Revue et site sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IVe Internationale.

Au Pays-Bas, une extrême droite confiante et une gauche parlementaire en stagnation

par Alex De Jong
Geert Wilders avec Trump. © The White House / Public Domain

Le 29 octobre, les Pays-Bas connaîtront de nouvelles élections législatives – une fois de plus. Début juin, le gouvernement du Premier ministre Dich Schoof a perdu sa majorité, lorsque le PVV de Geert Wilders, d’extrême droite, a fait exploser la coalition. Peu après les élections, le contraste entre les événements politiques les plus importants dans le pays ne pourrait être plus fort. Le 20 septembre, après un meeting anti-immigration, la Hague a été traversé par des émeutes fascistes. Le 5 octobre, 250 000 personnes ont marché dans les rues d’Amsterdam pour montrer leur solidarité avec la Palestine.

À la Haye, une extrême droite qui monte, et des fascistes qui patrouillent dans les rues pour intimider les personnes racisées, et jeter des pierres sur les bureaux du parti social-libéral D66. Des saluts nazis, combinés aux drapeaux orange-blanc-bleus du mouvement national-socialiste néerlandais des années 30 et 40. Et comme pour mettre en évidence les connexions entre fascisme et colonialisme, d’autres portent des drapeaux de la VOC, la Compagnie des Indes orientales hollandaise. Tout ceci exprimait la confiance en soi prise par l’extrême droite, galvanisée par la montée des partis qui partage ses points de vue au sein du Parlement.

En face, Amsterdam a connu la plus grande manifestation de solidarité internationale dans l’histoire des Pays-Bas. Cette marche, qui a rencontré les acclamations des habitant·es, était aussi un rassemblement contre l’extrême droite. Le fossé entre la politique officielle et l’opinion publique a rarement été aussi béant : les mêmes partis de droite et d’extrême droite qui affirmaient si fort parler au nom du « peuple » ne sont aujourd’hui qu’une minorité, dans leur support fanatique à la violence génocidaire d’Israël.

Les sondages pour les élections du 29 octobre n’incitent cependant pas à l’optimisme. Le gouvernement Schoof était le plus à droite depuis la Seconde Guerre mondiale, et le premier à intégrer un parti d’extrême droite. Le fait qu’il s’effondre après onze mois n’était pas une surprise. Beaucoup s’attendaient même à le voir tomber plus tôt. La politique contemporaine des Pays-Bas est en effet extraordinairement chaotique : depuis le tournant du siècle, une seule coalition a tenu les quatre ans de son mandat. Et en août 2025, le pays a traversé un épisode inédit, lorsque le NSC (conservateur) a quitté le gouvernement restreint, une mesure sans précédent prise parce que les deux partis restants (le VVD, libéral de droite, et le mouvement agricole-citoyen populiste de droite BBD) continuaient à bloquer les propositions du NSC, qui allaient vaguement dans le sens d’une condamnation de la politique génocidaire de l’État israélien.

Mais si l’on regarde au-delà du chaos, vers la composition du parlement lui-même, on se rend compte que la structure de la politique néerlandaise est relativement stable – hélas. Le PVV [d’extrême droite] se maintient et la droite bourgeoise, notamment le parti libéral VVD, poursuit son glissement vers la droite. Les sondages prédisent que le PVV ne perdra que quelques points de pourcentage par rapport [aux élections de] 2023, et qu’il restera, et c’est ce qui compte le plus, le premier parti, autour de 20%. Le bloc de droite, au parlement, est maintenant constitué de cinq partis, qui vont du SGP, un parti calviniste fondamentaliste, aux néo-fascistes du FvD, en passant par un BBB qui accélère sa transformation, d’une formation se réclamant du centrisme, vers un parti d’extrême droite qui demande des lois d’urgence pour bloquer l’immigration. La nouveauté, c’est que le VVD fait face à des pertes importantes. Il y a là les conséquences des maladresses de sa dirigeante, Dilan Yeşilgöz, mais plus fondamentalement, il y a une tension à l’intérieur du parti entre ceux qui veulent poursuivre la coalition avec le PVV, et ceux qui préfèrent la « stabilité ». Quand le gouvernement Schoof est entré en fonction, la droite bourgeoise a conclu un certain nombre d’accords avec [le leader du PVV] Wilders dans une tentative de consolider la stabilité de la coalition. L’un d’entre eux était de rompre avec la tradition qui veut que le plus grand parti au gouvernement fournisse le Premier ministre. Il se serait alors agi de Wilders – mais l’idée de le voir représenter le pays à l’international générait un certain malaise, particulièrement au NSC. Un compromis a donc été trouvé en nommant à ce poste le bureaucrate sans parti Dick Schoof. Et le nouveau gouvernement a aussi promis de respecter l’État de droit, ce qui était aussi une façon de limiter le rôle du PVV – parti qui défend l’idée d’abolir plusieurs droits constitutionnels, comme la liberté de culte (pour les musulman·es), ou de rompre avec plusieurs traités internationaux sur les droits des réfugié·es et les migrations.

Sans surprise, ces tentatives de contenir Wilders n’ont pas servi à grand-chose. Il a rapidement fait savoir que ses plans les plus extrêmes étaient toujours à l’ordre du jour, au moins à long terme. Et le fait qu’il n’ait pas été lui-même membre du gouvernement lui a permis de garder le style et les manières d’une figure d’opposition, face à une droite classique, faible et compromise.

