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Le mouvement de la GenZ 212 au Maroc

par Ismail Manouzi

Le mouvement de la jeunesse au Maroc s’inscrit dans les évolutions de la société marocaine depuis près de vingt ans, et dans les difficultés du mouvement ouvrier et de toutes les forces de résistance dans leur rapport au pouvoir central 1.

Dans quel contexte le mouvement Génération Z 212 a-t-il vu le jour ?

Ce contexte se caractérisait par une forte tension sociale, due à l’accumulation du mécontentement populaire. Le pays connaît une inflation sans précédent depuis quatre ans, mais la colère est restée latente, n’ayant pas donné lieu à des luttes comme celles de 2006-2007 avec l’apparition de coordinations contre la cherté de la vie. Sans parler, bien sûr, de la détérioration des services publics, notamment l’éducation et la santé, et de la propagation du chômage, après des décennies d’application stricte des directives de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Dans l’ensemble, depuis la répression du Hirak du Rif en 2017, la situation est caractérisée par l’étouffement des possibilités de lutte et de liberté d’expression, avec une censure stricte et l’arrestation de blogueurs et de journalistes. La résistance populaire a donc pris la forme, en 2018, d’une campagne de boycott des produits d’un certain nombre de grandes sociétés, en protestation contre la hausse des prix, parmi lesquelles la société pétrolière de l’actuel Premier ministre, l’un des plus grands capitalistes du pays, dont la fortune nette s’élève à 2 milliards de dollars américains. Le mouvement de lutte populaire dans les régions défavorisées, qui avait vu le jour dans la seconde moitié des années 1990 et avait atteint son apogée à Sidi Ifni en 2005-2008 et dans le Rif en 2016-2017, a perdu de son élan.

Un mouvement de lutte populaire a vu le jour après les conséquences du tremblement de terre dans la région du Haouz (septembre 2023), mais il a été réprimé et certains de ses dirigeants ont été emprisonnés. Compte tenu de l’impact du changement climatique, de nombreuses régions sont désormais confrontées à des problèmes d’approvisionnement en eau potable, ce qui a donné lieu à une recrudescence des luttes, en particulier dans les zones rurales, mais celles-ci n’ont pas pu être coordonnées en raison de la faiblesse des forces de gauche.

C’est alors que le Hirak de Figuig (novembre 2023) a vu le jour, dans le cadre d’une mesure visant à privatiser les services liés à l’eau. Le pays a connu des luttes sectorielles menées par des jeunes, notamment celles des étudiant·es en médecine, des enseignant·es contractuel·les et des travailleur·ses du secteur de la santé…

Puis est venue la vague de luttes populaires de cette année, avec la marche d’Aït Bouguemez, en juillet dernier, qui a duré deux jours entre les montagnes et la ville d’Azilal, pour des revendications sociales : éducation, santé, droit à la construction de logements ruraux, fin de l’isolement routier et numérique… Cette marche victorieuse a marqué le début d’une vague de marches similaires dans la région. Parallèlement, d’autres régions ont connu des manifestations populaires en raison de la pénurie d’eau potable (le Maroc connaît une vague de sécheresse sans précédent qui dure depuis 10 ans), ainsi qu’un mouvement populaire, dans la ville de Taounate, en raison de la détérioration généralisée de la situation sociale. Enfin, le mouvement Génération Z a vu le jour à la suite d’une manifestation devant l’hôpital régional d’Agadir le 14 septembre 2025 suite à la mort de 8 femmes à la maternité de cet hôpital. En raison de l’austérité prolongée en matière de dépenses de santé, les hôpitaux publics se trouvent dans un état de délabrement tel qu’ils ne répondent plus aux besoins minimaux des citoyen·nes. Il s’agit d’une politique délibérée visant à détourner les citoyen·nes du secteur public vers le secteur privé, auquel toutes les portes ont été ouvertes et qui a connu un développement considérable, passant des cliniques aux grands complexes de santé. La manifestation d’Agadir a eu un grand retentissement au niveau national, d’autant plus qu’elle a été réprimée et qu’elle a permis à de nombreuses victimes du système de santé public de témoigner sur leur situation tragique.

