La stabilité des institutions, c'était l'instabilité pour le peuple

par Teresa Rodríguez
Teresa Rodr?¡guez à Port Leucate,Août 2014.
é Photothèque Rouge/Franck Houlgatte
Nous sommes à Séville. Elle court pour attraper le bus C1 qui l'emmènera à la gare de Santa Justa pour rentrer à Cadix. Teresa Rodriguez, secrétaire générale de Podemos en Andalousie et porte-parole de son groupe parlementaire, a renoncé à la voiture officielle. " Si vous vivez dans un quartier et que vous allez au Parlement dans une voiture officielle, puis vous retournez de même à la maison, on imagine bien que vous ne sentez pas la pression de la rue », explique-t-elle. Sur les 4 254 euros qui correspondent à ce poste, elle n'en garde que 1 730, le salaire qu'elle avait en tant que professeur. Le reste va à des causes sociales. Elle marche prudemment sur les tapis du Parlement pour éviter que la " séduction des institutions » n'aspire Podemos !

Carmen Torres : Podemos va-t-il gérer Cadix (1) ?

Teresa Rodríguez : J'ai l'impression que le PSOE va finir par se rendre compte qu'il lui sera difficile d'expliquer aux habitants qu'il laisse Teófila Martínez gouverner quatre ans de plus après un échec électoral si grand et alors qu'il y a un espoir de changement dans la ville. Ce que nous aimerions voir, c'est qu'au-delà de l'élection du maire - car là, ils n'ont pas le choix - on puisse aboutir à un accord préalable pour que le mandat soit stable, nous permette de gouverner, avec parfois des accords et parfois des désaccords, mais en recherchant la bonne gestion de la ville. Nous voulons qu'ils soient responsables et que s'ils votent en faveur d'un projet, c'est pour permettre d'aller en avant.

Carmen Torres : Est-ce que cela signifie que le PSOE va faire partie du gouvernement de la municipalité ?

Teresa Rodríguez : Non. À Cadix les camarades vont discuter avec deux forces politiques, avec le PSOE et avec " Vaincre à Cadix en commun ». Mais pas avec le Parti populaire (PP), parce que nous proposons un programme opposé à celui de Teófila Martínez, ni avec Ciudadanos, parce que son programme économique est trop semblable à celui du PP. Nous pensons que, en ce qui concerne certaines mesures, il peut y avoir des convergences et des accords avec les deux autres partis, en dépit des différences qui nous séparent. Cependant, les politiques qu'il a conduites pèsent lourd sur le PSOE et, de plus, nous connaissons le traitement qu'il réserve aux forces avec lesquelles il gouverne. Nous l'avons vu en Andalousie au cours des trois dernières années.

Carmen Torres : Quel est l'objectif de Podemos dans les municipalités ? Par exemple, la Gauche unie (IU) veut détrôner le PP à tout prix. Est-ce votre but ?

Teresa Rodríguez : Chaque candidature doit décider elle-même et chacune est autonome. Podemos a une approche commune avec ceux qui se sont inscrits dans ces candidatures basées sur 3 points : Expulser le PP des institutions parce qu'il porte une responsabilité particulière de la politique menée dans le pays au cours des dernières années, qui a provoqué la souffrance d'une grande partie de la population. Et comme le PSOE, malheureusement, a aussi fait partie de cette stratégie durant une longue période, nous ne ferons pas partie de gouvernements au côté du PSOE. Autrement dit, ce sur quoi nous allons nous concentrer, de même qu'à Madrid, à Barcelone ou au Parlement, ce sont les mesures que nous considérons comme urgentes, liées à la corruption et à la transparence, aux expulsions et aux services publics. C'est ça que nous allons mettre sur la table, et pas l'échange de morceaux de pouvoir.

Carmen Torres : C'est-à-dire que vous écartez, par principe, la coalition tripartite.

