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Hong-Kong : La montée des luttes ouvrières

par S. S. Wu

Au cours des deux dernières années l’économie de Hong Kong n’a cessé de se détériorer. Pendant cette période le coût de la vie a augmenté de 49 %, même d’après les statistiques les plus conservatrices. Les salaires, de leur côté, sont restés stagnant. Des quantités importantes de capitaux étrangers se sont retirées de Hong Kong à la recherche d’une main d’œuvre moins chère à Taïwan et en Corée du Sud. Ceci a créé un chômage massif à Hong Kong, Même certains officiels de l’administration coloniale admettent que le nombre de chômeurs tourne autour de 100.000. Les tensions sociales issues de la grave crise économique s’accroissent malgré les promesses creuses du gouvernement coloniale d’amélioration de la situation. Même la télévision ouvertement pro-gouvernementale a pris une attitude plus critique envers la politique du gouvernement sous la pression de la crise.

Il n’est pas surprenant de voir de larges secteurs de la population accuser la politique économique du gouvernement d’être responsable de la situation présente. En effet, le gouvernement participa en premier plan à l’accélération de la crise en légalisant l’augmentation des impôts et en tolérant les augmentations des prix des services publics comme l’électricité, le téléphone, l’essence, etc. Il a été totalement passif face au chômage croissant et tolère la spéculation.

Les Travailleurs et la Tradition de Lutte

Périodiquement, la presse bourgeoise exprime sa crainte de voir exploser des luttes de masse, parce que la population ne dispose pas du moindre moyen légal pour exprimer son mécontentement, encore moins pour lutter pour un changement structurel. À part le petit syndicat contrôlé par les patrons, la seule force organisée existant au sein de la classe ouvrière est contrôlée par une direction maoïste. Elle suit la ligne de Pékin qui explique que nous sommes dans une période de coexistence pacifique et non de lutte de classes – pas même de luttes de classe purement défensives. Ainsi les syndicats contrôlés par les maoïstes n’ont offert aucune réponse à la crise actuelle, Les militants de base se sentent très mal à l’aise à cause de cela. Récemment, les éléments les plus politisés ont refusé de participer avec le syndicat à un forum « anti-Lin, anti-Confucius » en appui à la campagne qui se développe en Chine. La raison qu’ils donnaient était que tant que le syndicat n’offrait pas de réponse aux problèmes quotidiens les plus pressants qui menacent l’existence même de milliers de travailleurs, il ne servait à rien d’être suiviste par rapport aux évènements en Chine.

Le document publié par le XXème Congrès de la Hong Kong Federation of Workers Union (Fédération Syndicale de Hong Kong) ne parle pas de la crise économique actuelle ou de ses effets profonds pour la classe ouvrière. Au lieu de cela, il explique que le développement des relations commerciales de la Chine avec d’autres pays aidera à améliorer la situation des travailleurs de Hong Kong. Il faut souligner que pour la première fois des maoïstes attaquent des tendances « ultra-gauches » au sein du mouvement ouvrier. Ces attaques sont lancées contre les militants radicalisés des organisations d’extrême-gauche, les jeunes travailleurs radicalisés et les organisations de jeunesse révolutionnaires.

Au cours des deux dernières années on a assisté à des centaines de grèves spontanées. Les jeunes travailleurs y ont joué un rôle important. Mais les syndicats n’ont pas été capables de recruter ces jeunes travailleurs, car soit ils n’ont pas participé à ces grèves, soit ils sont intervenus pour proposer des compromis. Vu le rapport de force, la plupart de ces grèves ont échoué. Les travailleurs en lutte se trouvaient isolés bien que, s’ils avaient été mieux organisés ils auraient pu stimuler des actions de solidarité. Cette multiplication de luttes sans succès pourrait avoir de mauvais effets sur le mouvement ouvrier à long terme. Seules les organisations de la jeunesse révolutionnaire sont conscientes de ce problème et essaient de toucher les travailleurs radicalisés.

Ces groupes de jeunes sont le produit du mouvement de la jeunesse des années 70 et sont divisés sur les questions politiques et organisationnelles. Le Workers Education Committee (Comité d’Éducation des Travailleurs) qui publie le journal The Exposure (La Dénonciation) se dit marxiste-léniniste, mais manifeste de fortes tendances syndicalistes et sous-estime largement l’importance du mouvement social. En conséquence ce groupe peut recruter des jeunes travailleurs mais peut difficilement mener une lutte. Politiquement, il a évité de prendre une position sur la Chine.

Le 70’s Biweekly Group (le Groupe du Bi-mensuel des années 70 – groupe créé originalement autour du journal 70’s Biweeklyl) a connu deux scissions et demeurent une organisation de la nouvelle gauche. Un journal étudiant l’a une fois caractérisé comme « semi-anarchiste » et « semi-trotskyste ». La commission ouvrière du 70’s Biweekly Group est encore très active, mais elle n’a pas d’orientation stratégique ni de perspective claire.

