«Nous sommes la classe ouvrière sans 1er mai», Ainsi commençait un tract du 1er mai distribué au sein de la population travailleuse par le Hong Kong Anti-Inflation Action Committee (HKAIAC Comité d’Action contre l’Inflation à Hong Kong, créé conjointement par le « Student Express » et le « Daily Fighting Bulletin ») et la May Day Workers Commission (Commission Ouvrière du 1er Mai groupe de jeunes travailleurs récemment formé par le Daily Bulletin).
Malgré l’aggravation de la situation économique et la mobilisation toujours plus grande des travailleurs, la Féderation Syndicale de Hong Kong, regroupant 66 syndicats et 130.000 travailleurs, préfère célébrer le 1er Mai comme un cocktail mondain. Même la Far Eastern Economic Review, publication bourgeoise libérale, remarquait dans son numéro du 29 avril que la « Fédération syndicale de Hong Kong est depuis longtemps très calme, ne développant peu d’activités dans le domaine de l’agitation sociale et de l’organisation de grèves depuis le lendemain des affrontements communistes de 1967 ».
Mais malgré l’inactivité de la Fédération Syndicale, des grèves spontanées se sont développées à Hong Kong au cours des deux dernières années. En même temps, des militants de base actifs dans les syndicats maoïstes ont développé une position critique par rapport à la ligne de la direction du syndicat, Récemment le Daily Bulletin Group est devenu très actif et a gagné une certaine influence au sein de la classe ouvrière, certains militants de base des syndicats maoïstes ont pris contact de leur propre initiative avec le Daily Bulletin Group, Ils considèrent la position des marxistes révolutionnaires sur les luttes ouvrières à Hong Kong comme une alternative effective, même si leur organisation est encore faible comparée à celle des maoïstes.
La Fédération Syndicale ne se rend certainement pas compte de la crise grave que représente la situation actuelle, La première réaction de la direction fut de condamner la « tendance ultra-gauche » qui se développait au sein du mouvement ouvrier. Mais, évidemment, ceci ne freina pas la combativité croissante des travailleurs. Afin de calmer un peu la pression de la base qui pourrait entraîner des scissions dans les syndicats dans un futur assez proche, la Fédération Syndicale a été obligée d’annoncer son soutien total aux luttes ouvrières qui se concentraient autour des revendications salariales et contre la spirale des prix et les licenciements. Elle le fit à la fin avril. les travailleurs répondirent, selon les mots d’un des dirigeants des luttes de 1967 qui vint discuter avec le Daily Group, que « la Fédération Syndicale devait mettre en avant un plan d’action pour défendre les intérêts de la classe ouvrière ».
Malgré la faiblesse de leur organisation et de leurs traditions, les marxistes-révolutionnaires ont développé leurs efforts pour centraliser et unifier le mouvement ouvrier. Après le 1er Mai les luttes ouvrières se développeront et s’approfondiront.
Le HKMAC et le MDWC ont préparé un rassemblement de masse pour protester contre la situation misérable de la classe ouvrière et particulièrement contre la hausse vertigineuse des prix. Originalement ils voulaient organiser ce rassemblement le 1er Mai. Mais, étant donné que le 1er Mai n’est pas férié (!) il était difficile d’espérer une participation active et massive des travailleurs tant que le mouvement est encore désorganisé et incapable d’assurer un arrêt généralisé du travail ce jour-là.Le rassemblement fut donc reporté au premier dimanche après le 1er Mai, à Victoria Park, lieu où de vastes manifestations ont déjà eu lieu et où la police attaqua violemment les mobilisations de la jeunesse en 1971.
Le HKAIAC et le MDWC demandèrent la permission d’organiser ce rassemblement à la police coloniale le 27 avril. Le 29 avril la police répondit -sans donner la moindre raison – que la permission ne leur serait probablement pas accordée. Le « Asian Student Union » (Syndicat des Etudiants Asiatiques) de l’université chinoise a été le premier à riposter à l’administration coloniale. Selon le Star, un journal de droite pro-colonial, « un porte-parole du syndicat des étudiants de l’université chinoise a déclaré qu’ils appuyaient le rassemblement parce qu’ils pensaient qu’une réponse au problème de l’inflation était vitale pour la survie de Hong Kong ». Le rassemblement fut préparé de façon intense. Le 30 avril des affiches furent collées sur les murs des édifices publiques et des usines. Des slogans furent peints sur les murs. Il existait une grande tension parmi les travailleurs de telle sorte que les policiers n’osaient pas intervenir. Il était clair que la police craignait une forte riposte de la classe ouvrière si elle arrachait les affiches et effaçaient les slogans peints sur les murs. Le 1er Mai la police donna son autorisation au rassemblement.
