Une initiative de régularisation dans la vague de xénophobie européenne

par Teresa Antia

En avril dernier, le Congrès a débattu et accepté de prendre en considération une proposition de loi visant à régulariser les sans-papiers. Le texte a été présenté par un large groupe d’organisations qui, par le biais du mécanisme d’initiative législative populaire, proposent une régularisation sous la forme d’une modification d’une disposition transitoire de la Loi sur les étrangers.1

L’objectif est de forcer le gouvernement à mettre en œuvre une régularisation des migrants partant de l’estimation selon laquelle quelque 500 000 personnes vivent en situation irrégulière en Espagne. L’initiative législative a largement recueilli le demi-million de signatures nécessaires à sa mise en œuvre, atteignant plus de 600 000 et sa soumission à débat au Congrès a été acceptée, ouvrant la voie au processus parlementaire.

 

Un mouvement très large

Un soutien de cette nature, matérialisé à la fois dans la collecte des signatures et dans le soutien au traitement parlementaire par tous les groupes, à la seule exception du groupe d’extrême droite Vox, est lié à la nature transversale des organisations qui ont lancé l’initiative, allant du mouvement des migrantEs et des raciséEs lui-même aux organisations catholiques, en passant par les ONG et certains partis de gauche. Cependant, cette transversalité est également évidente dans leurs arguments et en particulier dans le biais instrumental qui apparaît dans le titre même de la campagne. En effet, le mot "Essentiels" (Travailleurs/ses essentiel·les) répond à la dénonciation plus que légitime de la situation de nombreuses personnes employées dans le secteur du soin ou service à la personne sans pouvoir accéder à un statut légal, ce qui les condamne à la précarité dans tous les domaines.

Cette situation est devenue particulièrement visible au moment de la pandémie, alors que ces personnes ont fait partie de celles qui ont dû maintenir leur travail présentiel, au risque d’être contaminées. Il ne fait aucun doute que cette réalité est un bon moyen d’attirer l’attention sur la situation d’exclusion des migrants en situation irrégulière et, en même temps, sur le fait que nos sociétés ont besoin d’elleux, mais il n’est pas difficile de voir que cette ligne peut conduire à des positions qui instrumentalisent les migrants, justifiant leur régularisation ou non sur la base de leur travail, et non sur la base de la dignité de la personne.

 

Quelle(s) régularisation(s) ?

Néanmoins, la proposition dans son ensemble évite ces positions et se positionne clairement en faveur de la régularisation de tou·es les migrant·es, qu’ils soient travailleurs ou non. Entre autres arguments, il est important d’insister sur la normalité de ces procédures, malgré le fait que la vague réactionnaire actuelle puisse faire croire qu’elles ne le sont pas. En outre, la visibilité et le leadership des migrants sont essentiels, depuis l’apparition des organisations sur le web jusqu’à la présentation publique au Congrès.

À partir de là, il faudra voir où cela ira, et seuls les partis ayant une représentation parlementaire ont la capacité d’agir à cet égard. Le scénario prévoit un débat au Congrès et au Sénat au cours duquel des amendements pourraient être introduits et, en cas d’approbation d’un texte, la rédaction d’un décret royal qui articulerait les aspects spécifiques de cette régularisation. Deux aspects pourraient être abordés : d’une part, le délai de régularisation et, d’autre part, les limites qui pourraient conditionner et donc réduire le nombre de personnes pouvant bénéficier de la mesure. En tout état de cause, tout dépendra du calendrier politique. Sur le papier, il semblerait que le résultat le plus probable pour la majorité qui soutient le gouvernement serait une petite régularisation en termes quantitatifs, qui ferait avancer la politique de gestes progressifs sans effrayer l’UE ou son électorat plus conservateur, mais dans des circonstances aussi changeantes et sous la direction d’un premier ministre particulièrement enclin aux revirements tactiques, tous les résultats sont possibles.

On ne peut pas non plus négliger le fait que cette décision intervient non seulement à un moment où l’Europe connaît un virage conservateur et xénophobe, mais aussi après l’approbation de textes politiques qui durcissent brutalement les règles du régime de la demande d’asile. Dans cette optique, il sera intéressant de voir quels débats et quelles brèches peuvent s’ouvrir, en gardant à l’esprit le revers de cette position macabre, à savoir que la vague de rejet de la migration ne se n’affronte pas le besoin objectif de migrants. Il sera donc intéressant de voir ce qui pèse le plus lourd dans l’évaluation du gouvernement au moment d’adopter une position sur la proposition de régularisation : la crainte du rejet politique qu’elle pourrait susciter ou l’avantage de régulariser davantage de travailleur.euses et d’améliorer ainsi le bilan économique. De même, il sera intéressant de voir comment s’articule la position du gouvernement pour justifier cette régularisation, dans le cas où elle se concrétiserait, alors qu’il développe une ligne ultra-restrictive sur la question du travail sexuel - principalement exercé par des femmes migrantes - et face à la migration circulaire, qui permet l’arrivée ponctuelle de personnes pour travailler pendant des périodes limitées et retourner ensuite dans leur pays d’origine.

La tolérance à l’égard de certain·s migrant·es confronterait les positions les plus restrictives et permettrait peut-être d’ouvrir des débats de fond plus que nécessaires face à la marée de préjugés et de mensonges qui se répandent actuellement dans le débat public sur les migrations. Même si l’on regrette que la revendication d’une citoyenneté mondiale et du droit à circuler et à travailler librement soient peu présents dans cette initiative, elle n’en demeure pas moins remarquable en ce qu’elle pourrait ouvrir un long et nécessaire débat sur la population migrante qui, qu’elle exerce un travail productif ou qu’elle soit dans d’autres situations, fait partie de nos sociétés et doit pouvoir le faire dans des conditions de dignité qui commencent par leur reconnaissance légale.

Le 23 mai 2024, publié par Viento sur

  • 1Loi organique 4/2000, du 11 janvier, sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur intégration sociale.