L’un des groupes qui a scissionné du « 70’s » (en septembre 1973), le « Student Express » s’est formé auto.ar d’un programme marxiste-révolutionnaire, mais il ne s’adresse qu’au mouvement étudiant qui n’a aucune tradition de mobilisation.

L’autre groupe qui a scissionné du « 70’s » et qui publie le Daily Fighting Bulletin (Bulletin Quotidien de Combat) et l’« Action », adhère clairement au marxisme-révolutionnaire. En octobre 1973, ce groupe est intervenu avec succès dans la lutte de l’usine Arvin Electric, préparant et organisant une grève et battant politiquement le syndicat maoïste. C’est la première fois qu’un groupe de jeunes a réussi à établir des liens avec les luttes ouvrières et à en gagner la direction politique. Après cette lutte, les travailleurs les plus militants furent attirés vers le groupe et quelques-uns ont participé à son comité ouvrier. En même temps, depuis plusieurs mois, ce groupe recrute des jeunes ouvriers de l’électronique et se bat pour la mise sur pied d’un syndicat de l’électricité. Les mao-spontanéistes, pour la plupart des étudiants, sont totalement en dehors du mouvement ouvrier et ne cherche même pas à y intervenir. Mais le mécontentement croissant des travailleurs a eu des répercussions en leur sein. Les jeunes maoïstes sont divisés sur la question de savoir s’il faut oui ou non stimuler la lutte de classes à Hong Kong. Mais aucune des tendances ne mène la moindre activité. Il est fort possible que, dans le futur, ces jeunes maoïstes, se tournint vers le mouvement ouvrier, s’engage dans des actions de front uni avec d’autres groupes, étant donné leur manque d’expérience et de tradition dans le mouvement ouvrier et le mouvement jeune.

Contre l’inflation

Le 17 mars 1974, un débat public sur la question du chômage fut organisé par le Christian Industry Committee (Comité Chrétien de l’Industrie), un groupe tendant vers le réformisme et qui publie, depuis trois ans, un journal appelé Workers Weekly (l’Hebdomadaire des Travailleurs) (ce journal n’a pas eu un grand écho). Au cours de ce meeting plutôt turbulent, environ 500 travailleurs développèrent leur attaque contre le chômage et leur attaque contre la structure économique et politique dans son ensemble. Cette attaque a été reprise-et approfondie par l’intervention des deux groupes marxistes-révolutionnaires. À la fin du meeting, la nature et les limites du réformisme furent clairement dénoncées. En général, les travailleurs présents au meeting n’étaient pas satisfaits par l’explication des réformistes selon laquelle on devait traiter le chômage comme un phénomène social isolé et que la lutte contre le chômage pouvait être menée par le biais des canaux légaux, qui, de toutes façons, n’existaient pas.

Un autre meeting, au niveau un peu plus élevé, fut organisé par la « Hong Kong Federation of Students » (Fédération des Étudiants de Hong Kong). Environ 400 personnes y participèrent, moitié ouvriers et moitie étudiants. La Fédération invita deux orateurs de tendances réformistes, mais leurs discours étaient si faibles et pleins de contradictions qu’ils furent rejetés par la majorité de l’audience. Un militant maoïste donna une description correcte de la crise économique se développant au niveau mondial, mais ne dit rien sur la réponse à y apporter. Le dernier orateur était un membre du Workers Education Committee. Il souligna dans son intervention la nécessité pour les travailleurs de mener leur luttes de façon unifiée.

Ces deux forums attirèrent l’attention de la classe ouvrière, car les travailleurs cherchent une direction qui puisse les mener vers une amélioration de leurs conditions de vie misérables.

La Fédération des Etudiants de Hong Kong a créé un comité spécial pour cette campagne. Un numéro spécial de son journal, paru en avril 1974, met en avant une série de revendications : que le gouvernement colonial contrôle sérieusement les prix des biens de consommation, spécialement du riz et de l’électricité; que le gouvernement arrête la spéculation qui menace toujours la vie de la population; que le gouvernement retire au moins un quart de ses épargnes placées à Londres; que le gouvernement abolisse la politique des « trois hauts » (les hauts loyers des maisons, les hauts loyers de la terre et les hauts impôts) et la remplace par des imp6ts progressifs. Mais il y a peu de chance que la Fédération lance des actions directes pour développer le mouvement. De plus, la Fédération craint l’influence des groupes de la jeunesse radicalisée et est très sectaire ; elle refuse de coopérer dans des luttes communes avec les groupes radicalisés.

Un autre comité de lutte contre l’inflation fut mis en place par le « Front de 70 ». Sa revendication centrale est que le gouvernement établisse une assurance contre le chômage et bloque les prix. À la fin mars, ce groupe a organisé environ 40 étudiants et ouvriers et est prêt à s’engager dans la lutte, mais il se refuse à formuler une stratégie claire pour le mouvement et refuse de mener la lutte de façon démocratique. Ce groupe ne dépassera pas ses limites de groupe d’action spontanéiste selon le modèle du premier « 70’s Group ».

