Intervention de Franco Turigliatto au Sénat

par Franco Turigliatto

Franco Turigliatto, membre de la direction du PRC pour le courant Sinistra critica, membre du Comité international de la IVe Internationale, a été élu sénateur en 2006.

Je prends la parole dans cette assemblée avec préoccupation, ou plus précisément avec angoisse. Le décret en discussion parle avec euphémisme de missions internationales, mais nous savons tous que nous débattons de la guerre, une guerre qui au même moment, une nouvelle fois au Moyen-Orient, détruit les vies de centaines de femmes, d'enfants, d'hommes sans que la Conférence tenue hier à Rome soit capable d'imposer le cessez-le-feu ni même veuille seulement le demander.

Le gouvernement a posé la question de confiance sur ce décret. J'ai apprécié l'équilibre politique avec lequel le ministre Chiti (6) a affronté le problème de la discussion avec les soi-disant dissidents, dans le respect des positions réciproques et des divergences.

1. Je voterai en faveur de la confiance pour une seule raison : par loyauté et par identification avec un électorat qui a battu la droite et a permis la naissance de ce gouvernement, avec tous ces travailleurs qui au cours des dernières semaines m'ont dit apprécier notre combat, mais qui en même temps m'ont demandé de ne pas faire tomber le gouvernement, de leur permettre encore de tester son action au cours des mois à venir. Cette décision n'amoindrit nullement mon désaccord absolu, irréductible et fondamental vis-à-vis d'un décret qui, tout en tenant compte de l'exigence des masses du retrait des troupes d'Irak, ratifie en même temps la poursuite de la mission de guerre en Afghanistan.

2. Car c'est bien de guerre qu'il s'agit, comme le disent tous les analystes et comme même l'OTAN la qualifie en demandant aux pays membres de redoubler d'efforts, en hommes et en moyens, et en changeant dès février cette année les règles de l'engagement, pour se préparer à l'offensive des talibans. C'est donc une mission de guerre, qui s'inscrit dans le projet stratégique de la nouvelle OTAN, celle qui a vu le jour avec le pacte de Washington en 1999 et qui prévoit que l'Alliance atlantique jouera le rôle  qui n'est ni naturel, ni légitime  de " gendarme mondial ».

3. La nature de ce conflit et celle du décret que nous discutons me conduisent à considérer comme absolument insuffisant le compromis réalisé au sein de la majorité gouvernementale, qui n'a pas permis d'insérer ne serait-ce que quelques éléments d'une contre-tendance à un projet d'intervention militaire à l'étranger qui reste marqué par la philosophie multilatéraliste et la conception de la " guerre humanitaire », qui avaient caractérisé le conflit du Kosovo. Non seulement le gouvernement n'envisage aucune exit strategy [stratégie de retrait], mais il renforce même le dispositif militaire engagé en Afghanistan, et nous soumet dans le cadre de la mission Enduring Freedom à l'origine de ce conflit.

4. Ce désaccord de fond est par ailleurs en syntonie avec ce qu'avaient affirmé et pratiqué les forces de la gauche radicale et pacifiste au cours des cinq dernières années à chaque fois lorsque le vote concernant la mission en Afghanistan était soumis à ce parlement. Un comportement en parfaite cohérence avec les instances du mouvement pacifiste qui dès octobre 2001 a initié la lutte contre la guerre des USA en Afghanistan et ensuite contre l'envoi des troupes italiennes sur le théâtre de cette guerre. Une cohérence que nous revendiquons pleinement et qui ne peut être contrainte à s'insérer dans le jeu des tactiques parlementaires ou de la géométrie du gouvernement. D'autant qu'aucun programme de gouvernement ne peut forcer la main sur une question à propos de laquelle personne ne peut se vanter d'avoir été mandaté.

Au cours de ces semaines je ne me suis nullement senti être anachronique, ni d'être rebelle ou dissident. Au contraire, au cours de ces jours je me suis senti comme jamais en parfait accord avec 62 % de la population qui veut le retrait des troupes de l'Afghanistan et encore plus avec les 73 % des électeurs de l'Union qui le revendiquent. Réfléchissez encore : comment ne pas comprendre que la présence d'armées étrangères ne peut pas ne pas être perçue par la population locale comme une ingérence, une manipulation et une domination ; comment ne pas comprendre que nos soldats, comme les autres militaires présents, sont considérés comme des occupants, comme des participants à une guerre qui a un tragique bilan de victimes civiles : 97 % des victimes le sont.

Non ! représentants du gouvernement, non ! parlementaires, il n'est pas juste, il est profondément erroné de poursuivre cette route. Non ! si nous ne voulons pas envoyer en Afghanistan nos soldats pour tuer et se faire tuer.

5. La décision du gouvernement de poser la question de confiance sur cette mesure nous force à sacrifier notre conviction fondamentale pour ne pas mettre en danger la vie du gouvernement. C'est un choix douloureux, qui comprime notre conscience et nos convictions politiques. Nous plions devant un chantage que nous n'accepterons pas une nouvelle fois. Il serait bon que le gouvernement le remarque, car il ne pourra pas compter une nouvelle fois sur notre confiance pour un vote sur la guerre. Si l'exécutif persiste à continuer l'engagement dans une mission de guerre, il le fera avec les votes qui soutiennent son choix. Notre vote sera négatif. Comme il sera négatif en ce qui concerne d'autres opérations militaires, comme celle au Liban projetée dans le domaine de l'OTAN. Si vraiment l'Italie veut contribuer à la paix au Moyen-Orient, qu'elle s'engage contre la politique d'Israël qui bombarde aveuglement  avec le consentement substantiel des pays occidentaux  un pays désarmé, causant des dévastations incroyables dans la population civile ; qu'elle s'engage pour la construction d'un véritable État palestinien et, dans ce cadre, elle pourra proposer une mission d'interposition de l'ONU non seulement entre le Liban et Israël, mais aussi entre Israël et la Bande de Gaza et sur les frontières de 1967 entre l'Israël et la Cisjordanie ! Qu'elle dise clairement au gouvernement israélien, que si Israël a droit à la stabilité, celle-ci n'est possible que s'il reconnaît les droits de tous les peuples du Moyen-Orient, à commencer par ceux des Palestiniens, aujourd'hui niés et écrasés.

6. Le mouvement pacifiste est notre interlocuteur réel dans cette affaire ; ce mouvement cherche aujourd'hui à remettre en marche ses mécanismes propres, son idéal et ses ambitions de paix. En explicitant notre désaccord, nous croyons avoir contribué activement à rouvrir largement une discussion qui semblait avoir été close. Diverses initiatives ont été réalisées dans tout le pays avec notre contribution, d'autres vont avoir lieu par la suite. Nous prendrons partie à toutes pour que le prochain vote sur les missions militaires soit accompagné par la plus grande mobilisation contre le prolongement des opérations militaires inacceptables. Nous le ferons dans la clarté et dans la transparence de nos positions, nous le ferons sans accepter d'autres chantages et intimidations. Nous le ferons au nom de la paix et de la cohérence politique qui caractérise notre engagement, avec la conscience de ne constituer qu'une partie du mouvement, mais une partie nécessaire.

6. Vannino Chiti, membre du secrétariat des Démocrates de gauche (DS), a été nommé Ministre de la réforme des institutions dans le second gouvernement Prodi à l'issue des élections législatives de 2006.

traducteur
J.M. ( de l'italien)