Moins de deux semaines après l’étincelle d’Agadir, la protestation du mouvement Génération Z a débuté le 27 septembre 2025.

Voilà pour le contexte du mouvement GenZ 212 du point de vue de la lutte sociale populaire. Qu’en est-il du contexte ouvrier ?

Le mouvement Génération Z 212 a commencé sa lutte trois jours après l’entrée en vigueur d’une loi interdisant pratiquement les grèves ouvrières. L’adoption de cette loi représente une défaite historique pour le mouvement ouvrier marocain et témoigne de son extrême faiblesse, qui a rendu inexistante son influence sur les jeunes engagé·es dans la lutte. En raison de la domination des forces politiques prônant la paix sociale au sein du mouvement syndical, les défaites se sont succédé sous le prétexte du « partenariat social », qui consiste pour l’État à intégrer les dirigeants syndicaux dans tous les plans visant à réduire les acquis sociaux.

À commencer par ce qu’on a appelé la charte nationale de l’éducation et de la formation, une charte néolibérale (1999) qui a ouvert la voie à la destruction du service public de l’éducation au profit du capital investi dans le secteur. Il y a eu également une restructuration de la protection sociale (assurance maladie et retraite) selon la même logique néolibérale, et la modification du droit du travail vers plus de précarité et la suppression des acquis historiques, ainsi que l’application des méthodes de gestion de la main-d’œuvre propres au secteur privé dans les secteurs publics (contrats temporaires, exploitation accrue...).

À cela s’ajoute l’incapacité du mouvement syndical à s’opposer à la privatisation rampante, à la politique de taux de chômage élevés, à la précarité généralisée et à la répression des libertés syndicales. Ainsi, la loi marocaine contient toujours des dispositions qui criminalisent la grève (une « entrave à la liberté du travail ») et interdisent la grève des fonctionnaires (loi datant de 1958) et interdisant la grève par réquisition de l’outil de travail par les salarié·es. La politique des bureaucraties syndicales a affaibli les syndicats et leur a fait perdre leur crédibilité, de sorte que la colère des travailleur·ses s’est exprimée dans des coordinations sectorielles qui ont accru la fragmentation et la désagrégation du paysage syndical.

Bien sûr, la résistance ouvrière se poursuit en dernière ligne de défense (lutte contre les licenciements, défense du droit syndical...), mais elle est dispersée, sans programme de lutte unifié ni horizon politique. La plus grande lutte dans ce contexte a été la grève des travailleur·ses de l’éducation pendant trois mois consécutifs (2023-2024) pour repousser l’attaque visant à imposer un statut qui détruit les acquis et impose des conditions de travail difficiles. Ce mouvement s’est caractérisé par l’émergence de nouvelles coordinations qui ont mobilisé les enseignant·es, y compris les bases des syndicats qui, pour la plupart, ont accompagné le plan du ministère de l’Éducation. Le mouvement a remporté une victoire partielle, l’État ayant renoncé à certaines dispositions du statut et accordé une augmentation salariale sans précédent dans l’histoire du secteur, supérieure à celle obtenue lors du mouvement du 20 février 2011. Cependant, cette augmentation n’a pas totalement satisfait les enseignant·es, car l’inflation a limité son effet. Mais l’absence d’une gauche syndicale a empêché la structuration de la base du mouvement de coordinations, ainsi que l’extension de la grève à au moins deux grands secteurs de l’État en ébullition à l’époque : les collectivités territoriales (90 000 salarié·es) et la santé (80 000 salarié·es), extension qui aurait pu ouvrir la voie à une grève générale redonnant au mouvement syndical son dynamisme et de nouvelles perspectives.

Au lieu de cela, les dirigeant·es des syndicats ont poursuivi leur politique de collaboration avec l’État en acceptant l’adoption d’une loi qui supprime la liberté de grève, tout en feignant de s’y opposer. Elles ont également accepté de poursuivre la réforme des régimes de retraite, après une première réforme en 2016 (relèvement de l’âge de la retraite des fonctionnaires à 63 ans, réduction des pensions et augmentation du montant des retenues sur salaire). Enfin, les dirigeant·es des syndicats ont accepté de modifier le droit du travail dans le sens d’une plus grande flexibilité et précarité.