Un troisième comité a été créé par le Student Express et le Daily Fighting Bulletin. Ses trois principales revendications sont : blocage immédiat des prix, clause immédiate d’échelle mobile des salaires, établissement d’un salaire minimum et établissement d’une assurance-chômage. Le comité appelle également les travailleurs a combiner leurs luttes avec d’autres couches sociales opprimées. De plus, le groupe autour du Daily Fighting Bulletin a appelé les travailleurs à s’organiser afin de mener leurs luttes de façon plus efficace. Ce groupe organisa un meeting le 7 avril 1974, auquel environ 60 travailleurs participèrent. Un meeting plus large et d’autres actions étaient planifiées pour lp mois de Mai.

Malgré la division initiale du mouvement, même le gouvernement s’attend à un soulèvement massif des travailleurs après le mois de mai 1974.

Les Perspectives du Mouvement

Le gouvernement colonial et la bourgeoisie doivent faire face à une crise économique et sociale qu’ils ne sont pas capables de résoudre par eux-mêmes. Cela signifie que la classe ouvrière de Hong Kong va continuer à souffrir de la hausse des prix. Le mouvement anti-inflationniste représente la première tentative de la classe ouvrière de mener une lutte unie.

Il est clair que si les travailleurs s’unissent pour lutter contre l’inflation, l’administration coloniale et la bourgeoisie sont prêts à faire quelques concessions, dont l’étendue sera déterminée par le rapport de force et la situation que ce rapport de force aura créée.

Même les réformistes en sont conscients et sont prêts à prendre l’initiative quand ils sentent qu’ils ont une base de masse et un large appui. Le forum organisé par le Comité Chrétien de l’Industrie en est un exemple frappant. Mais les réformistes n’iront pas au-delà de revendications économiques minimales et essaieront de freiner la dynamique du mouvement afin de préserver le statu quo. La ligne des étudiants réformistes, regroupés dans la Fédération des Etudiants de Hong Kong, n’est pas qualitativement différente de la ligne des réformistes, bien qu’ils se différencient de ces derniers par leur rejet conscient du gouvernement colonial.

Néanmoins, la Fédération des Etudiants considère que le mouvement à Hong Kong est divisé en plusieurs « étapes » entre lesquelles il n’y a virtuellement aucun lien. Le mouvement anti-inflationniste est considéré comme une lutte purement économique; son caractère transitoire est ignoré. Tant que la Fédération des Etudiants se considère comme la « Conscience de la Société » et n’analyse pas la situation concrète, en particulier la nature des syndicats maoïstes, elle se contentera d’appeler les travailleurs à s’unifier autour d’une simple revendication ou d’une simple action, mais n’appellera jamais les travailleurs à s’organiser autour d’une perspective à long terme.

Du point de vue des marxistes-révolutionnaires, le mouvement contre l’inflation représente une plateforme pour lancer un mouvement de masse anti-colonial et anti-capitaliste. De plus, plus le mouvement se développera, plus la ligne des maoïstes apparaîtra pour ce qu’elle est, et ils perdront la direction du mouvement. Et cela signifie également que le mouvement de masse deviendra une menace pour les bureaucrates chinois.

Les tâches des marxistes-révolutionnaires sont claires :

Tout d’abord la situation actuelle représente une chance historique pour les marxistes-révolutionnaires de mener des actions unitaires avec les travailleurs radicalisés, de s’adresser à la classe ouvrière dans son ensemble et de recruter les éléments les plus politisés ou de les aider à s’organiser. Dans les secteurs où les maoïstes sont faibles, par exemple parmi les travailleurs de l’électricité, la tâche centrale est de créer des syndicats de masse. Dans les secteurs dominés politiquement par les maoïstes, il est essentiel de gagner les éléments les plus militants et les plus politisés afin de former des noyaux solides au sein et au dehors des syndicats maoïstes . Par rapport aux syndicats sous direction maoïste, les marxistes-révolutionnaires doivent affirmer leur volonté de défendre les intérêts de la classe ouvrière dans la pratique. De plus, ils doivent présenter des réponses claires aux problèmes de Hong Kong et de la Chine. Le but de cette intervention est de gagner politiquement les travailleurs qui sont regroupés dans ces syndicats.

Deuxièmement, il est important d’intervenir dans le processus de clarification en cours au sein du mouvement mao-spontanéiste. Il faut expliquer à ces militants maoïstes qui ont perdu leurs illusions que la politique de compromis des maoïstes de Hong Kong n’est pas un accident. C’est une conséquence de la dégénérescence de la révolution chinoise; cependant il ne s’agit absolument pas d’être sectaires par rapport à ces militants.

Troisièmement, il ne faut pas négliger le grand nombre de lycéens. Ils sont les travailleurs de demain. Toutes les forces sociales qui peuvent être touchées par l’intervention des marxistes-révolutionnaires doivent être regroupées et unifiées au sein du mouvement contre l’inflation. Il faut développer un travail s’éducation politique. Le mouvement contre l’inflation ne se développera à un niveau supérieur que si les marxistes-révolutionnaires se montrent capables d’en prendre la direction et de lui donner une orientation et une organisation.

Publié le 6 juin 1974