Alors que l’invasion terrestre du Liban par Israël s’enlise, malgré la poursuite de bombardements meurtriers, une guerre par d’autres moyens se déroule derrière les lignes de front. Les acteurs diplomatiques, politiques et médiatiques se mobilisent pour remodeler les équilibres politiques du Liban dans le but d’affaiblir le soutien à la résistance palestinienne et ramener le pays dans l’orbite occidentale et israélienne.
Selon des informations publiés par le quotidien beyrouthin Al Akhbar, l’ambassadrice américaine au Liban, Lisa Johnson, aurait tenu, le 11 octobre une série de réunions avec des hommes politiques libanais, y compris des membres « indépendants » du parlement. Elle leur aurait demandé de se préparer à une nouvelle « ère post-Hezbollah », dans laquelle le contrôle présumé du parti sur l’État et les postes-frontières ne tiendrait plus.
L’envoyé spécial de Washington, Amos Hochstein, ancien militaire et lobbyiste israélien, apparait publiquement sur les principales chaînes libanaises et diffuse la même version, mais dans un langage diplomatique. Le Premier ministre libanais Najib Mikati et le Conseil des ministres ont également affirmé leur attachement à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui vise officiellement à mettre fin aux hostilités entre le Hezbollah et Israël. De son côté, Israël n’a pas encore annoncé son approbation.
Les responsables américains, enhardis par les attentats israéliens sur les bipeurs et l’assassinat de hauts responsables du Hezbollah, dont son secrétaire général Hassan Nasrallah, misent sur deux chevaux de Troie pour renverser la situation du Hezbollah de l’intérieur.
Le premier est de précipiter l’élection d’un nouveau président dont le programme serait conforme aux politiques américaines et israéliennes. Le chef de l’armée libanaise, Joseph Aoun, est un candidat probable. Le choix d’Aoun est lié au deuxième cheval de Troie de la campagne américaine contre la résistance : une version remaniée de la résolution 1701.
L’intégrité territoriale du Liban
La version actuelle de la résolution a été publiée au lendemain de la guerre israélienne de 2006 contre le Liban. Elle a servi de point de référence pour le désengagement du conflit. Elle affirmait « l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance politique du Liban » comme moyen de saper la résistance armée menée par le Hezbollah en trois étapes.
La première consiste à interdire toute présence armée du Hezbollah au sud du fleuve Litani et soutient l’appel au désarmement du groupe conformément à la résolution 1559 des Nations unies, adoptée deux ans plus tôt. En revanche, aucune restriction de ce type n’a été imposée à Israël. La deuxième consiste à déployer l’armée libanaise dans tout le sud et la troisième à augmenter la présence des troupes de l’ONU à 15 000 hommes, tout en cherchant à les utiliser comme les yeux et les oreilles des puissances occidentales plutôt que comme des protecteurs de la population du sud.
Le Hezbollah a réussi à contourner ces nouvelles restrictions en adoptant une double approche : éviter toute présence armée visible au sud du Litani et se coordonner avec les factions loyales de l’armée libanaise afin d’être rapidement alerté des tentatives des troupes de l’ONU de mettre au jour toute cachette ou activité.
À en juger par la guerre actuelle, la stratégie du Hezbollah a été relativement efficace. C’est pourquoi Washington mise actuellement sur une version remaniée de la loi 1701 et sur des mécanismes d’application plus stricts qui évitent les échecs du passé. Les plans états-uniens sont favorisés par plusieurs développements survenus depuis 2004.
Une armée faible et des Nations unies impuissantes
Sur le plan militaire, les États-Unis ont conclu un partenariat stratégique avec l’armée libanaise à la suite de la guerre de 2006. Ce partenariat comprend une aide financière d’un montant de 3 milliards de dollars. Les ambassadeurs américains rencontrent régulièrement le chef de l’armée, Joseph Aoun, et organisent des formations conjointes ou des cérémonies avec des officiers de haut rang.
