La bataille autour de la loi sur le climat ne peut être remportée que par une coalition en faveur d’une transition verte socialement équitable. Un tel mouvement rouge-vert est également essentiel pour mettre à l’ordre du jour les exigences qui peuvent réellement faire bouger les choses dans la lutte contre le changement climatique à long terme. La lutte contre le changement climatique et la lutte des classes sont étroitement liées.
La loi sur le climat doit être assortie avant la fin de l’année d’un objectif pour 2035. Au cours de l’année écoulée, les mouvements de défense de l’environnement ont mené des campagnes en faveur de modifications en profondeur de la loi sur le climat. Il faut accélérer le rythme et « combler les lacunes » afin que les efforts en faveur du climat englobent toutes les émissions dont le Danemark est responsable. Mais le gouvernement SVM [depuis 2022, coalition du Parti social-démocrate (SD) avec le Parti libéral (V) et les Modérés (M) ndt], est resté les bras croisés pendant la majeure partie de l’année et a maintenant ouvert les négociations avec une proposition qui tourne le dos aux revendications des mouvements. Le gouvernement ne veut pas entendre parler d’une « nouvelle loi sur le climat », mais seulement d’inscrire un objectif – peu ambitieux – pour 2035.
Si on laisse le gouvernement maintenir ce cadre dans le huis clos des négociations, on va rater une chance de renforcer la loi sur le climat. C’est pourquoi il est positif que le Mouvement des jeunes verts ait réagi en « lançant un appel à des négociations ouvertes » afin de « rendre le débat public », plus précisément en invitant les responsables politiques chargés du climat à une discussion dans la cour du Parlement, à l’extérieur du palais de Christiansborg. Il est également positif qu’ils aient, en collaboration avec le Mouvement pour le climat, entre autres, appelé à une manifestation au même endroit le 10 décembre.
Malheureusement, le gouvernement pourra poursuivre sa politique tant qu’il ne sera pas confronté à une puissante coalition en faveur d’une transition verte socialement équitable, capable de toucher également la base social-démocrate.
Il est urgent de colmater les brèches
La loi sur le climat devait garantir la contribution équitable du Danemark à l’objectif de l’accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré, et cela est plus urgent que jamais. Des rapports émanant notamment de I’Institut météorologique mondial, un organisme des Nations unies, indiquent que le seuil de 1,5 degré sera probablement dépassé de manière permanente d’ici cinq ans au plus tard, alors qu’il y a quelques années, on pensait que cela ne se produirait qu’au milieu des années 2030.
Dans le même temps, le risque de dépasser les « points de basculement » qui accélèrent le réchauffement climatique augmente, de sorte que tout indique que les émissions de CO2, de méthane, etc. doivent être réduites de manière drastique à partir de maintenant. La nécessité pour le Danemark de combler enfin les carences de sa loi sur le climat et de montrer l’exemple au reste du monde n’est pas moindre du fait que les États-Unis, sous Trump, ont déclaré la guerre au climat, ou que la droite, y compris au sein de l’UE, s’est mise à démanteler la législation sur le climat et l’environnement.
Les associations écologistes réunies dans le « Groupe 92 » réclament un objectif de réduction de 90 % d’ici 2035, mais aussi qu’il soit complété par de nouveaux objectifs pour les émissions dont le Danemark est responsable et qu’il contrôle. La majeure partie de l’empreinte climatique réelle du pays n’a jusqu’à présent pas été prise en compte dans les objectifs de la loi sur le climat. Des objectifs de réduction sont nécessaires pour les émissions soutenues par le secteur financier, les émissions liées au transport international et les émissions liées à la consommation. Il faut mettre un terme aux importations de biomasse et d’aliments pour animaux et réduire considérablement la combustion de biomasse. À cela il faut aussi ajouter une aide internationale beaucoup plus importante pour la lutte contre le changement climatique.
Mais lorsque le gouvernement a invité à des négociations sur un nouvel objectif climatique à la fin du mois de novembre, ce n’était en aucun cas pour remédier aux faiblesses inhérentes à la loi sur le climat. La proposition du gouvernement prévoyait un objectif de réduction de 82 % en 2035. Selon une analyse du Conseil climatique, 80 % ne suffisent pas pour que le Danemark puisse se qualifier de pays pionnier en matière d’écologie, et selon les propres projections climatiques du gouvernement, cet objectif de 80 % sera atteint avec la politique déjà adoptée.
