AU WISCONSIN : PAR DIZAINES DE MILLIERS POUR LES DROITS SYNDICAUX

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Madison, capitale de l'État du Wisconsin, connaît ces jours les plus grandes manifestations depuis la guerre du Vietnam. C'est le projet de loi déposé par le gouverneur républicain de Wisconsin, Scott Walker, qui suscite cette mobilisation. Il prévoit d'augmenter la part payée par les salariés pour l'assurance vieillesse et pour l'assurance maladie et la suppression du droit de négociation collective, menaçant de la sorte l'existence des syndicats dans le secteur public. Les manifestations de Madison sont aussi les plus grandes manifestations ouvrières de base aux États-Unis depuis les années 1930.

Le Wisconsin commence à faire exemple. Dans des États comme l'Indiana ou l'Ohio, les mêmes luttes commencent à voir le jour. Et le Wisconsin est devenu l'épicentre d'un mouvement de résistance en défense des droits ouvriers.

Les droits des ouvriers mis en cause

La loi prévoit d'abolir toute négociation entre les syndicats et l'État sauf pour les salaires et de fixer que les augmentations salariales ne peuvent en aucun cas, sauf recours à un référendum, dépasser le taux d'inflation. En plus, tous les syndicats qui organisent des employés de l'État devront être réélus chaque année par une majorité des salariés. Les cotisations qui sont actuellement perçues directement sur les feuilles de paie seront désormais facultatives. Seuls les syndicats des pompiers et des policiers — qui ont soutenu Walker — ne sont pas soumis à ces règles. Tout le monde comprend les vrais enjeux. L'adoption de la loi sonnerait le glas des syndicats dans le secteur public — 43% de syndiqués contre 8 % dans le privé — et ouvrirait la porte à une offensive généralisée contre la pratique des négociations collectives et contre le droit syndical.

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® Inprecor/JR

La direction nationale de la confédération AFL-CIO, les syndicats du secteur public, le SEIU, l'AFSCME et des syndicats des enseignants sont descendus sur Madison pour établir des quartiers généraux dans des hôtels autour du Capitole. Pas touchés par le projet de loi, les pompiers et les policiers manifestent néanmoins en solidarité avec les autres syndicats du secteur public.

Walker et les républicains ne sont pas motivés seulement par leur haine idéologique des syndicats, où leur désir de satisfaire leurs supporters riches et conservateurs : les syndicats sont aussi la colonne vertébrale électorale du parti démocrate. Aux élections de novembre 2010, 26 % des votants dans le Wisconsin — État où le taux de syndicalisation est de l'ordre de 16% — étaient membres d'un syndicat. 63 % d'entre eux ont voté pour les démocrates contre 37 % pour Walker. Les syndicats apportent donc des voix et des sommes d'argent importantes aux démocrates. Leur affaiblissement — ou leur disparation — serait très avantageux pour les républicains.

Sénateurs en cavale

Grâce à la majorité républicaine, la loi aurait été certainement votée le jour suivant son dépôt si quatorze sénateurs démocrates n'avaient pas boycotté la séance du Parlement. Leur absence a privé le Sénat du quorum requis pour pouvoir voter. Pour éviter d'être arrêtés par des huissiers et ramenés de force à Madison, les quatorze sont partis en cavale et se réfugient dans l'État voisin de l'Illinois. Walker a riposté en menaçant de licencier des milliers d'instituteurs si la loi n'est pas votée.

Depuis le début, le nombre des manifestants a continuellement augmenté. La première semaine le nombre de manifestants a passé de 15 000 à 40 000. Le samedi 19 février, 70 000 ont manifesté contre la loi contre alors que la manifestation de soutien à Walker organisée par le Tea Party ne mobilisait que 2 000 personnes. Et le 26 février, 100 000 personnes ont envahi Madison tandis que des milliers ont manifesté dans les autres États. Les manifestations ne sont pas accompagnées par des grèves parce que les grèves sont interdites dans le secteur public. La loi antisyndicale Taft-Hartley interdit les grèves de solidarité. Pour contrecarrer cette interdiction, la plupart des instituteurs des écoles publiques de Milwaukee, la principale ville de l'État, se sont portés pâles pendant trois jours de suite, obligeant des centaines d'écoles à fermer leurs portes.

Une ambiance extraordinaire

L'ambiance à Madison est extraordinaire. Les foules sont enthousiastes et déterminées. Le contraste est saisissant entre les manifestations spontanées, de masse, et le rôle des directions syndicales. Ce sont elles qui assument le rôle de porte-parole et de représentation médiatique du mouvement. Il n'y a par contre pas d'assemblées générales durant lesquelles les manifestants pourraient définir des choix. Et le chant This is what democracy is (C'est ça la démocratie), chanté à l'origine comme réponse à Walker, capte le sentiment démocratique du mouvement, en exprime le sens.

Quelle que soit son issue, la bataille de Madison a politisé et radicalisé un grande nombre de salariés syndiqués et non-syndiqués à travers l'État et le pays. Dans un premier temps, les démocrates en profiteront, avant de se révéler comme les faux amis des salariés qu'ils sont. Affaire à suivre. ■

Milwaukee, le 27 février 2011

* Keith Mann enseigne à l'Université de Milwaukee (Winsconsin). Cet article a paru dans le journal de la Gauche anticapitaliste (Suisse), L'Anticapitaliste n° 42 du 3 mars 2011.