Cette politique visait à créer une armée idéologiquement docile. Mais du fait de l’engagement inébranlable de Washington en faveur de la supériorité militaire d’Israël, aucune partie de cette aide n’a été consacrée à l’achat d’armes offensives ou à la formation à la défense contre les agressions étrangères plutôt que contre la répression interne.
La stratégie de Washington consistant à aider Israël en priorité signifie que l’armée libanaise est incapable de défendre le Sud-Liban contre des menaces israéliennes crédibles. Au cours de cette guerre, Israël a attaqué et tué des soldats de l’armée libanaise sans susciter de réaction.Le déploiement des forces armées libanaises dans le sud contribuera à sécuriser Israël, et non le Liban. Une conséquence inattendue est l’incapacité de l’armée à maîtriser le Hezbollah, contrairement aux attentes de Washington.
Les troupes de l’ONU au Liban, connues sous le nom de Finul, sont tout aussi impuissantes face à l’agression israélienne. Depuis leur déploiement après l‘invasion israélienne de 1978,ces troupes n’ont pas réussi à arrêter une seule attaque israélienne. En 1996, Israël a bombardé un complexe de l’ONU dans le sud du Liban abritant des Libanais déplacés, tuant plus de 100 personnes et en blessant des centaines d’autres.
Depuis 2006, la neutralité relative de la Finul semble avoir été remplacée par un parti pris manifeste en faveur d’Israël, malgré le comportement agressif de ce dernier. Au début du mois d’octobre, Israël a attaqué les troupes de l’ONU sous prétexte qu’elles n’appliquaient pas la résolution 1701 et a demandé leur redéploiement à quelques kilomètres au nord de la frontière.
Le 17 octobre, un navire de guerre allemand opérant sous le drapeau de la Finul a abattu un drone qui se dirigeait du Liban vers la Palestine occupée. Cela préfigure la demande de l’envoyé étatsunien Hochstein d’autoriser les troupes de l’ONU à agir en tant que mandataires d’Israël pour traquer et attaquer les forces de la résistance.
Siège économique et social
Sur le plan économique, Washington et ses alliés du Golfe ont renforcé les sanctions financières et économiques à l’encontre du Liban, lui ont refusé toute aide après l’effondrement financier de 2019 et ont fait la chasse aux ressources des communautés chiites expatriées en Afrique de l’Ouest et en Amérique latine afin de tarir tout financement communautaire présumé du Hezbollah. Ces mesures avaient pour but d’alimenter les conflits sectaires et d’inciter la base sociale à s’opposer au Hezbollah.
Parallèlement, Washington a favorisé le renforcement des liens avec les ONG émergentes et les députés nouvellement élus afin de créer une élite politique apparemment indépendante, dissociée de la réputation endommagée des forces traditionnelles tout en soutenant des positions opposées à celles de la résistance. Les machinations états-uniennes ont eu un certain impact, notamment sur l’opinion publique. La domination des médias pro-occidentaux au Liban y a certainement contribué. Mais le Hezbollah et son principal allié, le mouvement Amal, ont renforcé leur base sociale lors des dernières élections législatives, qui se sont tenues en 2022.
Malgré la médiocrité des résultats obtenus par les États-Unis, Washington espère maintenant que le désastre social qui résulte du fait qu’Israël a tué, blessé et déplacé des centaines de milliers de personnes créera des conditions suffisantes pour paralyser le Hezbollah. Mais il est clair que sans une victoire militaire décisive – et jusqu’à présent hors de portée – contre le Hezbollah, tous ces efforts ont peu de chances de porter leurs fruits. Essayer d’éliminer brutalement la base sociale du Hezbollah en massacrant des civils ne fonctionnera pas non plus. La multiplication des attaques contre l’ensemble de la communauté ne fera que renforcer sa détermination à soutenir les forces de résistance qui la défendent.
Cet article a été publié le 23 octobre 2024 dans Middle East Eye. Traduction Contretemps.