Les Afro-Américain·nes sont sous les feux des critiques du régime Trump sur tous les fronts. Le président Trump affirme que la population noire bénéficie d’avantages injustes par rapport à la plupart des Blancs, en particulier les jeunes hommes blancs. Ces attaques sont dirigées contre tout ce qui touche au « wokisme » (qui désignait à l’origine la prise de conscience des réalités de l’oppression) et à la DEI (diversité, équité, inclusion). Il s’agit purement et simplement d’une offensive raciste visant à réduire à néant tous les acquis socio-économiques et politiques obtenus par cette partie opprimée de la population.
Et lorsque Trump, entouré de ses sous-fifres, déclare vouloir s’attaquer à la « gauche radicale », ce sont les organisations de défense des droits civiques qui figurent en tête de sa liste.
Capitalisme, oppression nationale, sexisme
À la source de ces attaques, on trouve la nature même du système capitaliste, où les milliardaires occupent la première place et les travailleurs la dernière. Le capitalisme américain est profondément ancré dans une structure de classes historiquement fondée sur la race. Avant l’indépendance obtenue face à l’Angleterre coloniale, les fondateurs percevaient les peuples autochtones qui les avaient accueillis comme des êtres inférieurs.
Les colons européens blancs considéraient les esclaves africain·es comme des êtres moins que civilisés. Ils voyaient les Mexicain·es et les autres futurs immigrant·es latino-américain·es à la peau mate comme des envahisseurs.
Les Noir·es, le groupe opprimé le plus important, ont été considérés comme « inférieurs » dès la constitution d’un pays indépendant. Il a fallu une guerre civile (la deuxième révolution américaine) pour mettre fin à l’esclavage et permettre aux ancien·nes esclaves de devenir des citoyen·nes.
Bien qu’ils aient débattu de l’esclavage, les fondateurs n’ont jamais été favorables à l’égalité pour les personnes non blanches. Les tribus autochtones ont été victimes d’un génocide.
Il n’est pas surprenant que les futurs dirigeants blancs des deux grands partis capitalistes aient imposé un système de suprématie blanche fondé sur la ségrégation forcée, l’exclusion et le principe « dernier embauché, premier licencié » pour les Afro-Américain·es.
Les femmes ont bien sûr subi une double ou triple exploitation : le racisme, l’oppression sexuelle et les actuelles menaces de l’extrême droite de restreindre davantage le droit à l’avortement et même à la contraception.
Le « secrétaire à la Guerre » Pete Hegseth, idéologue patriarcal et suprémaciste chrétien, a même émis des doutes quant au fait que les femmes devraient continuer à avoir le droit de vote. Les personnes transgenres sont confrontées à des menaces pour leur existence physique.
Hausse du chômage et coupes budgétaires
Une étude des chiffres de l’emploi publiés en août 2025 par le Bureau of Labor Statistics (BLS) révèle la véritable nature du capitalisme et de l’oppression des Noirs.
Le taux de chômage des Noir·es, qui s’élève à 7,5 % (contre 6,1 % en juillet 2024), reste nettement supérieur à la moyenne nationale de 4,3 %.
Les travailleur·ses noir·es sont confronté·es à des disparités persistantes dues à de nombreux facteurs, notamment la concentration géographique dans les zones urbaines à fort taux de chômage et les barrières structurelles en matière d’embauche et de promotion.
Les taux de chômage les plus récents par race et origine ethnique en août 2025, d’après les données du Bureau of Labor Statistics :
| Blanc·hes | 3,7 % |
| Noir·es/Afro-Américain·es | 7,5 % |
| Asiatiques | 3,6 % |
| Latin@s | 5,3 % |
| Moyenne nationale | 4,3 % |
En bref, ces données montrent que les Afro-Américain·es continuent d’afficher le taux de chômage le plus élevé, près du double de celui des Blanc·hes et des Asiatiques. Elles ne permettent toutefois pas de constater l’augmentation du nombre de sans-abri parmi les travailleur·ses licencié·es, incapables de payer leur loyer et de conserver leur logement.
Les plus touché·es sont les hommes et les femmes noir·es, y compris celles et ceux qui ont des enfants scolarisés et qui n’ont pas d’adresse fixe. Les coupes dans le programme SNAP (coupons alimentaires) et la diminution des repas gratuits dans les écoles publiques entraînent une sous-alimentation des familles, en particulier dans les communautés noires et latino-américaines.
Les Américain·es d’origine asiatique affichent systématiquement le taux de chômage le plus bas, ce qui est souvent imputé à leur niveau d’éducation plus élevé et à leur concentration dans des secteurs à forte demande.
Les travailleur·ses latino-américain·es se situent entre les deux, avec des taux supérieurs à ceux des Blanc·hes et des Asiatiques, mais inférieurs à ceux des Afro-Américain·es.
Ces disparités se retrouvent dans toutes les tranches d’âge, mais elles sont particulièrement marquées chez les jeunes travailleur·ses (âgés de 16 à 24 ans), où le chômage des jeunes Noir·es peut dépasser 19 %.
