Katarzyna Gawlicz milite dans l'association Pro-Choice qui coordonne les activités en faveur de la légalisation de l' avortement en Pologne. Cet article a d' abord paru dans Socialistisk Information n° 213, de décembre 2006, mensuel de Socialistisk Arbejderparti (SAP, section danoise de la IVe Internationale). Les cas des femmes victimes de l'actuelle loi sont cités d' après la publication de la Fédération pour les Femmes et le Planning Familial, Les femmes en enfer histoires des femmes polonaises d' aujourd' hui, disponible sur :
www.federa.org.pl/publikacje/pieklo_f.pdf
" Qualifiant la loi qui pénalise l' avortement, un scientifique allemand a dit : Le plus grand crime du droit pénal. Malheureusement… une telle loi, incapable d' apporter une aide quelconque, a une grande capacité de nuisance. Peut-être que ceux qui rédigent les lois à l' abris de leurs bureaux tranquilles frissonneraient si on leur parlait des décès des jeunes femmes et des maladies graves et irréversibles qui sont le produit de ceux qui maintiennent la situation en état. Et si vous ajoutiez les autres circonstances indirectes des suicides, des infanticides et d' autres désastres nous comprendrions alors à quel point ceux qui ont intitulé cet article le plus grand crime du droit pénal" avaient raison. »
Ces mots ont été écrits en 1930. Ils pourraient être écrits aujourd' hui. Tadeusz Boy-Zelenski (1), leur auteur, l' un des premiers défenseurs de ce que nous appelons aujourd' hui les droits reproductifs, a été condamné et ridiculisé pour ses idées. Aujourd' hui ceux qui soutiennent le droit à l' avortement légal sont accusés d' être en faveur de " l' holocauste des enfants innocents et non-nés » alors que les femmes subissent toujours des avortements clandestins, risquant souvent leur santé quand ce n' est pas leur vie et que chaque année la police enregistre plusieurs dizaines d' infanticides et d' abandons de bébés. Comme dans les années 1930. La Pologne a réussi à voyager dans le temps, mais seulement en marche arrière…
La loi qui régit actuellement l' accès à l' avortement remonte à 1993 et a été adoptée sous la forte pression de l' Église catholique, avec l' engagement personnel du pape Jean Paul II. Parmi les initiateurs de la loi restrictive on trouvait aussi, ce qui est bien triste, des acteurs du mouvement " Solidarité », qui ont bénéficié d' un fort soutien de la communauté médicale. La loi a été adopté malgré le fait qu' un million trois cent mille personnes aient signé une pétition demandant que les plans visant à limiter l' accès à l' avortement soient soumis à un référendum. Il n' y a jamais eu de référendum. Les citoyens ordinaires, en particulier les femmes, ont été tenus à l' écart du débat.
La loi actuelle n' autorise l' avortement que si la grossesse met en danger le vie ou la santé de la femme, s' il y a une probabilité élevée que le fœtus ne soit pas viable ou si la grossesse est le résultat d' un acte criminel. Si les femmes ne peuvent être punies pour avoir subi l' avortement, tous ceux qui les aident peuvent être condamnés à trois ans de prison.
Mais quel que soit le caractère restrictif de la loi, en réalité les restrictions sont encore plus importantes, car les femmes qui pourraient y avoir légalement l' accès se voient souvent éconduites. Dans un pays où la population des femmes en âge de reproduire atteint dix millions, moins de deux cent avortements par an sont légalement exécutés. Les médecins abusent de leur droit de ne pas exécuter un avortement pour des raisons de conscience et s' opposent à autoriser l' avortement même lorsque les femmes ont de graves problèmes de santé. On a remarqué par exemple le cas d' une femme atteinte d' une dégénérescence de la rétine qui a été forcée d' accoucher et a quasiment perdu la vue à la suite de l' accouchement. Une autre, souffrant d' insuffisance veineuse, peut à peine marcher depuis. L' histoire d' une femme dont le premier enfant était atteint d' une maladie génétique rare, qui s' est vu opposer un refus à sa demande d' examens prénataux lors de se deuxième grossesse, qui a accouché d' un second enfant atteint de la même maladie a fait quelque bruit, car elle a porté le cas devant les tribunaux et fini par obtenir une compensation partiel de l' hôpital.
En même temps le recours à l' avortement clandestin n' est pas difficile à condition que la femme dispose du capital économique, social et culturel lui permettant de déchiffrer les annonces complémentaires des gynécologues (" gynécologue : service total » ou " retour sur vos règles »), d' avoir des contacts avec ceux qui savent où il est possible d' obtenir un avortement et de pouvoir payer entre 370 et 1000 euros. L' avortement est ainsi clairement devenu un privilège de classe, tout comme l' est le droit de choisir son avenir. C' est donc un privilège d' une petite minorité de femmes, car selon l' office central des statistiques, 60 % des ménages vivent juste au niveau ou en dessous du dit minimum social estimé à 200 euros par mois.
On estime le nombre d' avortements clandestins réalisés chaque année entre 80 000 et 200 000, sans qu' il soit question d' un quelconque contrôle des conditions dans lesquelles ils sont effectués. Parfois ils le sont sans anesthésie et la méthode la plus couramment employée est le curetage, méthode la plus agressive et dangereuse. On a signalé des cas de femmes décédées des suites d' un avortement illégal, mais aussi parce qu' on leur a refusé non seulement l' avortement mais aussi toute aide médicale sous prétexte que cela pourrait mettre en danger le développement du fœtus et encore décédées car elles ont tenté d' avorter seules, en s' injectant par exemple de l' eau de Javel dans l' utérus.
