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Le Hezbollah, entre défis et résistances

par Joseph Daher
Un enfant tenant une image de Hassan Nasrallah lors d'un défilé pendant son discours, en novembre 2023. © Fars Media Corporation, CC BY 4.0

Le Hezbollah est confronté à son plus grand défi depuis sa fondation, avec l'assassinat de dirigeants militaires et politiques clés, dont son secrétaire général Hassan Nasrallah, qui a dirigé le parti pendant 32 ans. 

L’armée d’occupation israélienne a imposé, avec le soutien des États-Unis, à partir de la mi-septembre, une escalade meurtrière contre le Liban, prenant la forme d’une guerre ouverte. Cette escalade a commencé par l'explosion d'appareils de communication utilisés par des membres du Hezbollah, civils et militaires, tuant 39 personnes et en blessant près de 3 000. Elle s'est poursuivie par des campagnes de bombardements massifs visant à assassiner les hautes personnalités militaires et politiques du Hezbollah, mais tuant également plus d'un millier de civils et à provoquer le déplacement forcé de plus d'un million de personnes. Le total de personnes tuées depuis le 7 octobre dépasse maintenant les 2000. 

Culte de la personnalité

Au cours des dernières décennies, un culte de la personnalité s’est développé dans la propagande du parti autour de Hassan Nasrallah. Cela s’est notamment reflété dans les suites de la guerre d’Israël contre le Liban en 2006, lorsque leur slogan initial « Al-Nasr al-îlâhi » a été changé en « Nasr(un) min Allâh » (Une victoire de Dieu), ce qui était une instrumentalisation du nom de Hassan Nasrallah. Cela faisait partie de la culture de l’image du leader dans les campagnes médiatiques du parti.

Alors que le Hezbollah jouissait d’une popularité considérable auprès des autres confessions religieuses libanaises et même au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, la popularité de Nasrallah en dehors de la base du parti a considérablement diminué après la guerre de 2006. Plusieurs raisons expliquent cette évolution, notamment l’utilisation par le Hezbollah de ses capacités militaires contre d’autres acteurs nationaux. Par exemple, en 2008, le parti a envahi certains quartiers de Beyrouth-Ouest et des affrontements militaires ont eu lieu dans d’autres régions, notamment dans le Chouf, après que le gouvernement libanais a annoncé qu’il souhaitait démanteler le réseau de communication du parti.

En plus de ce conflit intérieur, il a participé plus tard à la répression meurtrière du mouvement populaire syrien aux côtés du régime despotique syrien et cela a de nouveau attisé les tensions confessionnelles au Liban. 

Enfin, le Hezbollah fait partie de tous les gouvernements depuis 2005 et est donc perçu comme l’un des responsables de la crise économique et financière de 2019, comme les autres partis dominants libanais. Hassan Nasrallah a même été très virulent à l’égard du mouvement de protestation cette année-là, l’accusant d’être financé par des ambassades étrangères et envoyant des membres du parti attaquer les manifestants. Ajoutons à cela d’autres incidents confessionels, entre des membres du Hezbollah et des individus d’autres confessions, et finalement les accusations, à l’encontre du Hezbollah principalement, d’obstructions dans l’enquête sur les explosions du port de Beyrouth. Tous ses éléments ont mené à un plus grand isolement, à la fois politique et sociale au de la population libanaise, hors de sa base populaire chiite, du Hezbollah. Plutôt que d’être considéré comme une figure de la résistance nationale, Nasrallah était également de plus en plus perçu comme un « Zaim » confessionnel défendant les intérêts politiques de son parti et ceux de régimes autoritaires, comme la Syrie et l’Iran.

C’est cet isolement qui a contribué à la volonté du parti d’éviter une guerre totale avec Israël après le 7 octobre. En adoptant une action calculée et modérée contre les cibles militaires israéliennes, le Hezbollah a tenté d’empêcher que le conflit ne soit exploité par des ennemis politiques internes au Liban, ce qui ferait du parti le principal acteur responsable de tous les malheurs du pays. Cependant, la guerre actuelle d’Israël contre le Liban, avec le soutien des États-Unis, a gravement compromis ce plan.

Et maintenant ?

Dans ce contexte, les responsables du Hezbollah tentent de démontrer que le parti poursuit la voie tracée par l’ancien secrétaire général du parti après son assassinat et celui d’un certain nombre de hauts cadres militaires et politiques. Le leader intérimaire Naim Qassem l’a souligné devant ses partisans et ses membres dans son discours, lorsqu’il a déclaré : « Nous poursuivons les traces de Hassan Nasrallah ».

Pour le Hezbollah, les priorités sont désormais de protéger d’abord ses structures internes et sa chaîne de commandement, notamment en comblant le vide au sommet du parti concernant les différentes responsabilités politiques et militaires, et en élisant un nouveau secrétaire général.