Ces reculs fondamentaux ont aggravé la crise du mouvement syndical et lui ont fait perdre toute considération aux yeux de la classe ouvrière.

Le mouvement syndical marocain a donc été totalement pris au dépourvu par le mouvement GenZ 212, alors qu’il se trouve dans un état de faiblesse organisationnelle et sous la domination de dirigeant·es collaborant avec l’État, ce qui le rend incapable de soutenir la lutte des jeunes et d’y répondre comme l’exige le devoir de lutte.

La position des dirigeant·es des syndicats, dont certain·es sont guidé·es par des partis d’opposition réformistes ou religieux réactionnaires, quand d’autres sont directement subordonnés au palais, n’est pas nouvelle : la même approche a été suivie lors du mouvement du 20 février 2011, et elle s’est accentuée après que la révolution qui avait débuté en Syrie s’est transformée en guerre civile. Ils avaient alors mis l’accent sur la sauvegarde de la stabilité et de la paix sociale, dépassant les attentes de l’État à cet égard. Cela s’est confirmé face au Hirak du Rif et à l’ensemble de la vague de lutte populaire dans les régions négligées. Les bureaucraties syndicales évitent systématiquement toute convergence entre les luttes ouvrières et populaires, au nom de la paix sociale et du maintien de la stabilité…

Nous sommes donc loin de l’exemple de Madagascar, où le mouvement Génération Z s’est coordonné via Internet avec les syndicats pour appeler à des grèves nationales.

Quelle est la base sociale du mouvement Génération Z 212, quelles sont ses revendications et quelles formes prend sa lutte ?

À l’arrière-plan, il y a la catastrophe sociale que la pandémie de Covid-19 a mise en évidence sur la scène politique et médiatique : plus de 4,5 millions de familles ont besoin d’aide sociale, des centaines de milliers d’emplois ont été perdus à cause de la pandémie et des sécheresses successives, les services publics (en particulier la santé) se sont détériorés à cause de décennies d’austérité et de soutien au secteur privé, etc.

Le mouvement GenZ 212, en raison des dynamiques liées à sa création et son fonctionnement, est un mouvement de jeunes activistes numériques, hautement qualifié·es, diplômé·es du système éducatif, qui se heurtent à la réalité du marché du travail, caractérisé par des taux de chômage élevés et une grande précarité de l’emploi.

Le taux de chômage dans la tranche d’âge 15-24 ans (la plus grande part de la génération Z) atteint 35,8 %, et 47 % dans les zones urbaines. La plupart des emplois proposés aux jeunes sont extrêmement précaires, les contrats à durée déterminée étant devenus la norme après la généralisation du travail intérimaire et des agences d’emploi temporaire. Les secteurs qui emploient les jeunes se caractérisent également par une surexploitation, comme en témoignent notamment le secteur de la sécurité (120 000 salarié·es), les centres d’appels (130 000) et les câblages électriques pour l’industrie automobile.

Au départ, les revendications du mouvement étaient de nature sociale générale, manquant de précision et de dimension politique directe. Le mouvement a adopté le slogan « Nous ne voulons pas de la Coupe du monde, la santé d’abord », largement diffusé par la protestation d’Agadir le 14 septembre, et il a exigé la réforme des secteurs de l’éducation et de la santé, l’amélioration des conditions de vie et la lutte contre la corruption.

La revendication de la destitution du gouvernement est apparue le 3 octobre, exprimant des illusions quant à un changement de façade qui ne toucherait pas au cœur de la politique néolibérale et qui ne serait qu’une fausse issue politique sapant la dynamique de lutte du mouvement Génération Z 212, à l’instar du renouvellement du gouvernement de façade lors du mouvement du 20 février 2011, qui avait contribué à éteindre ce mouvement.