De tels faits sont cependant rarement évoqués au cours des discussions publiques. Le langage employé pour parler de l' avortement lorsqu' on en parle, ce qui est rare est celui imposé par les adversaire du choix des femmes. S' intitulant eux même " pour la vie » ils accusent les femmes qui ont avorté d' être des " meurtière d' enfants », qu' ils traitent ces derniers de " conçus » ou de " non nés » ou sans autre qualificatif. Ils les dépeignent en un mot comme des criminelles. Il s' agit d' un vocabulaire fondé sur une distorsion de la moralité et des droits humains (par exemple : " toute personne a le droit de vivre, a commencer par les plus innocentes ») et sur le nationalisme. Dans ce discours les femmes disparaissent totalement, on ne mentionne à aucun moment leurs droits, pas même leurs droits de vivre !
C' est devenu encore plus évident lorsque l' un des partis de la coalition gouvernementale, la Ligue des familles polonaises d' extrême droite, a soumis une proposition d' amendement à la Constitution, de manière à ce que celle-ci protège la vie de chaque citoyen à partir du moment de sa conception. Si une telle clause était adopté, elle conduirait à la prohibition de l' avortement dans toutes les circonstances, y compris lorsque la vie de la femme enceinte serait en danger.
En même temps, ces adversaires absolus de l' avortement ne font rien pour aider les femmes l' éviter. Ils s' opposent activement et malheureusement avec succès à toutes les tentatives de subventionner les contraceptifs pour les rendre plus aisément disponibles. Ils refusent l' inforamtion des collégiens dans les cours de " préparation à la vie familiale » (les cours qui remplacent en Pologne l' éducation sexuelle pratiquée partout ailleurs) au sujet des méthodes contraceptives efficaces. Le Parlement a d' ailleurs commencé à préparer un projet de loi en vue de restreindre l' accès aux moyens contraceptifs oraux, en exigeant que la mention " nocif pour votre santé » figure sur les emballages, exactement comme dans le cas du tabac !
Les représentants les plus influents des mouvements qui prétendent se préoccuper des " enfants non nés » sont par contre beaucoup moins intéressés par la protection de la vie de ceux qui ont connu le jour. Ils n' ont nullement tenté d' améliorer le système d' adoption qui fonctionne très mal et ne se préoccupent nullement du taux élevé de la malnutrition chez les enfants. Leur défense de la peine de mort comme celui de l' engagement des troupes polonaise dans les guerres de l' Irak et de l' Afghanistan ce qui caractérise certains des politiciens de la coalition gouvernementale actuelle permet de mettre en doute leur attachement à la protection de la vie.
Car ce n' est nullement la vie qui est en jeu dans ce cas. Ce dont il s' agit c' est d' imposer aux femmes de n' être que reproductrices afin que la Pologne soit forte et prête à réaliser sa mission de défense de l' Europe contre la " civilisation de la mort ». Ce langage, inspiré par l' Église catholique romaine, peut apparaître ridicule et pathétique. Il a néanmoins réussi à dominer. Comme l' a dit une femme sérieusement malade qui a été obligée d' accoucher et de donner son enfant, qu' elle ne pouvait élever, à l' adoption " en Pologne ce sont les riches, qui peuvent se permettre d' avoir les enfants, qui règnent. Ils veulent que la Pologne se développe au dépens des autres. Les mères doivent accoucher et élever les enfants et si elles ne le peuvent pas elles doivent les leur donner. Ils ne réfléchissent pas sur ce que cela signifie. » La fierté que leur inspire la nation polonaise qu' ils drapent de standards moraux élevés, n' empêche nullement les politiciens et les activistes opposés à l' avortement de nier aux femmes toute dignité et de leur refuser le droit de prendre indépendamment leurs décisions morales.
La remise en cause de l' actuel statu quo impose de briser un énorme tabou social. Mais de plus en plus de femmes et d' hommes ont commencé à le faire ces derniers temps. Une manifestation pour la légalisation de l' avortement a eu lieu début novembre 2006, sous la neige. D' autre part il y a déjà eu trois rassemblements de femmes au cours desquelles ces dernières ont défié la haine et les accusations de meurtre en affirmant publiquement devant le Parlement qu' elles ont eu recours à l' avortement. De telles actions vont se poursuivre. Et il est significatif que les féministes qui luttent pour le libre choix obtiennent de plus en plus le soutien des syndicats de gauche et d' autres mouvements des travailleurs, pourtant dominés par les mâles et jusque là orientés de la même manière.
Mais pour le moment, les commissions parlementaires continuent à travailler pour ajouter d' autres restrictions à l' accès à l' avortement et à la contraception. Il serait bon de les forcer à reconsidérer leurs conceptions.
1. Tadeusz Boy-Zelenski (1874-1941), écrivain, poète, critique littéraire et théâtral, traducteur en polonais de la philosophie, de la littérature et du théâtre français, a été un des animateurs des milieux progressistes polonais avant la seconde guerre mondiale et propagateur des droits des femmes, de l' éducation sexuelle et du droit à l' avortement. Il a été emprisonné et immédiatement assassiné par les nazis lors de leur invasion de Lvov en juillet 1941.