La lutte des classes détermine la couleur de la transition
De la gauche à une partie de la droite, tout le monde se réclame de la « transition verte », mais il n’existe pas une seule et même transition verte. La politique climatique et environnementale est un champ de bataille où différentes classes et factions de classes s’affrontent sur la direction à prendre.
Pour les partis SD, V, M et les autres partis bourgeois, il s’agit avant tout de préserver l’existant et de laisser les solutions climatiques aux mains des forces du marché et des nouvelles technologies, de l’alimentation animale Bovaer aux installations de captage et de stockage du carbone (CSC). Ceci profite avant tout au 1 % de la population qui détient un quart de la richesse totale et possède la majorité des actions et des entreprises.
Ceux qui possèdent le plus, gagnent le plus et décident le plus sont aussi ceux qui polluent le plus. Une personne qui fait partie du 1 % le plus riche de la population danoise émet huit fois plus de CO2 qu’une personne qui appartient à la moitié la plus pauvre de la population, selon une analyse réalisée par Oxfam Danemark. Et les inégalités en matière d’émissions de CO2 ne cessent de croître. Depuis 1990, les 50 % les plus pauvres de la population ont réduit leurs émissions d’environ 33 %, tandis que les 1 % les plus riches les ont réduites de 3 %.
Une « transition verte » qui préserve le système signifie que les plus démuni.e.s doivent payer la facture pour que certains membres de la classe capitaliste puissent bénéficier d’opportunités d’investissement rentables (par exemple dans des parcs photovoltaïques) et que les mesures climatiques sont freinées par des intérêts financiers à court terme (comme lorsque aucune entreprise ne souhaite soumissionner pour l’installation de grands parcs éoliens en mer). Ces mécanismes ont récemment été décrits dans le livre Klima og klasse ["Climat et classe, comment éviter que la lutte contre le changement climatique ne débouche sur une fracture culturelle ?" 2025 R.Møller Stahl, Ch.Ellersgaard, A.Møller Mulvad 8Informations vorlag]).
Plus les forces procapitalistes sont autorisées à donner le ton, plus il devient impossible de susciter le soutien populaire en faveur d’une transition verte efficace et d’une gestion de la production et de la consommation.
Les sociaux-démocrates reculent devant tout ce qui peut remettre en cause le capital. Ils ont donné aux dirigeants de l’industrie et de l’agriculture un droit de veto sur la politique climatique, notamment par le biais de partenariats climatiques et du Grøn Trepart, « tripartite verte »[taxe sur les rejets de méthane de l’élevage à partir de 2030 ndt]. Cette préservation des rapports de force et des rapports de propriété existants a permis de maintenir la paix avec des acteurs puissants tels que la Confédération danoise de l’industrie (DI) et l’Association danoise de l’agriculture et de l’alimentation (Landbrug og Fødevarer), mais en même temps, ils ont perdu le soutien de la population, tant au niveau électoral qu’en ce qui concerne les objectifs climatiques.
Des études montrent que la plupart des salarié.e.s estiment important que la transition écologique soit socialement équitable. Ce soutien est sapé par l’augmentation des inégalités et de la précarité de l’emploi.
Les forces de droite ont exploité de manière hypocrite, mais avec succès, les conséquences du « capitalisme vert » pour mobiliser contre les mesures climatiques et environnementales. Elles se présentent comme les défenseurs du citoyen lambda et des régions périphériques du Danemark, alors qu’elles sont les plus farouches opposantes à l’égalité sociale.
Comme l’a constaté Morten Skov Christiansen, président de la Fédération des syndicats danois (FHO), en présentant l’année dernière une proposition pour une transition verte équitable : « La transition verte bénéficie toujours d’un soutien au Danemark, mais celui-ci a chuté de plus de dix points de pourcentage au cours des trois dernières années. Il faut inverser cette tendance et veiller à ce que les nouvelles taxes vertes n’aient pas d’impact social inégalitaire. Il est également essentiel que les salarié.e.s de certains secteurs qui doivent se transformer en profondeur aient accès à la formation continue et à la reconversion professionnelle. »
Un programme d’action pour une transition verte équitable
Le parti Enhedslisten a participé aux négociations sur la loi climatique en exigeant que l’objectif pour 2035 soit une réduction de 90 % des émissions de CO2 et que la loi climatique soit étendue à l’empreinte carbone mondiale du Danemark, mais aussi que « les efforts en faveur du climat soient plus inclusifs, socialement équitables et ancrés démocratiquement ».