Teresa Rodríguez : C'est notre position, mais chaque candidature prend ses décisions. Nous appelons à ne pas chercher des raccourcis et à tirer le maximum du potentiel des parlements et des assemblées, pour qu'ils reprennent de l'importance face aux gouvernements.

Carmen Torres : Certains partis avertissent qu'une telle situation générera une instabilité dangereuse des institutions.

Teresa Rodríguez : Je pense que nous nous sommes habitués au fait que, plus les gouvernements étaient stables, plus la vie des citoyens était instable et plus ils souffraient dans leur vie de tous les jours. Les majorités absolues approuvaient dans les conseils des ministres chaque vendredi les mesures les plus dures contre la population. Le jeudi la population n'avait pas encore pleinement conscience de ce qui allait lui tomber dessus le vendredi. C'était ça la stabilité des institutions et l'instabilité pour le peuple. Les réformes du droit du travail, les coupes dans les dépenses sociales, les conditions encore pires dans les écoles, les centres de santé… Si l'instabilité se déplace maintenant vers le niveau de la représentation publique, cela permettra peut-être aux citoyens de gagner en stabilité. La stabilité des gouvernements n'a servi qu'à réduire les droits sociaux et les droits du travail. Si maintenant ils doivent affronter une résistance interne contre la poursuite du plan visant à mettre fin aux droits sociaux en Europe, peut-être les citoyens en sortiront-ils gagnants. En Belgique durant un an et demi il n'y avait pas de gouvernement et cela a permis d'améliorer tous les indicateurs. Parce qu'il n'y avait pas de gouvernement pour appliquer des nouvelles mesures d'austérité, qui réduisent les salaires et privent les gens de la consommation. Alors quelques minima sociaux ont été préservés durant un an et demi. Je ne veux pas dire que nous souhaitons qu'il n'y ait pas de gouvernement. D'ailleurs, le gouvernement est intérimaire devant l'assemblée.

Carmen Torres : Jusqu'à quel point Podemos se préoccupe-t-il des élections législatives et comment cela peut-il influencer les accords municipaux et régionaux ?

Teresa Rodríguez : En ce qui nous concerne, cela n'a pas d'influence. En Andalousie (2) nous avons formulé clairement nos conditions dès la première minute, lors de la réunion de San Telmo après les élections régionales (3). Nous sommes liés à notre parole. Nous ne pouvons pas changer maintenant notre approche. Personne ne nous a dit s'il acceptait ou non ces conditions. Nos interlocuteurs socialistes n'ont même pas tenté de nous expliquer pourquoi ils ne veulent pas clore certains comptes bancaires du gouvernement.

Carmen Torres : Pensez-vous que le PSOE confisque l'assemblée ?

Teresa Rodríguez : Il y a une volonté certaine d'empêcher le fonctionnement de l'assemblée. Mais de toute façon, de ce que je vois ici chaque jour, j'ai l'impression que l'assemblée n'a jamais joué un rôle décisif. Nous espérons que lorsque les commissions seront constituées il y aura un lieu pour le travail intensif. C'est si insolite pour nous d'être députés que nous voudrions nous consacrer intensivement à une tâche essentielle, celle de légiférer pour neuf millions d'habitants. Je suis surprise de découvrir un parlement vide ainsi que le manque de respect au cours des réunions plénières. Je crois que c'est un manque de respect pour le parlement. Et nous sommes en train de faire des réunions avec les collectifs qui sont en conflit avec le gouvernement de l'Andalousie.

Carmen Torres : Vous avez dit qu'en entrant au Parlement, il faudrait prendre garde à la " séduction des institutions ». De quoi il s'agit ?

Teresa Rodríguez : Il est très important d'y faire attention, entre autres parce que les gens me le demandent. Quand ils me voient dans la rue, dans l'autobus ou dans le train, ils demandent que nous commencions à réaliser des choses pour les Andalous, que nous proposions des solutions et que nous agissions. De cette manière on ne peut pas les oublier. Car il est facile de se couler dans cet espace, parce que c'est un lieu de reconnaissance, tu deviens tout d'un coup " votre seigneurie », tu travailles dans un bel endroit, les gens de la rue te reconnaissent, parce que tu apparais dans les médias… Je crois que c'est facile de s'y installer et d'oublier que ce qui doit être fait ici, gérer la vie collective, est opportunité exceptionnelle pour les citoyens. Et ce sont eux qui nous l'ont confiée.