Après six jours de protestation, le mouvement a précisé ses revendications adressées directement au roi, dans une liste de huit revendications : la destitution du gouvernement d’Aziz Akhannouch, pour avoir échoué à protéger le pouvoir d’achat des Marocain·es ; le lancement d’une procédure judiciaire impartiale pour lutter contre la corruption ; la dissolution des partis politiques impliqués dans la corruption ; la mise en œuvre du principe d’égalité et de non-discrimination, en garantissant des chances égales aux jeunes en matière de santé, d’éducation et d’emploi, loin du clientélisme et du népotisme ; le renforcement de la liberté d’expression et le droit à la contestation politique ; la liberté pour tou·tes les détenu·es lié·es aux manifestations pacifiques ; la libération de tou·tes les prisonnier·es d’opinion, les participant·es aux soulèvements populaires et aux mouvements étudiants ; l’organisation d’une séance nationale publique de reddition de comptes sous l’égide du roi.

Ce document a été suivi d’un autre, publié le 10 octobre et intitulé « Cahier de revendications de la jeunesse marocaine : Pour l’activation du contrat constitutionnel et la réalisation des ambitions du nouveau modèle de développement ». Il s’appuie, comme son titre l’indique, sur le discours de l’État, à commencer par la Constitution de 2011, rejetée par le mouvement du 20 février et l’ensemble de l’opposition politique, et le « nouveau modèle de développement », régi par une logique néolibérale pure et dure. Même si les revendications comportaient des illusions, elles reflétaient une dynamique de politisation très large parmi les jeunes, longtemps considérés comme désintéressé·es par la politique. Cette dynamique a rapidement fait tomber une partie de ces illusions après les grands espoirs que le mouvement Génération Z 212 avait placés dans l’intervention personnelle du roi. Des espoirs que le roi a déçus dans son discours d’ouverture de la session parlementaire le 10 octobre.

Comparé au mouvement du 20 février 2011, lancé par des jeunes influencé·es par les révolutions en Tunisie et en Égypte, le mouvement Génération Z 212 se situe à un niveau politique inférieur. Les deux principaux slogans du mouvement du 20 février étaient : « Liberté, dignité, et justice sociale » et « Le peuple veut la chute de la tyrannie et de la corruption ». Les jeunes de GenZ212 ont conservé le premier slogan et la moitié du second, sans appeler à la chute de la tyrannie. Les jeunes du 20 février envisageaient le remplacement du pouvoir despotique par une monarchie parlementaire où le roi règnerait sans gouverner. Un communiqué du mouvement GenZ212, diffusé sur Discord le 18 septembre, précisait que le groupe « affirme clairement qu’il n’est pas contre la monarchie ni contre le roi, mais au contraire, considère la monarchie comme un élément de stabilité et de pérennité du Maroc » et qu’il réclame « une réforme radicale et un changement positif au sein de l’État et de ses institutions, afin que la priorité soit donnée à l’éducation, à la santé, à l’emploi et à la lutte contre la corruption, pour que les citoyens marocains puissent vivre dans la dignité et la justice sociale ».

Les formes de lutte du mouvement Génération Z 212 consistent en des manifestations de rue, dont certaines se transforment en marches, qui ont été réprimées et ont donné lieu à des arrestations dès le premier jour. Un grand élément de fragilisation du mouvement a été l’intervention des catégories de jeunes les plus opprimés. Ce sont les jeunes des marges appauvries, les chômeur·ses victimes du système éducatif, victimes de la propagation de la drogue et des phénomènes de violence. Les villes de Lqliaa et Aït Amira, dans la plaine du Souss, ont connu les plus importants actes de vandalisme et des incendies, et les équipements et les locaux des forces de répression y ont été pris pour cible par des jeunes cagoulés. Ces villes sont des quartiers très populaires, où vivent des jeunes venu·es de tout le pays à la recherche d’un emploi dans la plaine du Souss, qui concentre la plus grande partie de la main-d’œuvre agricole (70 000 à 100 000) dans de grandes exploitations capitalistes, dont la plupart des productions sont destinées à l’exportation. Ces jeunes, victimes de la violence d’un système capitaliste autoritaire et de son appareil répressif (105 000 prisonniers au Maroc, dont la moitié ont moins de 30 ans), ont répondu à la violence de l’État par une violence vengeresse qui était prévisible et qui a atteint son paroxysme le cinquième jour, le 1er octobre. Il ne fait aucun doute que la nature du mouvement Génération Z, dont l’organisation sur Discord contraste avec son organisation sur le terrain, a favorisé le déchaînement de la violence, contrairement aux manifestations organisées dans les zones rurales et à celles organisées par le mouvement ouvrier.

