Entretien avec Shawn Fain sur Volkswagen et la stratégie de l’UAW au Sud

par John Nichols

«Famille Volkswagen, bienvenue dans la famille UAW», a déclaré le président du syndicat United Auto Workers (UAW), Shawn Fain, vendredi soir 19 avril, après que les travailleurs de l’usine Volkswagen de Chattanooga, dans le Tennessee, ont voté par 2628 voix contre 985 en faveur d’une représentation syndicale. Ce vote massif a constitué une victoire sans précédent pour l’UAW dans une usine appartenant à des capitaux étrangers et située dans le Sud, une région historiquement difficile à syndiquer.

Lors d’une interview réalisée avant le vote, Shawn Fain et moi-même avons longuement discuté de la direction que prend le syndicat, et notamment des raisons pour lesquelles la victoire chez Volkswagen est cruciale pour l’organisation des usines dans le Sud et dans tout le pays. Nous avons également discuté de la lutte plus large pour organiser les travailleurs des entreprises automobiles non syndiquées aux Etats-Unis, comme l’usine Tesla d’Elon Musk à Fremont, en Californie. Cette transcription a été légèrement modifiée pour des raisons de longueur et de clarté.

John Nichols: Lorsque la grève de l’UAW contre les Big Three a abouti, beaucoup de gens ont prêté attention à ce que le syndicat allait faire ensuite. Vous avez indiqué que l’UAW était déterminé à organiser l’ensemble de l’industrie automobile, à s’attaquer aux usines du Sud qui appartiennent à des sociétés étrangères, ce qui a toujours été difficile, et enfin à s’attaquer à Tesla.

Shawn Fain: Les gens disaient que nous ne pourrions jamais nous organiser dans le Sud. Nous avons atteint 50% chez Volkswagen [début février], puis plus tard dans le mois [atteint 50% des travailleurs] chez Mercedes-Benz [usine de Vance, Alabama]. Cela nous ramène à une situation dont on ne parlait pas. Depuis que [la victoire contre les Big Three] s’est produite, depuis que ces travailleurs et travailleuses ont vu la différence que fait un syndicat, ils veulent obtenir leur part. Ces entreprises du Sud sont plus rentables que les Big Three n’auraient jamais pu l’être, et les travailleurs sont encore moins bien payés. L’exploitation de ces travailleurs est cinq fois supérieure à ce qu’elle était dans les Big Three. Les travailleurs et travailleuses s’en rendent compte aujourd’hui – ils voient la réalité de la situation. Et, déjà, en raison de ce succès, vous avez vu l’Etat de l’Alabama, sa Chambre de commerce, son gouverneur, s’y opposer. Ils ont créé une nouvelle entité appelée «Alabama Strong», où ils essaient de monter les travailleurs contre les syndicats.

Il y a une longue histoire d’intérêts politiques et économiques puissants dans ces États du Sud, qui cherchent à bloquer les syndicats.

Nikki Haley [ex-ambassadrice des États-Unis à l’ONU janvier 2017-décembre 2018; candidate aux primaires républicaines], en tant que gouverneure [de janvier 2011 à janvier 2017], a déclaré: «Si vous êtes syndiqués, vous n’êtes pas les bienvenus en Caroline du Sud.» Ils essaient de faire passer des lois [anti-syndicales]. Ils l’ont fait dans le Tennessee, ils essaient de le faire en Géorgie, où si une entreprise accepte de prendre en compte les cartes de vote pour un syndicat, elle ne recevra aucun financement de la part de l’État. Ils essaient de dire que [faire signer les cartes syndicales aux travailleurs – carte qui indique le vœu d’être représenté par un syndicat], c’est pour le syndicat un moyen de pression sur les salarié·es. Le syndicat n’oblige personne à signer une carte syndicale. C’est une décision personnelle. Mais ce dont ils ne parlent pas, c’est de la manière dont les entreprises enfreignent la loi tous les jours avec ces salarié·e·s. Les entreprises organisent des réunions avec un public captif. Elles les menacent. Elles les menacent de fermer leur usine s’ils se syndiquent. Elles menacent de déplacer les emplois au Mexique. Elles enfreignent la loi à plusieurs reprises et rien ne se passe.

Les entreprises créent une situation où signer une carte syndicale est souvent un acte de courage. Elles ont mis en place toute une stratégie pour dissuader les travailleurs et travailleuses de se syndiquer, tout en prétendant que le syndicat les intimide.

C’est le bras de fer. C’est ce qu’on appelle les brimades. Cela vient de l’entreprise. L’époque où l’on prétendait que le syndicat intimidait les travailleurs est révolue. Les brimades et les torsions de bras sont le fait d’un seul camp – elles sont du côté des entreprises et de la classe des milliardaires. Il faut que cela cesse. Nous devons mettre en place des lois qui obligent ces entreprises à rendre des comptes lorsqu’elles enfreignent la loi. Lorsque des membres de la classe ouvrière enfreignent la loi, ils vont en prison. Ils en subissent les conséquences. Il n’y a pas de conséquences pour ces entreprises, et cela doit cesser.

Mais vous n’obtiendrez pas de lois qui y mettent fin si vous n’élisez pas davantage de partisans des syndicats.

Cela nous ramène aux deux candidats à la présidence. Donald Trump était président, qu’a-t-il fait? Il a placé un antisyndical à la tête du National Labor Relations Board, et nous avons reculé. A l’époque ils ont tué la campagne de syndicalisation chez Volkswagen.

Avec le président Joe Biden, les syndicats auront des personnes plus favorables à leur cause. Ils travailleront pour les travailleurs. Toutes ces choses reviennent à la politique et au fait que les travailleurs et travailleuses doivent défendre leurs propres intérêts. Tout est lié.

Il y a beaucoup plus de gens à organiser dans le Sud. Et puis il y a Elon Musk et Tesla. Lorsque l’UAW s’attaque à Tesla, il s’attaque en fait à la classe des milliardaires, n’est-ce pas? En ce qui concerne l’histoire de l’Amérique, c’est très important.

Tesla est au même endroit sur le radar que tout le monde dans le Sud. Il ne s’agit pas de privilégier l’un par rapport à l’autre. Nous donnons la priorité à ce qui a le plus de potentiel actuellement, nous nous concentrons là-dessus et nous allons continuer à le développer. Je suis fermement convaincu qu’une fois que le premier domino tombera, les vannes s’ouvriront. Les gens se rendront compte de l’avantage qu’il y a à être syndiqué. (Entretien publié dans The Nation le 18 avril 2024, mis à jour le 20 avril; traduction rédaction A l’Encontre)