Carmen Torres : Êtes-vous préoccupée par les menaces de Susana Díaz de refaire les élections en Andalousie si vous ne lui accordez pas l'investiture ?

Teresa Rodríguez : Non, mais nous voulons continuer le débat et nous sommes perplexes que le PSOE ne le veuille pas. Reprendre le dialogue, c'est sérieux, raisonnable et mature. Le reste c'est comme un jeu de l'oie, on continue à lancer les dès et à reculer tant qu'on n'a pas fait juste le nombre de cases. ■

* Teresa Rodríguez, a été élue au Parlement européen en 2014. Elle en a démissionné pour conduire la liste de Podemos lors des élections régionales en Andalousie (22 mars 2015) et a été élue au Parlement andalou. Militante du mouvement Anticapitalistas (section de la IVe Internationale dans l'État espagnol), elle est secrétaire générale de Podemos-Andalousie. Cette interview, réalisée par la journaliste Carmen Torres, est parue dans le quotidien El Mundo le 30 mai 2015 : www.elmundo.es (Traduit de l'espagnol par JM).

1. Lors des élections régionales andalouses du 22 mars, la liste de Podemos est arrivée en tête à Cadix, obtenant 18 655 voix (28,8 %). Aux municipales du 24 mai, la liste soutenue par Podemos (Por Cádiz si se puede) a obtenu 18 277 voix (27,98 %) et 8 élus, la liste du PP 22 004 voix (33,68 %) et 10 élus, celle du PSOE 11 359 voix (17,39 %) et 5 élus, Ganar Cádiz en comun 5 487 voix (8,4 %) et 2 élus et la liste de Ciudadanos 4 666 voix (7,14 %) et 2 élus. Le PP, bien qu'arrivé en tête, ne dispose pas de la majorité au conseil municipal sans le soutien du PSOE…

2. Aux élections régionales en Andalousie (22 mars), la liste de Podemos est arrivée troisième avec 590 011 voix (14,84 %) et 15 élus, derrière le PSOE (47 élus) et le PP (33 élus), mais devant Ciudadanos (9 élus) et la Gauche unie (5 élus). Le PSOE a perdu la majorité gouvernementale.

3. Teresa Rodríguez et les autres députés de Podemos (15 en tout) ont posé 3 conditions pour ouvrir un dialogue avec la socialiste Susana Díaz et explorer la possibilité de voter son investiture : 1/ Tolérance zéro avec la corruption pour en finir avec l'impunité. Pour cela les deux ex-présidents (socialistes) de la Junte d'Andalousie mis en examen pour corruption doivent être démis de toutes leurs fonctions (ils siègent toujours au Parlement andalou). Corrélativement toutes les sommes ayant permis le détournement d'argent public et le financement illégal des partis doivent être restituées aux finances publiques. 2/ La Communauté andalouse exclut de signer des contrats avec des banques qui sont partie prenante des expulsions de logements. Elle s'engage à n'exécuter aucun ordre d'expulsion de logement s'il n'est pas doublé d'un relogement des personnes en difficulté, elle s'engage également à éviter toute situation d'exclusion sociale liée à des expulsions elles-mêmes générées par des crédits hypothécaires. 3/ Baisse drastique du nombre de hauts fonctionnaires et de conseillers politiques de la Junte d'Andalousie. Même chose pour les dirigeants d'entreprises publiques. Le nombre et les salaires de ces personnes seront rendus publics. La réduction de ces postes sera corrélée à la restitution des postes qui ont été supprimés dans l'éducation, la santé et les services touchant à l'égalité et au bien-être social.