Après ces actes de violence, dont le mouvement Génération Z s’est désolidarisé, il a commencé à déterminer avec précision le lieu et la durée de ses manifestations afin d’éviter l’intervention des jeunes cagoulés, ce qui a entraîné une baisse de la participation aux manifestations, signe que cette phase du mouvement touchait à sa fin.

 

Quelle a été la réaction du régime ?

Les médias pro-régime ont attaqué le mouvement Génération Z 212 avec les accusations habituelles, selon lesquelles il serait dirigé depuis l’étranger et aurait des objectifs hostiles au régime. Les marches et les rassemblements ont été violemment dispersés, et de nombreuses arrestations ont eu lieu. L’Association marocaine des droits de l’Homme a recensé environ un millier de personnes arrêtées, dont beaucoup ont été libérées. À la mi-octobre, 272 personnes, dont 36 mineures, étaient toujours en détention, et 221 avaient été libérées sous caution. Les condamnations à des peines de prison et à des amendes se poursuivent.

Dans un discours prononcé le 10 octobre, le roi a déclaré que « la création d’emplois pour les jeunes et l’amélioration concrète des secteurs de l’éducation et de la santé » étaient des priorités, mais il n’a pas évoqué les manifestations des jeunes ni les mesures que le gouvernement allait prendre pour atteindre ces objectifs.

Puis est venu le communiqué du palais royal après la réunion du Conseil des ministres (présidée par le roi) du 19 octobre 2025 sur le projet de loi de finances pour l’année 2026, qui tentait de mettre en avant le caractère social du budget en mettant l’accent sur la priorité accordée à la création d’emplois pour les jeunes et à l’augmentation des budgets des secteurs de la santé et de l’éducation nationale.

L’annonce faite dans ce communiqué aura un effet apaisant immédiat, mais sa faiblesse apparaîtra rapidement au vu de l’ampleur des besoins et des attentes de la population sur le plan social, alors que les mêmes choix généraux persistent. De la même manière, le ministre de la Santé a annoncé des mesures et des enveloppes financières pour l’hôpital régional d’Agadir au lendemain de la manifestation du 14 septembre, qui se sont avérées bien en deçà des besoins. Cela est normal tant qu’il n’y a pas de révision radicale des choix capitalistes néolibéraux socialement destructeurs. Une révision qui nécessite un rapport de forces favorable aux classes populaires, dans lequel le mouvement GenZ212 a pesé de tout son poids, mais qui reste encore bien loin du but.

 

Quel sera l’impact du mouvement Génération Z 212 sur le mouvement ouvrier et les forces de gauche ?

La principale caractéristique de GenZ212 est la politisation d’une large frange de la jeunesse après des décennies de mouvements de lutte sectoriels, dont la plus importante est celle des diplômé·es universitaires au chômage. Cette dernière a structuré les luttes de la jeunesse pendant plus de vingt ans et a disparu après que l’État a remplacé la possibilité de recrutement direct par les concours. Au lieu de lutter ensemble, les jeunes ont été mis en concurrence. Le pays a également connu des luttes de jeunes enseignant·es, dont la plus importante a été celle de la Coordination des enseignant·es contractuel·les, qui a secoué le secteur de l’éducation pendant six ans.

L’enseignement supérieur a connu des luttes fragmentées, notamment dans les instituts et les écoles supérieures, dont la plus importante a été celle des étudiant·es des facultés de médecine et de pharmacie, qui a duré 11 mois (décembre 2023-novembre 2024).