Wilders a choisi de faire exploser la coalition en exprimant des revendications dont il savait qu’elles ne pourraient jamais être satisfaites, comme une fermeture totale des frontières pour les réfugié·es et l’expulsion de tou·tes les Syrien·nes vivant dans le pays. Dans la campagne de 2023, Wilders a parfois attaqué le centre-gauche « par la gauche », par exemple sur des sujets comme les coûts de santé ; mais une fois au gouvernement, son parti a immédiatement abandonné son vernis « social », et s’est rallié à la politique économique de droite menée par ses partenaires. Un plan pour taxer les rachats d’action a été rejeté, et une taxe sur le CO2 émis par les entreprises abolie. La proposition de mettre fin aux frais de risque propre dans les assurances santé obligatoires, une vieille promesse du PVV, a été abandonnée. Autant d’épisodes qui n’ont eu que peu d’impact sur la popularité de Wilders. Quand il a mis fin à la coalition, son pari était de polariser l’élection autour de l’hostilité contre les migrant·es et les réfugié·es. Il sait que ce sont ces sujets qui génèrent un soutien à son parti.

Le fait qu’après cet épisode, le PVV ne soit plus considéré comme un partenaire de coalition stable pour la droite bourgeoise, n’est qu’une perte temporaire pour lui. Pour Wilders, la participation à un gouvernement n’est pas une fin en soi, mais une étape dans un projet de long terme pour transformer les Pays-Bas en une société encore plus à droite, raciste et autoritaire. L’extrême droite, même quand elle n’est pas au gouvernement, joue un rôle de plus en plus important pour définir ce qui est politiquement possible dans le pays.

Une gauche en stagnation

La fusion en cours avec le parti vert GroenLinks signifie que le Parti des Travailleur·ses (PvdA) se décale légèrement vers la gauche. Mais le fait que le PvdA se présente comme de gauche en période électorale n’est pas une nouveauté, et rien n’indique un véritable changement d’orientation sur le long terme. Les cabinets de recherche des deux partis défendent maintenant une forme de « social-démocratie verte » ; mais avec son soutien enthousiaste aux politiques néolibérales des gouvernements précédents, le PvdA a rendu impossible l’essentiel des perspectives social-démocrates. Le parti fusionné est coincé dans une contradiction qu’il a lui-même créée : d’un côté, il réalise que pour gagner des voix, il doit se distinguer du centre et faire le choix d’une ligne politique clairement de gauche et écologiste. De l’autre, GroenLinks-PvdA, mené par l’ancien commissaire européen Frans Timmermans (du PvdA), ne veut rien d’autre qu’une coalition avec le centre-droit et la droite, et ne peut donc pas se permettre d’offenser outre mesure ses potentiels partenaires. La stratégie du PvdA de gouverner conjointement avec la droite menace désormais de contaminer GroenLinks. 

Cela pourrait tourner mal après les élections. Il sera probablement difficile de former un gouvernement, et plus le processus sera long, plus il y aura de pression, en interne et en externe, pour que le PvdA-GroenLinks « prenne ses responsabilités ». Par exemple, pour former un gouvernement centriste. Et s’associer à des politiques soutenues par de moins en moins de monde.

Le principal parti à la gauche du PvdA-GroenLinks, le Parti Socialiste (SP), a opté pour une approche de retour aux bases. Après des années de déclin, il devrait obtenir autour de 4%, en légère augmentation. Sa ligne peut se résumer comme « progressiste sur le plan économique, mais socialement conservatrice ». Il reste largement silencieux sur les questions de racisme, et se concentre sur les aspects socio-économiques. Même après les émeutes à la Hague, le SP était le seul parti de gauche à voter en faveur de plusieurs motions de l’extrême droite, une qui mettait sur un pied d’égalité les violences de l’extrême droite avec celles, imaginaires, de l’extrême gauche, et une défendant « le droit de chacun à manifester pacifiquement contre les centres de réfugié·es ». Tout en utilisant une fougueuse rhétorique de « défense de la classe travailleuse », il affiche sa volonté de rejoindre un gouvernement de coalition avec le centre-droit, en particulier avec les chrétiens-démocrates du CDA. De cette manière, le SP, qui était autrefois un parti d’opposition de gauche qui contribuait à faire pression sur le PvdA, s’engage maintenant sur la même pente glissante.

De nombreux·ses Néerlandais·es de gauche voteront probablement pour le Parti des Animaux, qui, de parti centré exclusivement sur la défense des droits des animaux, s’est transformé en organisation de gauche et écologiste. Le BIJ1, un parti de gauche radicale et antiraciste, entre aussi dans l’équation, mais il n’est malheureusement pas certain qu’il parvienne à revenir au parlement.

Les 250 000 personnes qui ont manifesté à Amterdam ont montré que même aux Pays-Bas, un mouvement contre l’extrême droite et ses atrocités était possible. Il faut maintenant construire sur ce potentiel. Pour inverser la vapeur, la gauche néerlandaise devra travailler à construire son propre pouvoir, ses propres structures et ses propres propositions pour une autre société. Dans la lutte quotidienne pour les intérêts socio-économiques et contre l’extrême droite, elle doit travailler ensemble et regarder au-delà de la prochaine élection.

Publié le 16 octobre 2025 par International Viewpoint