamental d'établir des liens directs et durables entre militants des différents pays. C'est d'abord ça, l'internationalisme.
Et je pense que nous avons aussi à apprendre des expériences des camarades de Pologne, les camarades du PPP et de " Sierpien 80 » ont des choses à nous apporter. Ils nous ont d'ailleurs invité à venir à la rentrée pour faire une tournée de conférences dans les universités polonaises.