
Une deuxième grève générale en solidarité avec la Palestine a été appelée en Italie pour le 3 octobre. Nous publions l’évaluation par Sinistra Anticapitalista de la première grève du 22 septembre.
Le mouvement a été impressionnant, une rébellion politique et morale contre un génocide qui dure depuis des mois, voire des années. Il s’est élevé contre toutes les complicités directes et indirectes qui soutiennent et garantissent cette horreur sans fin. Mais c’est aussi un soulèvement contre toutes les incertitudes, les peurs et le conservatisme bureaucratique qui ont caractérisé les forces syndicales traditionnelles et la gauche modérée. Nous assistons à un véritable bond en avant dans la mobilisation, avec l’émergence d’un vaste mouvement de masse qui a impliqué et fait descendre dans la rue non seulement des militants, mais aussi une population extraordinairement plus large, des gens « ordinaires » qui ont compris qu’ils ne pouvaient pas rester les bras croisés, que le « plus jamais ça » proclamé après l’Holocauste devait être réaffirmé avec toute la force possible. D’autant plus face à un génocide qui n’est pas caché mais apparaît clairement à la télévision chaque jour. Il y a une prise de conscience qu’il faut rejeter la « banalité du mal » et la manière dont les pouvoirs en place veulent y habituer les citoyens et des peuples entiers.
La grève pour gaza
Les mobilisations répétées de ces derniers mois dans tout le pays et l’initiative de solidarité et d’aide de la Flottille ont créé les conditions pour que la date du 22 devienne le point de référence central. Même les médias ont dû reconnaître que c’était le jour de la grève pour Gaza, une journée de solidarité que tout le monde a reconnue.
C’est une mobilisation qui ouvre de grands espoirs, qui montre que tout n’est pas perdu, qu’un grand mouvement de masse est possible, que des millions de personnes rejettent l’existence barbare du capitalisme et du néocolonialisme. Tout cela est peut-être possible parce qu’hier, ceux qui n’avaient jamais manifesté auparavant ont commencé à le faire, et beaucoup d’autres ont recommencé. Il y avait peut-être un million de personnes en Italie, beaucoup de jeunes, beaucoup de femmes, beaucoup de travailleurs, mais aussi beaucoup de personnes dans la quarantaine et plus âgées, celles qui ont connu les « jours de gloire » des luttes des années 1970 et 1980. Tous ont clairement déclaré que les politiques des gouvernements et des classes dirigeantes doivent et peuvent être rejetées.
Une tâche difficile, mais pas impossible, nous attend : renforcer et étendre ce mouvement sur les lieux de travail et dans les communautés afin de construire un mouvement toujours plus fort contre le réarmement et contre les politiques néfastes qui créent les conditions de la guerre.
Cela exigera une grande unité et une forte volonté politique, car les pièges, les provocations et les embûches que les forces de la droite, les gouvernements et les élites bourgeoises mettront en place seront innombrables et éhontés. Il faudra les comprendre, les contrecarrer et les surmonter à chaque fois.
Le mouvement a pris le contrôle des rues
Si le slogan « grève générale et généralisée » a jamais eu un sens, ce qui s’est passé hier en Italie s’en rapproche beaucoup. Le slogan « bloquons tout », lancé par les dockers génois à la suite du lancement de la flottille Global Sumud, a été mis en pratique par des centaines de milliers de personnes – étudiants, travailleurs, militants, citoyens indignés, organisations politiques, associations, groupes sociaux, etc. Il s’agissait d’un nombre record pour ce type d’appel : une grève lancée par un syndicat de base, l’USB (et reprise par d’autres syndicats de base) qui n’avait pas toujours réussi à forger une véritable unité. Cependant, ils ont mieux compris que d’autres l’état d’esprit et les sentiments de plus en plus forts parmi les classes ouvrières et les citoyens, ainsi que la nécessité de fixer une date pour une mobilisation unifiée après les nombreuses manifestations qui avaient eu lieu de manière dispersée ces derniers mois. Ainsi, la grève a été reconnue par de nombreuses personnes – autrefois qualifiées d’« excessives » – comme le seul outil utile pour avoir un impact, ou du moins pour essayer d’en avoir un, dans un contexte marqué par les pratiques génocidaires du gouvernement israélien et la complicité flagrante des partis de droite au pouvoir. Mais aussi compte tenu de la réticence – récemment remise en cause – du syndicat CGIL et du centre-gauche à appeler un chat un chat et à exploiter un sentiment d’indignation de plus en plus aigu et répandu dans de larges secteurs de la société ainsi que dans les mouvements sociaux traditionnellement enclins à ces formes de lutte.
