La peur a triomphé mais la lutte est loin d'être terminée

par Josep Maria Antentas
Alexis Tsipras dirigeant de Syriza. © Joanna

Athènes, 18 juin 2012. La Troïka respire, il y aura un nouveau gouvernement pro-mémorandum en Grèce. Le chaînon le plus fragile de la zone euro ne s'est pas encore rompu. L'oligarchie financière, ces 1 % qu'Occupy Wall Street ont dénoncé, a vécu ces derniers jours avec crainte, comme l'apparition d'un fantôme. Hier, elle a peut-être gagné un peu de temps, en réussissant à étayer de manière précaire un échafaudage qui vacille. Mais le fantôme est revenu, pour de bon.

En réalité, la crise économique et sociale s'est transformée en une crise politique généralisée — en termes gramsciens en une crise de l'hégémonie et " une crise organique de l'État ». Les politiques d'ajustement structurel ont fait imploser le système des partis traditionnels en Grèce et la brèche ouverte ne pourra être facilement comblée.

La peur, alimentée par une véritable campagne de terreur médiatique de la droite et le chantage néocolonial de la Troïka, l'a emporté sur l'espoir. Mais l'allégresse de la Troïka peut s'avérer éphémère. Le nouveau gouvernement sera un gouvernement faible, formé par des partis discrédités, dépourvus de légitimité, ayant pour mandat de poursuivre des politiques impopulaires qui provoqueront des mobilisations nouvelles et résolues. Les déclarations d'Antonis Samaras, le candidat de la Nouvelle Démocratie (ND), lorsqu'il a appris sa victoire, affirmant qu'elle conduira le pays " sur la voie de la prospérité » relèvent du cynisme et seront vite démenties par la réalité.

Pas d'avenir — c'est la seule chose que les politiques de la Troïka et de ses vassaux ont à offrir au peuple grec. Bien que fatigué par deux années de résistance tenace, celui-ci a décidé de ne pas capituler sans livrer bataille, de ne pas se rendre de manière indigne. En luttant le dos au mur, malgré l'accumulation des échecs, le peuple grec a paradoxalement récupéré sa meilleure arme : la confiance dans sa capacité de vaincre.

Synthèse actualisée Inprecor

L'ascension de Syriza, sur le cendres d'un Pasok décomposé et en ruines, se fonde sur sa capacité de combiner la crédibilité politique et sociale avec la crédibilité électorale, dans un scénario de soulèvement social prolongé. La clé de son succès, c'est d'apparaître comme une formation " différente » et immaculée, face aux coupes budgétaires, auxquelles Syriza ne peut se reprocher d'avoir collaboré avec l'infâme Pasok, ni d'avoir gouverné avec lui dans les régions ou les municipalités pour appliquer la politique de l'austérité. Sa proposition de former un gouvernement des gauches antimémorandum au cours de la campagne pour les élections du 6 mai a été le levier qui a démultiplié son score électoral en modifiant ainsi les coordonnées des élections. Du coup, la possibilité d'un " gouvernement des gauches » est apparue comme une issue concrète possible à la spirale de l'austérité, presque comme une formule magique qu'une partie du peuple grec, se sentant abandonné, a saisi.

La promotion positive et imposante de Syriza a signifié non seulement un rayon d'espoir pour les travailleurs grecs, mais a suscité également l'imagination de la gauche européenne, dépourvue de références et d'expériences pratiques de victoires et consciente qu'une bataille décisive pour le continent et pour le combat mondial contre les plans du capital financier se déroule en Grèce. Toutefois, il convient de ne pas idéaliser de manière acritique Syriza, une coalition plurielle au sein de laquelle coexistent des orientations distinctes, dont certaines très modérées et d'autres anticapitalistes conséquentes. Ses faiblesses organisationnelles et d'implantation sociale sont très grandes. Ses propositions programmatiques et son discours politique présentent des limites et d'importantes inconsistances. Du 6 mai au 17 juin on a pu noter un glissement des propositions de Syriza en ce qui concerne le mémorandum, la dette et les questions clé vers des propositions plus ambigües et moins en rupture, même si Syriza a préservé un profil clairement opposé à la logique de l'ajustement structurel, qui cimente sa crédibilité et son identité politique.

Dans la situation, à l'issue des élections du 17 juin, le renforcement de l'auto-organisation sociale dans les quartiers et sur les lieux du travail sera donc une variable clé, car il ne sera pas possible d'initier quelque logique de rupture avec les politiques d'ajustement structurel sans que la société soit mobilisée et organisée. Dans cette nouvelle étape de lutte, contre le gouvernement Samaras, reste aussi la tâche cruciale : élaborer des formes d'unité et de collaboration des principales composantes de la gauche grecque, en particulier entre Syriza et la coalition anticapitaliste Antarsya, faible électoralement (0,33 % des suffrages exprimés le 17 juin), mais avec une implantation sociale égale voire supérieure à Syriza, sans oublier le KKE (4,4 % des voix), le principal parti de gauche en termes de militants, qui a jusqu'à présent pratiqué une politique isolationniste, sectaire, qu'il a payée très cher électoralement.

" L'avenir n'appartient pas à ceux qui sont terrorisés, mais à ceux qui sont porteurs de l'espoir », disait hier Aléxis Tsípras, porte-parole de Syriza, en apprenant les résultats. Dans son discours final devant des centaines de sympathisants, un peu déçus par la victoire qui leur échappait de peu, mais conscients que le combat sera long, il s'est fermement opposé aux politiques d'austérité et a souligné la nécessité de poursuivre la mobilisation.

Une bataille a été perdue, mais la lutte est loin d'être terminée. Alors que Tsípras finissait son intervention, la voix de Patti Smith tonnait des mégaphones, envoyant un message direct à la Troïka : " people have the power » (le peuple a le pouvoir)… ■

* Josep Maria Antentas, sociologue, dirigeant d'Izquierda anticapitalista (IA, Gauche anticapitaliste, section espagnole de la IVe Internationale), représentait le Bureau exécutif de la IVe Internationale à Athènes lors des élections législatives du 17 juin 2012.