C’est ce qu’écrit la porte-parole du parti pour le climat, Leila Stockmarr, sur Facebook (28/11/2025), avant d’ajouter : « Nous nous battrons avec tous les moyens dont nous disposons. »
C’est très bien, mais nous n’aurons la force de faire changer de cap le Parlement danois que si les mouvements écologistes, les syndicats, les communautés locales et d’autres forces populaires s’unissent activement pour exiger une transition verte juste et démocratique.
L’Enhedslisten doit continuer à présenter au Parlement des revendications de qualité, mais doit également contribuer à réunir les fils d’un programme offensif en faveur d’une transition verte et équitable et passer à l’action en dehors des murs de Christiansborg.
Comme l’affirme le livre Klima og klasse (Climat et classe), il doit s’agir d’une « transition verte au bénéfice matériel du plus grand nombre », fondée sur « une stratégie qui place l’emploi et la sécurité matérielle au centre ».
Elle doit reposer sur la redistribution sociale et la démocratisation de l’économie, tant en termes d’investissements, d’emplois, de propriété que de consommation.
Cela concerne notamment les exigences suivantes :
- Planification des investissements afin de garantir un développement rapide des énergies renouvelables, la création de nouveaux emplois dans les zones vulnérables, la rénovation climatique des logements et la sécurité de l’approvisionnement
- Un plan de création d’emplois verts qui met l’accent sur l’installation, la réparation et les activités de soins
- Une charte publique garantissant ces emplois verts
- Le droit à la reconversion et à la requalification vers des emplois durables
- La protection contre les pratiques de « dumping social » pour les investissements verts
- La socialisation du secteur de l’énergie par le biais de différentes formes de propriété publique ou collective et de contrôle par les utilisateurs
- Mise en place d’éoliennes, de panneaux solaires, etc., en fonction des besoins – en prenant en compte les personnes et la nature – plutôt que de l’optimisation des profits des propriétaires fonciers et des spéculateurs.
- Une réforme agraire qui favorise la propriété collective et la transition vers une production biologique et végétale
- Un secteur financier sans spéculation qui finance les investissements verts, et non les énergies fossiles
- Un impôt sur la fortune qui oblige les grandes fortunes à payer pour la dépollution
- Faire en sorte que la consommation durable soit la moins chère, par exemple par la production d’aliments sains et respectueux du climat
- Se prémunir contre les chocs des prix des denrées alimentaires de base, de l’énergie et du chauffage : contrôle des prix, plafonnement des prix de l’énergie pour les consommateurs, réserves publiques de produits essentiels pour contrôler les prix
- Des mesures contre la consommation de luxe, comme les yachts de luxe et les jets privés
- Taxes climatiques progressives, par exemple sur les kilomètres parcourus en avion et en voiture, lorsqu’il existe des alternatives collectives ( par exemple, péage routier ciblé et transports publics bon marché).
- Compensation pour les groupes à faibles revenus en cas d’augmentation des taxes et des prix.
Le Parti social-démocrate ne peut guère être poussé à rompre son alliance avec le capital, mais il peut probablement être poussé à faire certaines concessions, car il est en crise après les élections municipales et a besoin de se forger un profil plus social avant les élections législatives de l’année prochaine.
Quoi qu’il en soit, et plus important encore, un front rouge-vert actif en dehors du Parlement est essentiel pour que le rapport de forces puisse changer dans les années à venir. Cela permettrait de préparer le terrain pour un changement de pouvoir qui, avec un programme comme celui mentionné ci-dessus, s’attaquerait sérieusement à la catastrophe climatique. Cela vaut tant pour le rapport de forces que pour le contenu : la lutte pour le climat ne peut être gagnée que dans le cadre de la lutte des classes.
Publié par Socialistick Information le 8 décembre 2025, traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de Deeplpro