Il convient de noter la participation des élèves, mais aussi la participation massive des enseignants (de nombreuses écoles se sont mises en grève et sont descendues dans la rue), qui est une autre source d’espoir pour l’avenir. Les écoles sont touchées non seulement par le projet de la bourgeoisie de les transformer en entreprises, mais aussi par le projet réactionnaire, nationaliste et antidémocratique des forces au pouvoir.
La direction de la CGIL a manqué une occasion historique d’appeler à une mobilisation générale le jour déjà décidé par d’autres afin de maximiser le succès de la grève et des manifestations, comme l’avaient demandé les représentants du courant syndical de gauche, Le Radici del sindacato (les racines du syndicat). Ses dirigeants affirment que la CGIL est la seule organisation syndicale en Europe à s’être opposée au réarmement européen et à avoir organisé une journée de lutte (même si celle-ci a été complètement fragmentée) – ce qui en dit long sur l’état du syndicalisme européen et sur les défaites et le recul d’une grande partie des travailleurs. Cependant, ses choix indiquent également que ceux qui dirigent la plus grande organisation de masse du pays n’avaient ni les outils ni la volonté de comprendre ce qui se passait dans le pays. Pire encore, ils ont été freinés par le conservatisme de l’appareil et leurs relations avec les deux autres syndicats (sic...) et le PD (Parti démocrate). Heureusement, de nombreux membres et délégués de la CGIL ont joué un rôle important dans la mobilisation de masse.
Il est difficile de quantifier le nombre de personnes qui ont participé aux marches, mais les manifestations ont eu lieu dans au moins 80 localités et dans toutes les grandes villes, de Naples à Turin, de Gênes à Florence, de Bologne à Palerme. Elles ont été exceptionnellement importantes, hors du commun, surtout par rapport aux chiffres observés au cours des dernières décennies, démontrant qu’il y a eu un « élan populaire » écrasant et émouvant, qui a même submergé les organisateurs eux-mêmes. C’est pourquoi les rues d’hier ont été envahies par le mouvement de masse.
On peut peut-être parler d’un million de personnes dans les rues. Les ports ont été bloqués pour empêcher l’approvisionnement en armes. Les gares et les transports ont été bloqués par des manifestations et des grèves, et les gens ont exprimé de nombreuses façons leur détermination à ne pas rester silencieux, à faire entendre leur voix pour rejeter l’injustice et les massacres. Il est plus difficile de quantifier l’impact de la grève sur le lieu de travail, mais elle a certainement été très importante dans les transports et l’éducation.
À Rome, la manifestation a été d’une ampleur incroyable. Elle a débuté à 10h30 sur la Piazza dei Cinquecento, où les gens sont arrivés au compte-gouttes ou en suivant l’un des cinq cortèges partis des points de rassemblement. Trois heures plus tard, après des négociations avec la police, une marche a démarré, parcourant environ 10 km jusqu’à 17 heures, lorsqu’elle a atteint – et occupé – la Faculté des arts après avoir traversé à pied le périphérique Tangenziale Est. La circulation dans la capitale s’est littéralement arrêtée, mais pour la première fois, de nombreux automobilistes coincés dans les embouteillages ont manifesté leur sympathie et leur solidarité avec les manifestants (certains agitant des keffiehs depuis leurs fenêtres !). Cette « solidarité » des automobilistes bloqués par les marches et les occupations de tronçons d’autoroute était une « nouveauté » dans tout le pays.
Les raisons du succès
Ce succès est dû à la combinaison de plusieurs facteurs :
• des slogans clairs, radicaux mais compréhensibles : « Arrêtez le génocide », « Dénoncez la complicité politique, militaire, universitaire et économique », « Soutenez la Flottille mondiale Sumud », identifiée comme un geste concret de solidarité avec le peuple de Gaza.
• Le désir d’être présent, mais avec des gestes tout aussi tangibles, tels que la collecte record de nourriture à emporter à Gaza à Gênes, pour être véritablement l’« équipe au sol » de la flottille.
• La prise de conscience de l’extraordinaire gravité de la situation, de la faiblesse de la communauté internationale et de la catastrophe du droit humanitaire.