Les femmes noires durement touchées
Les femmes noires sont parmi les plus touchées par les suppressions d’emplois fédéraux décidées par Trump. Il a supprimé des centaines de milliers d’emplois dans la fonction publique fédérale, ce qui affecte de manière disproportionnée les employé·es noir·es, en particulier les femmes qui y ont obtenu des emplois et des avantages sociaux auxquels elles n’auraient pas eu accès dans le secteur privé.
Ainsi, lorsque Trump a commencé à démanteler les agences fédérales et à licencier des fonctionnaires de rang modeste, Peggy Carr, statisticienne en chef au ministère de l’Éducation, s’est immédiatement livrée à des estimations chiffrées.
Elle avait été la première personne noire et la première femme à occuper le poste prestigieux de commissaire du Centre national des statistiques du secteur de l’éducation. Désignée à ce poste par le pouvoir politique, elle savait qu’elle risquait d’être prise pour cible.
Mais ses trente-cinq années de carrière au sein de ce ministère, qui se sont étalées sur six mandats présidentiels, dont le premier mandat de Donald Trump, lui avaient valu le respect des responsables politiques des deux partis.
Elle pensait certainement que le bureau chargé de suivre les résultats scolaires des élèves du pays ne pouvait pas être considéré par le président comme « diviseur et nuisible » ou « woke ».
Un après-midi de février, un agent de sécurité s’est présenté à son bureau alors qu’elle s’apprêtait à tenir une réunion avec son équipe. Quinze minutes plus tard, ses collaborateurs l’ont vue, en larmes et incrédules, sortir du bâtiment sous escorte. Le Dr Carr a déclaré dans une interview : « C’était comme être poursuivie en justice devant ma famille, ma famille professionnelle. C’était comme si on me jetait comme un kleenex, à la seule différence que j’étais accompagnée jusqu’à la porte d’entrée plutôt que celle de derrière. »
Alors que des dizaines de milliers d’employé·es comme Carr ont perdu leur emploi dans le cadre de la politique de réduction drastique des effectifs fédéraux menée par le président Trump, les experts en matière d’emploi affirment que ces coupes touchent de manière disproportionnée les femmes noires.
Les femmes noires représentent 12 % des effectifs fédéraux, soit près du double de leur part dans la population active globale. Cependant, elles représentent 25 % des effectifs dans des agences telles que l’Internal Revenue Service et le ministère de l’Éducation, où les coupes ont été les plus importantes.
Le ministère de l’Éducation était un cas particulier, avec plus d’un quart de ses effectifs composé de femmes noires, et il a suspendu des dizaines de personnes dont les titres et les fonctions officielles n’avaient aucun lien avec la DEI.
Leur seule contact évident avec les activités de la DEI s’était limité à des formations dispensées à l’initiative de leurs supérieurs hiérarchiques. Pour Trump, le fait d’être noir·e dans un emploi est la preuve que vous avez été embauché grâce au « wokisme » et à la DEI.
Pourquoi défendre la DEI
Depuis des générations, l’emploi fédéral sert d’échelle sociale à la classe moyenne qui était exclue du marché du travail en raison de la discrimination. Le secteur public a toujours offert une plus grande stabilité de l’emploi, une plus grande équité salariale et de meilleures perspectives de carrière que le secteur privé.
Depuis l’adoption de la loi sur les droits civiques de 1964, le gouvernement fédéral a appliqué de façon vigoureuse la discrimination positive dans le recrutement ainsi que les dispositions anti-discrimination. Trump qualifie ces programmes de « racisme inversé ».
La droite, qui contrôle la majorité au Congrès et à la Maison Blanche, soutient la restructuration du gouvernement fédéral menée par Trump. En juillet, la majorité de la Cour suprême a décrété que le président pouvait poursuivre ses licenciements racistes au sein du gouvernement fédéral.
Dans une déclaration, Harrison Fields, porte-parole de la Maison Blanche, a déclaré que Trump « ouvrait la voie à une économie qui donnerait plus de poids à tous les Américains, comme il l’avait fait lors de son premier mandat ».
Il a ajouté que « cette obsession à vouloir mettre en place des mesures de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI) qui divisent la population annule des années de progrès vers une véritable égalité ».
C’est précisément pour cette raison que la DEI doit être au cœur de la résistance contre les mesures prises par Trump pour instaurer un système présidentiel sans contrôle de ses pouvoirs (le Shutdown – arrêt des activités gouvernementales – donne à Trump et au Bureau de la gestion et du budget un précieux prétexte pour multiplier les abus).
Au cours des 200 premiers jours de la présidence Trump, sur les 98 personnes qu’il a nommées aux postes les plus élevés de l’administration, seules deux étaient afro-américaines. Il s’agissait de Scott Turner, secrétaire au Logement et au Développement urbain, et d’Earl G. Mathews, avocat général du nouveau département de la Guerre. Dans la première administration Trump, sur les 70 nominations, Ben Carson, qui est devenu secrétaire au Logement, était le seul fonctionnaire noir confirmé.