Le caractère fédérateur du mouvement Génération Z 212 et ses revendications qui concernent l’ensemble des classes populaires en font une étape qualitative dans l’évolution de la conscience des jeunes. De plus, la confrontation avec la répression de l’État et le passage de revendications sociales à des revendications politiques – dont la destitution du chef du gouvernement, et la déception suscitée par le discours du roi du 10 octobre 2025 – constituent une évolution vers une plus grande clarté politique. Celle-ci s’est manifestée dans les débats politiques organisés par le mouvement sur la plateforme Discord, avec la participation d’acteur·rices politiques tous issu·es de la gauche et partisan·nes d’une monarchie parlementaire qui dépouille le roi de ses pouvoirs absolus.

Il ne fait aucun doute que l’influence du mouvement, qui a temporairement reculé sous le poids de la répression et des promesses du pouvoir, s’étendra aux jeunes salarié·es, qui sont également actifs dans l’espace numérique, à l’ensemble des jeunes des classes populaires, ainsi qu’à la base du mouvement syndical.

Les jeunes trouveront-ils le chemin vers des formes d’auto-organisation structurant leur mouvement en dehors du monde virtuel ? Vont-ils évoluer vers une perspective politique globale radicale ? Cela dépendra du mouvement syndical et de son implication dans les secteurs qui emploient massivement les jeunes, ainsi que de la cristallisation au sein de celui-ci d’un pôle de gauche qui défendra les intérêts réels de la classe ouvrière avec une vision porteuse d’un projet social alternatif. Cela dépendra également de ce que feront les forces de gauche. Comme d’habitude, une partie de ces forces se contente d’exprimer sa solidarité avec les luttes sociales à distance, d’appeler les dirigeants à réformer et d’attendre les échéances électorales, tandis que les militant·es de sa base jouent un rôle important dans de nombreuses luttes populaires ainsi que dans la résistance syndicale quotidienne. Quant à la gauche radicale, elle est pour la plupart appelée à revoir ses tactiques, que ce soit dans le travail syndical, où elle refuse de défendre une ligne alternative à celle de la bureaucratie, s’alignant sur celle-ci en échange de postes dans l’appareil, ou dans le déroulement de la vie politique électorale, où elle adopte une position abstentionniste stérile.

La politisation de la jeunesse de la génération Z et l’évolution rapide de sa conscience représentent un grand changement dans le paysage politique marocain, riche en possibilités, qui ouvre aux forces de gauche des perspectives sans précédent depuis des décennies. Depuis plus de quarante ans, la jeunesse s’est radicalisée de manière réactionnaire en renforçant des forces islamistes, ce qui a pratiquement tourné la page de la radicalisation marxiste de la jeunesse qui a marqué les années 1960-1970. Nous sommes aujourd’hui confronté·es à une vague de politisation dans un contexte totalement différent, en raison du fossé abyssal dans lequel est tombée la conscience de classe à la suite des défaites du mouvement ouvrier et des mouvements de libération nationale, mais il ne s’agit pas pour autant d’une politisation islamiste.

Depuis que les jeunes sont descendu·es dans la rue le 27 septembre 2025, les conditions pour la construction d’une large gauche anticapitaliste se sont améliorées, à partir des revendications sociales qui sont au cœur des luttes des jeunes, les mêmes que celles de la résistance ouvrière et de la résistance populaire dans le monde rural. Tout dépend de comment on saura agir, en s’appuyant sur les évènements. La politique n’est rien d’autre que l’art d’agir de manière appropriée en s’appuyant sur les circonstances.

Au niveau mondial, les soulèvements de la jeunesse dans de nombreux pays d’Asie et à Madagascar, ainsi que le mouvement de solidarité mondiale avec la Palestine, dont la grève générale en Italie a constitué une étape qualitative, ont eu des effets positifs, auxquels s’ajoute, au niveau régional, la grève générale et globale qui a eu lieu dans la province tunisienne de Gabès le mardi 21 octobre 2025. Il y a un grand espoir que les développements internes et externes se conjuguent pour donner une nouvelle impulsion à la lutte ouvrière et populaire au Maroc. 

Le 4 novembre 2025

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    212 est l’indicatif téléphonique du Maroc.

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