Les deux groupes organisateurs développèrent une propagande et une agitation intensive avant le rassemblement du 5 mai. Plus d’un million de tracts appelant les travailleurs à participer au mouvement contre l’inflation furent distribués. De plus, des unités mobiles propagande furent envoyées dans les rues malgré le règlement colonial. La police fut obligée de les observer sans rien faire. Même les observateurs les plus pessimistes prévoyaient que plus de 5.000 personnes participeraient au rassemblement.
Au cours d’une conférence de presse convoquée le 3 mai par les organisateurs du rassemblement, Leung Chun Kwong, porte-parole du HKAIAC expliqua : « le rassemblement du 5 mai n’est qu’une première action du mouvement contre l’inflation. Des rassemblements similaires, plus larges, seront organisés au cours du mois de mai, Si le gouvernement reste indifférent face à la détérioration de la situation économique, des actions plus radicales seront organisées en juin. Par exemple des manifestations de protestation de masse seront organisées dans les quartiers ouvriers ou dans le Morse Park (au coeur du quartier le plus exploité). Si le gouvernement reste passif face au développement de l’inflation, une grève générale des ouvriers et des étudiants sera préparée ». Leung souligna également que « de toutes façons les intérêts des masses laborieuses seront défendues par tous les moyens nécessaires et à tout prix, selon les aspirations du peuple ».
Tout en restant conscients de leur propre faiblesse, les marxistes-révolutionnaires, qui sont le produit du mouvement de la jeunesse du début des années 70, ont largement profité de cette situation favorable. Le gouvernement et les maoïstes ont été obligés de reculer et sont maintenant sur la défensive. Les revendications transitoires mises en avant par les deux groupes sont essentiellement économiques. Mais si l’on ne met pas en avant de telles revendications il est impossible d’unifier les travailleurs et de toucher les ouvriers membres des syndicats maoïstes. À côté de la Commission Ouvrière pour le 1er Mai, le Daily Bulletin Group a créé le noyau d’un High School Students Action Committee (Comité d’Action des Lycéens). Ce groupe apparaîtra pour l a première fois publiquement lors du rassemblement du 5 mai.
Le gouvernement colonial prétend maintenant répondre un peu plus aux besoins de la population, mais la situation très dure des travailleurs dûe au niveau de vie très bas n’a pas été du tout soulagée. Le 30 avril, la police britannique arrêta Peter Godbar, un ancien officier de la police de Hong Kong qui s’était enfui en Grande Bretagne en juin 1973 afin d’échapper à des accusations concernant la vol de près de 4 millions de dollars de Hong Kong. En août et septembre de l’an passé, un mouvement anti-corruption fut organisé par différentes tendances du mouvement ouvrier. Mais ce mouvement s’arrêta en octobre dernier, quand se produisit la scission entre les réformistes et les révolutionnaires. À cette époque les marxistes-révolutionnaires étaient trop faibles pour prendre des initiatives tous seuls. Mais, en moins de six mois, ils ont été capables d’organiser un mouvement sans avoir à dépendre d’autres organisations étudiantes ou du groupe du « 70’s Biweekly ». Leur capacité de développer ce mouvement a surpris tous les autres groupes, y compris les maoïstes. Aujourd’hui les maoïstes ont été obligés de reconnaître qu’ils considéraient les marxistes-révolutionnaires comme la tendance potentiellement la plus dangereuse pour eux au sein du mouvement ouvrier.
« À Hong Kong, comme le déclare un membre du Daily Bulletin Group, le 1er Mai est venu un peu tard. Mais il est venu quand même. Et le plus important c’est qu’il se prolongera ».
Publié le 6 juin 1974