Il existe certainement d’autres raisons qui ont conduit à la grève et à la mobilisation dans les rues, et celles-ci sont dues au rôle d’un secteur plus petit mais significativement cohérent :
• L’appel conjoint à manifester lancé par les réseaux de la diaspora palestinienne et le comité organisateur de la flottille. Il ne fait aucun doute que l’USB, depuis le début de cette affaire, s’est toujours tenue aux côtés des organisations palestiniennes en Italie, tandis que d’autres groupes qui ont également eu des relations historiques avec l’OLP et l’ANP se sont montrés extrêmement timides face à la pression de la communauté juive officielle et de son appendice politique, la soi-disant « gauche pour Israël ».
• La prise de conscience que ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie (mais aussi en Ukraine) a des répercussions sur les conditions de travail et de vie de chacun, avec le revirement de l’UE vers le réarmement. Cela n’a pas encore été pris en compte par les larges couches populaires et les travailleurs, mais ce lien est de plus en plus visible et le sera encore plus avec le lancement du projet de budget.
Certes, la galaxie politique, syndicale, sociale et étudiante qui gravite autour de l’USB et d’autres syndicats de base a été une force motrice, et nous considérons que le soutien de la gauche radicale à la réussite d’une grève générale est positif. Cela inclut de nombreux membres de la CGIL et représentants syndicaux sur le lieu de travail qui critiquent ouvertement la manière dont la direction de la CGIL a géré la situation. Par exemple, le déclenchement précipité d’une grève 72 heures avant ses concurrents, comme si une intervention politique et organisationnelle pouvait être réalisée sans choix cohérents et initiatives concrètes.
Pour la première fois, un appel lancé par les syndicats de base a eu plus de succès que l’appel correspondant de la confédération (seule la grande grève scolaire de 2000 constitue peut-être un précédent), précisément parce qu’il a été repris par un « groupe » beaucoup plus large de personnes et de travailleurs.
Les défis de l’avenir
Nous avons besoin d’une participation encore plus massive, d’une meilleure organisation de base et d’un contenu radical
La marée humaine qui a déferlé sur les villes et les petits villages nous permet d’envisager les mobilisations à venir comme une nouvelle voie de croissance et d’expansion du mouvement de masse :
• en commençant par la manifestation nationale du 4 octobre,
• puis par la traditionnelle marche Pérouse-Assise, qui a déjà été appelée et qui sera encore plus appelée à dépasser ses limites traditionnelles et habituelles,
• et enfin par les manifestations déjà prévues par la CGIL,
Tous les protagonistes doivent s’efforcer de maintenir et même de multiplier la participation de tous les secteurs de la classe ouvrière, tant ceux qui sont plus ou moins stables que ceux qui sont totalement précaires, tout en élevant le niveau de conscience, de combativité et de concret exprimé dans le slogan « bloquons tout ».
Il faudra également être capable de gérer les provocations et les choix de l’adversaire de classe, du gouvernement et des forces qui gèrent l’ordre public.
Les incidents ont été évités à Rome grâce aux compétences de leadership des organisateur·ses, qui ont très bien géré la situation, notamment en invitant la police à ne pas attiser les tensions, par exemple en évitant de porter des casques lorsque la marche a envahi le périphérique.
On ne peut pas en dire autant de ce qui s’est passé à Milan, où la répression a été très dure et aura des répercussions pour certaines personnes, mais aussi pour le reste du mouvement. Le niveau de répression choisi par le gouvernement jouera également un rôle dans la poursuite des mobilisations. Le projet de loi sur la sécurité a été rédigé dans le but spécifique de neutraliser la possibilité de conflit. La guerre et la répression sont les deux faces d’une même médaille.
La force du mouvement de masse et sa capacité de leadership politique peuvent et doivent garantir que le mouvement soit renforcé et organisé sur le lieu de travail. Cette capacité sera décisive pour l’avenir et pour apporter un changement durable dans l’équilibre des pouvoirs entre les classes, ce qui présuppose à son tour l’unité d’action des forces syndicales. Nous avons également besoin que les communautés des quartiers et des villes affrontent les offensives et les contre-offensives de la droite et du pouvoir capitaliste.
En effet, l’objectif ultime est de construire un soutien international au peuple palestinien et un mouvement contre le réarmement, c’est-à-dire l’organisation d’une grève générale européenne.
24 septembre 2025
Traduit de l’anglais, publié par Sinistra Anticapitalista.