
CNN titre : « séisme politique » et « les Démocrates devraient avoir peur ». Le site de Jacobin parle d’une « foudre politique qui a frappé New York ». The Nation, « la plus ancienne revue de gauche des Etats-Unis », constate qu’« avec la victoire surréelle et historique de Zohran Mamdani, une ville est morte et une autre est née ». Znetwork exulte que « après des décennies de défaites pour les travailleurs et la gauche, assister hier soir à l’entrée dans l’histoire de Zohran Mamdani a presque ressemblé à un rêve ». Et Democracy Now ! pavoise en soulignant que « l’histoire s’est écrit mardi soir lorsque le socialiste démocrate Zohran Mamdani a réussi à renverser la vapeur et à battre Andrew Cuomo lors des primaires démocrates pour la mairie de New York ».
Les médias américains, grands et moins grands, de gauche et de droite, sont unanimes à constater l’importance historique de la victoire de Zohran Mamdani, ce socialiste démocrate musulman de 33 ans d’origine indienne, qui se bat pour les ouvriers, les migrants, les pauvres, les exclus, et les Palestiniens, et qui n’est devenu américain qu’en 2018 après avoir vécu en Ouganda et en Afrique du Sud. Et ils sont aussi unanimes à voir en lui le prochain maire de New York, vue sa victoire sans appel sur le poids lourd de l’establishment démocrate qu’est l’ex-maire et ex-gouverneur de New York Andrew Cuomo. Et penser que l’inconnu du grand public Zohran Mamdani a gagné avec 43,5% des voix d’une élection marquée par une participation historique, alors que les sondages en février dernier ne lui donnaient que… 1% des préférences des démocrates New Yorkais !
Alors, comment un tel miracle a pu se produire d’autant plus que Mamdani s’affrontait à l’establishment démocrate soutenu par le grand capital nord-américain et en sous-main même par le trumpisme ? La réponse est connue et est déjà très commentée et analysée aux États-Unis : cette victoire « surréelle » de Mamdani a été obtenu grâce aux 50.000 volontaires (!) qui se sont démenés pour sa candidature pendant des mois, mobilisant les pauvres et les exclus des quartiers déshérités de New York, lesquels s’abstiennent traditionnellement ou qui vont jusqu’à voter pour Trump. La leçon de cette victoire historique de ceux d’en bas, tirée par The Nation est éloquente ; « Une dynastie démocrate a été brisée. Bill Clinton et Jim Clyburn n’ont pas pu sauver Cuomo. Les millions de Michael Bloomberg n’ont pas pu sauver Cuomo. Un barrage interminable de publicités furieuses à la télévision et à la radio pendant des semaines n’a pas pu sauver Cuomo. Le comité éditorial du New York Times n’a pas pu sauver Cuomo. Une ville est morte la nuit dernière, une autre est née »1.
Cependant, même 50.000 volontaires ne suffiraient pas pour produire un tel « miracle » s’ils n’avaient pas un programme radical à défendre, capable de parler au cœur mais aussi à l’esprit de ceux d’en bas. Alors, pour mieux comprendre ce qu’a été la campagne de Zohran Mamdani, donnons la parole à un de ces volontaires, le socialiste, syndicaliste de combat et conducteur des rames du métro de New York John Ferretti, interviewé par John Reimann avant la victoire de Mamdani : « Je fais campagne pour lui parce que sa victoire serait un coup de poignard dans le cœur des dirigeants corrompus du Parti démocrate associés au monde des affaires à New York et dans l’État de New York. Elle permettrait de réorganiser les priorités politiques en faveur de la centralité de la classe ouvrière et de ses besoins, en luttant pour des services de garde d’enfants gratuits, en luttant des bus gratuits rapides et sûrs, en luttant pour des épiceries gérées par la ville qui font baisser le prix des denrées alimentaires. Et je pense que Mamdani fait le travail le plus efficace que j’aie jamais vu de la part d’un important candidat politique en expliquant le socialisme concrètement en termes d’expériences vécues par les gens ». Car « Il a proposé certaines des mesures pour lesquelles il s’est ensuite battu : un salaire minimum de 30 dollars de l’heure, des services de garde d’enfants gratuits, des bus gratuits, etc., un ministère de la sécurité publique qui ne criminalise pas les sans-abris, ni ceux qui ont des problèmes de santé mentale »2.
