Le cadre dans lequel nous devons agir

par Gigi Malabarba
Gigi Malabarba, Ex-Sénateur du PRC, membre de l'Association Sinistra Critica (Gauche Critique). Nous reproduisons ici la traduction d'une interview vidéo datée du 26 février 2007 et présentée qur le site www.sinistracritica.org . Cette prise de position a été également reproduite en italien par le quotidien Il Manifesto. Traduit de l'italien par le bimensuel solidaritéS qui l'a publié dans son n° 103 du 1er mars 2007.

Au sein du PRC, la sensibilité de l'Unione [alliance de centre-gauche] par rapport aux conflits et aux mouvements sociaux avait été présentée comme l'élément principal de rupture de cette coalition avec le gouvernement Berlusconi. En fait, cela s'est avéré totalement faux. Nous n'avons obtenu absolument aucun résultat. Au cours des premiers mois du gouvernement Prodi, il n'y a pas eu de mobilisation forte, parce que les groupes dirigeants de différents mouvements avaient en quelque sorte délégué l'initiative au gouvernement Prodi, ou qu'ils en attentaient quelque chose. Cependant, dès que des mobilisations ont vu à nouveau le jour - à commencer, par exemple, par la grande lutte contre la base militaire américaine de Vicenza -, le gouvernement, non seulement, n'a pas été perméable aux demandes du mouvement social, mais pire encore, il a fait preuve d'hostilité pure. Et ceci, même après la mobilisation de dizaines de milliers de personnes - la plus importante mobilisation du mouvement pacifiste depuis très longtemps - qui a réussi à se reconstruire sur un objectif très concret et à partir à la conquête d'un objectif important.

 

Cet élément est d'autant plus sensationnel que, d'une part, juste après la manifestation de Vicenza, Prodi a adopté clairement une position négative, opposée au mouvement social, du type " heureusement qu'il n'y a pas eu de débordements » ; et que d'autre part, on a assisté à une succession de choses absolument folles. Nous savons que quelques milliers de personnes provenant directement du Val di Susa — cet autre combat impliquant le puissant collectif du " No TAV » [NON au train à grande vitesse reliant Turin à Lyon] — ont participé à cette manifestation. Or, vingt-quatre heures après que Prodi ait déclaré que la base de Vicenza serait maintenue, le Ministre des finances Paolo Schioppa a annoncé la mise en chantier de la ligne Turin-Lyon en septembre, s'opposant ainsi frontalement au second mouvement social de l'an passé.

 

Mais je crois qu'il faut mentionner encore quelque chose de plus : les déclarations du Ministre de l'intérieur, Giuliano Amato. La découverte de partisans du terrorisme au sein des usines et des syndicats, etc., a été exploitée directement, de manière préventive, contre les mobilisations ouvrières. La CGIL modérée de Guglielmo Epifani, de même que les luttes de la FIOM sont d'ores et déjà mises en accusation. Ainsi, le mécontentement du monde du travail - qui a crû notablement avec le vote du nouveau budget [la Finanziaria], frappant plus durement encore les couches les plus faibles de la société -, et aujourd'hui surtout les luttes du monde ouvrier face à la menace d'une nouvelle et lourde contre-réforme du système de prévoyance sociale, sont préventivement criminalisées par le ministre Amato. Et même le Président de la République Giorgio Napolitano [membre historique du PCI, ndt.] nous déclare que les luttes, les manifestations et les mobilisations peuvent constituer les preuves d'une culture terroriste. Et donc, sur toutes les questions essentielles, le cadre politique et institutionnel construit par le centre-gauche s'oppose frontalement aux mobilisations contre la politique libérale et contre la guerre.

 

Ceci est d'autant plus dangereux qu'il dégage ainsi un front important pour la droite. On avait déjà assisté à une forte mobilisation de la Casa delle Libertà [coalition de droite] à Rome ; mais aujourd'hui, c'est le champ à des critiques antisystèmes et à des mobilisations d'une extrême droite revigorée qui s'ouvre, ce qui est particulièrement dangereux, d'autant plus qu'il faut penser aux connivences qui existent entre ces mouvements et les forces de l'ordre.

 

Voilà le cadre dans lequel nous devons agir. Evidemment, à côté de ces dynamiques politiques centristes, ce gouvernement n'a empoigné aucune des questions pour lesquelles il avait été fondamentalement élu : qu'il suffise de rappeler la modification, si ce n'est l'abrogation des loi Trenta [sur le travai, ndt.] et Bossi-Fini [sur l'immigration, ndt.], voire l'ensemble de la réforme Moratti [sur l'éducation, ndt.]. En somme, toutes les grandes saloperies du gouvernement Berlusconi sont restées incontestées. Et aujourd'hui, dans cette seconde phase, on en arrive à mettre de côté toutes les questions liées notamment au travail. L'ensemble de ces éléments ont été présentés comme un grand succès de la gauche, qui est pourtant restée bredouille ; pire, on a même forgé le mythe d'un budget d'Etat " bolchevik ». Donc, pour la population, les mesures négatives sont apparues comme des mesures prises par la gauche. Et aujourd'hui, on nous dit qu'il faut forcer la marche et passer à la phase 2. Voici les questions fondamentales.

 

En plus, un pouvoir fort comme celui du Vatican s'en est mêlé, un pouvoir qui est en train de conditionner la politique du gouvernement au sein même de l'Unione. Donc, tous les pouvoirs déterminants qui avaient, d'une manière ou d'une autre, favorisé une alternative à Berlusconi, sont en train de promouvoir aujourd'hui un nouveau cadre politique recentré. Une sorte de grande alliance, de grande coalition, mais qui ne peut compter que sur les forces du centre gauche, puisqu'elle ne dispose pas d'un réservoir potentiel suffisant ; l'élargissement très limité de la base [du second gouvernement Prodi, ndt.] au seul sénateur Follini [ex-UdC, " Italie du Milieu », ndt.] est de ce point de vue très révélateur.

 

Napolitano criminalise les mobilisations sociales…

 

Gigi Malabarba fait référence ici à un discours prononcé à Bologne par Giorgio Napolitano, le chef de l'Etat italien. A cette occasion, il a soutenu notamment qu'il ne fallait pas considérer que les manifestations de rues constituaient le " sel de la démocratie » ; il valait mieux selon lui " s'ancrer dans les institutions » démocratiques : " Si l'on nie l'ancrage dans les institutions, on risque de glisser vers l'incitation à la violence comme matrice de décision, invoquée par des regroupements et des mobilisations minoritaires et, face à l'impossibilité de gagner de cette manière, on peut en arriver à faire le pas vers la dégénérescence extrême du terrorisme » [L'Unità du 21 février 2007].