Ces priorités expliquent en partie l’évolution rhétorique récente du parti du Hezbollah concernant l’objectif affiché depuis le 7 octobre de 2023 de ne pas séparer les fronts de Gaza et du Liban jusqu'à un cessez-le-feu dans la bande de Gaza. En effet, le secrétaire général adjoint Naïm Kassem, et des députes du parti Hussein Hajj Hassan et Amine Cherri, ont affirmé après l’assassinat de Hassan Nasrallah que leur priorité était de mettre fin à l’agression israélienne contre le Liban et de soutenir un cessez-le-feu, indépendamment d’un arrêt des combats à Gaza. Cependant ces déclarations restent lettre morte, car l’armée d’occupation israélienne poursuit sa guerre meurtrière contre le Liban. Cette évolution est aussi liée aux défis internes sur le plan national, et l’incapacité pour son principal soutien l’Iran de faire bien plus en faveur du Hezbollah.

Cela dit, le parti reste actuellement l'acteur politique le plus important au Liban, tout en continuant à exercer une influence dépassant ses frontières nationales, notamment en Syrie, et à représenter les intérêts politiques régionaux de Téhéran. 

Les capacités militaires du Hezbollah continuent de représenter un atout majeur du parti, malgré les infiltrations israéliennes, l'affaiblissement de la communication interne et l'assassinat d'un grand nombre de ses commandants militaires expérimentés. Il dispose notamment d’effectifs militaires de plusieurs dizaines de milliers de soldats (probablement environ 50.000 avec les réservistes) et d'un vaste arsenal de roquettes et de missiles. Pour la première fois depuis le 7 Octobre, le parti a utilisé différents types de missiles Fadi, qui sont des missiles puissants et de longue portée, pour frapper des sites militaires dans la périphérie des villes de Haïfa et de Tel-Aviv. De même, lors des premières tentatives d'infiltration de l'armée d'occupation israélienne dans les territoires libanais, les soldats du Hezbollah ont leurs infligés des pertes, en détruisant plusieurs tanks et causant la mort de plusieurs soldats israéliens. 

Parallèlement à son mouvement armé, le parti dispose d'un vaste réseau d'institutions fournissant à sa base populaire des services clés et essentiels, même s'ils ont été partiellement mis à mal par la guerre et sont sous pression des besoins toujours croissant de la population impactée par la guerre, dont un grand nombre sont issus de sa base populaire. Dans ce contexte, cette dernière restera très probablement dans sa grande majorité fidèle, malgré des critiques plus importantes formulées à l'encontre du parti et de ses politiques, en particulier en l'absence d'une alternative politique inclusive et dans le contexte d'une crise économique profonde et continue avec un État et ses services publics aux abonnés absents.

Au niveau régional, un affaiblissement trop important du Hezbollah est problématique pour la stratégie géopolitique et le réseau d'influence régional de l'Iran. Les objectifs stratégiques de Téhéran, en particulier depuis le 7 Octobre, ont en effet été d'améliorer sa position géopolitique régionale afin d'être dans la meilleure position pour les futures négociations avec les États-Unis, en particulier sur les questions nucléaires et les sanctions, et de garantir ses intérêts politiques et sécuritaires. La dernière attaque iranienne contre Israël doit être considérée dans ce cadre, tout en essayant de réaffirmer une forme de dissuasion, bien qu’inégale par rapport à la supériorité des capacités militaires israéliennes et au soutien apporté par Washington. De plus cette attaque ne permettra à aucun moment d’arrêter la guerre israélienne contre le Liban.

Le Hezbollah se trouve dans la situation la plus dangereuse depuis sa fondation, et il est peu probable que cela s’améliore de sitôt compte tenu des attaques continues d’Israël et de l’isolement du parti au Liban.

Si les principaux atouts du mouvement ont été de construire une organisation forte et disciplinée, et non un « one-man show » – malgré le culte de la personnalité dont bénéficie Nasrallah –, la capacité du parti à élargir sa base est très limitée par sa stratégie et son orientation politiques. Le Hezbollah ne s’est pas engagé dans la construction d’un projet contre-hégémonique qui remettrait en cause le système confessionnel et néolibéral libanais. En fait, il l’a activement soutenu en devenant l’un de ses principaux défenseurs.

De plus, le parti a agi comme le principal centre d’influence et d’intérêts iraniens dans la région, en particulier après l’éruption des soulèvements en Syrie et au Moyen-Orient et en Afrique du Nord depuis 2011, qui favorisent également un ordre autoritaire néolibéral opposé à l’émancipation et à la libération des classes populaires.

En d’autres termes, le Hezbollah, comme d’autres acteurs politiques régionaux impliqués dans la résistance contre Israël, est incapable de construire un grand mouvement liant les enjeux démocratiques et sociaux, s’opposant à toutes les forces impérialistes et sous-impérialistes, tout en promouvant la transformation sociale par en bas, à travers la construction de mouvements dans lesquels les classes populaires sont les véritables acteurs de leur émancipation.

Le 5 octobre 2024

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Auteur·es

Joseph Daher

Joseph Daher militant de la IVe Internationale. Il enseigne à l’Université de Lausanne, en Suisse, et est professeur affilié à l’Institut universitaire européen de Florence, en Italie. Il est l’auteur de nombreux rapports, articles et livres.