Et Ferretti continue expliquant que Mamdani « lance une campagne très axée sur la politique, très axée sur des idées avancées dont les travailleurs n’ont souvent pas l’occasion de discuter et de réfléchir, mais il le fait d’une manière concrète et réaliste que les travailleurs peuvent comprendre. Ainsi, lorsqu’il participe à des rassemblements, il peut commencer ses slogans et les gens les terminent. Les gens comprennent concrètement comment ces slogans sont liés à leur vie et à leurs intérêts […]. Avec un mouvement derrière lui, comme celui que nous voyons en ce moment dans les rues, et aussi avec chaque provocation du régime Trump, cela ajoute du carburant et du feu au mouvement de masse que nous voyons juste commencer à éclater, et je pense qu’il a une base avec une conscience de classe bien plus importante que, par exemple, les précédentes générations de lutte, comme, même le mouvement de George Floyd ».
Mais, John Ferretti va plus loin, abordant la plus épineuse des questions politiques, laquelle taraude la gauche américaine depuis toujours, celle du troisième grand parti, le parti des travailleurs et travailleuses américains. Alors, il dit que « Mamdani serait probablement en faveur d’un parti travailliste. Je veux dire que Mamdani est ouvertement hostile et rejette le Parti démocrate et le rôle qu’il a joué dans l’abandon des travailleurs pendant de nombreuses décennies. Il n’est pas démocrate. C’est un socialiste démocrate. Il l’est. Il ne se présente jamais comme un démocrate. Il se présente toujours comme un socialiste démocrate, et il a essentiellement dit que Cuomo était financé par les mêmes milliardaires qui ont remis Donald Trump au pouvoir » !
Les 130 jours qui nous séparent des élections de novembre pour la mairie de New York vont voir tout ce qu’il y a d’ultra-riche, de réactionnaire, de raciste, d’obscurantiste et d’establishment (tant démocrate que pépublicain) aux ZÉtats-Unis mobilisés à fond, ensemble avec le lobby sioniste paniqué, pour prévenir la « catastrophe » en barrant la route à Zohran Mamdani. Déjà, Jacobin nous informe qu’un des piliers du trumpisme, « le milliardaire Bill Ackman et ses riches amis veulent que quelqu’un, n’importe qui, fasse tomber Zohran Mamdani »3, promettant d’y investir des centaines de millions de dollars. Mais, sauf assassinat de Mamdani (le FBI enquête déjà sur les menaces qui pèsent sur sa vie), personne et rien ne semblent en mesure d’arrêter ce jeune grand orateur au charisme époustouflant, spécialiste de l’Afrique, ex-compositeur de musique rapp et hip-hop, qui s’adresse aux newyorkais d’origine asiatique en hindi et ourdou, et qui n’hésite pas ni de faire des grèves de la faim de plusieurs jours ensemble avec des grévistes des taxis de New York, ni de se mettre à la tête des manifestations de soutien aux Palestiniens martyrisés à Gaza. Soutenu déjà activement pas le troisième candidat des primaires (11,5% des voix) et surtout pas un énorme mouvement populaire grandissant, Mamdani sera sans doute appuyé même par les bureaucraties syndicales qui ont préféré… Cuomo, mais qui ressentent désormais très fort la pression asphyxiante de leurs bases ouvrières.
Ce n’est pas un hasard que personne ne cache actuellement aux États-Unis que celui qui devrait avoir le plus peur de ce qui est en train de se passer à New York est Trump lui-même, un Trump qui s’est empressé de déclarer que Zohran Mamdani… « est un fou communiste à 100% » ! Car ce qui est sûr est que l’impact de la victoire du « phénomène » Mamdani dépasse largement New York et même les Etats-Unis. Comme le dit si bien Daniel Falcone sur Counterpunch, « la candidature de Mamdani à la mairie de New York a montré comment la solidarité internationale, l’identité raciale et la justice transnationale peuvent dynamiser une campagne municipale en confrontation directe avec l’approche de Cuomo, soutenue par l’establishment. Opérant simultanément aux niveaux d’analyse de la ville, de l’État, du pays et du monde, l’insurrection de Mamdani a montré comment la gouvernance locale est devenue un lieu important pour les politiques mondiales »4. D’ailleurs, n’est-ce pas Zohran Mamdani qui a fait du mot d’ordre « globaliser l’Intifada » à la fois l’emblème de sa campagne et le cri de guerre de son combat politique et social ?
Le 27 juin 2025
- 1« With Zohran Mamdani’s Surreal and Historic Victory, One City Died—and Another Was Born ».
- 2John Ferretti, « Zohran Mamdani – part of workers movement against fascism & fascist collaborators ».
- 3« A Billionaire Trump Backer Is Desperate to Stop Zohran Mamdani ».
- 4« All Politics Is Global: The Meaning of Zohran Mamdani’s Insurgent Victory ».