Purges
Les statistiques compilées par Kathryn Dunn Tenpas pour la Brookings Institution dévoilent à quel point cette administration est blanche. En comparaison avec ce taux de 2 % après 200 jours, les responsables noirs représentaient 21 % des candidats confirmés par le Sénat sous Joseph Biden, 13 % sous Barack Obama et 8 % sous George W. Bush.
Au cours de la même période, l’administration Trump a licencié des haut·es fonctionnaires noir·es qui avaient été précédemment confirmé·es par le Sénat. Parmi eux figurent Alvin Brown, membre du National Transportation Safety Board (Bureau national de la sécurité des transports) ; le général Charles Q. Brown, chef d’état-major interarmées ; Carla Hayden, bibliothécaire du Congrès ; Robert E. Primus, président du conseil d’administration de la Federal Energy Regulatory Commission (Commission fédérale de réglementation de l’énergie) et Gwynne Wilcox, membre du National Labor Relations Board (NLRB, Conseil national des relations du travail). (Voir « Trump Fires Black Officials From an Overwhelmingly White Administration », Elisabeth Bumiller et Erica L. Green, New York Times, mis à jour le 10/10/25)
La plupart ont été licencié·es par courriel ou par SMS, sans explication. Plusieurs ont trouvé leurs téléphones et ordinateurs professionnels éteints et ont été escorté·es hors des locaux fédéraux peu après. Mais le général Brown a clairement compris la raison pour laquelle on lui a montré la porte. Pete Hegseth avait demandé son licenciement, affirmant qu’il nuisait à l’armée parce qu’il mettait en œuvre des programmes D.E.I.
Le général Brown, ainsi que Primus et Wilcox, ont intenté un procès pour être réintégrés. La Cour suprême des États-Unis a statué que l’administration pouvait temporairement démettre de ses fonctions Gwynne Wilcox, la première femme noire à siéger au NLRB, pendant que son procès suit son cours.
Mme Wilcox s’inquiète pour l’agence, car celle-ci n’a plus le quorum et ses activités sont au point mort.
D’autres ont été contraints de démissionner plutôt que d’affronter l’humiliation d’un licenciement brutal et d’une campagne de dénigrement. Willie L. Phillips, le premier président afro-américain de la Commission fédérale de régulation de l’énergie, a démissionné au printemps dernier à la demande de la Maison Blanche.
La tentative de Trump de licencier Lisa D. Cook, la première femme noire gouverneur du Conseil de la Réserve fédérale, a jusqu’à présent échoué. Contrairement à ce qui s’est passé dans l’affaire Wilcox, la Cour suprême a statué que Cook pouvait continuer à exercer ses fonctions pendant que l’administration fait avancer la procédure.
Bien que Trump ait initialement visé le président du conseil, Jerome Powell, pour le destituer, les règles stipulent qu’un membre ne peut être destitué que pour un motif valable. L’administration a ensuite accusé Cook d’avoir menti dans une demande de prêt hypothécaire. Même si cela était vrai, cet incident n’aurait rien à voir avec ses qualifications ou ses performances au sein du conseil d’administration, et se serait produit avant son investiture. (Les médias affirment que cette accusation est fallacieuse.)
Cook est une ancienne professeure d’économie dont les recherches portaient sur les disparités raciales, l’histoire des institutions financières, les crises des marchés financiers et l’innovation.
La militante LaTosha Brown a expliqué au Guardian pourquoi Trump avait retenu Lisa Cook : « Il l’a choisie parce qu’il parie que, dans un secteur où 90 % ou plus des employé·es sont des hommes blancs, ses chances de la destituer sont plus grandes que celles de destituer d’autres membres du conseil d’administration. Cela s’explique par l’histoire et par la manière insidieuse dont le racisme est ancré dans la façon dont nous percevons les personnes de couleur dans ce pays ».
Jusqu’à présent, Lisa Cook a combattu cette tentative de licenciement jusqu’à la Cour suprême, qui a estimé qu’elle pouvait continuer à exercer ses fonctions de gouverneure pendant que son affaire suivait son cours. Celle-ci a été inscrite au rôle début 2026.
Beaucoup de ces personnes ont été les premiers Afro-Américain·es à être nommé·es, confirmé·es et à travailler au poste qu’ils ou elles occupent. C’est le cas d’Alvin Brown, Lisa Cook, Carla Hayden, Willie Phillips, Robert Primus et Gwynne Wilcox. Le général Brown a été le deuxième président noir des chefs d’état-major interarmées.
Ces purges démontrent clairement pourquoi la défense de la DEI doit être au cœur de la lutte contre l’autoritarisme de Trump et ses politiques suprémacistes blanches. L’unité de la classe ouvrière, essentielle pour vaincre l’extrême droite, n’est pas possible sans cela.
Jeudi 13 novembre 2025, Against The Current n°239, traduit par Pierre Vandevoorde.