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Pour un mouvement à gauche… dans la rue et au Parlement

par Michael Schwarz

« Il est grand temps que nous intervenions dans les quartiers populaires » ! Il est rare que cette phrase ne soit pas prononcée au cours d’une discussion avec des camarades d’un certain âge. Et qu’entend-on dans les discussions avec les plus jeunes ? « Il est grand temps de contrer la toute-puissance de l’AfD sur les réseaux sociaux ! » Ces phrases ont beau avoir souvent été prononcées, il a toujours été difficile de les convertir en une pratique politique. Avec le renouvellement actuel du Parti de gauche (die Linke) c’est en train de devenir possible.

Des immeubles gris en béton, un ciel bas et nuageux, une température à peine supérieure à zéro : c’est ainsi que se présente le quartier d’Ostheim à Cologne un dimanche d’hiver. Corinna et Robin se présentent devant les interphones à la porte d’un immeuble de plusieurs dizaines d’appartements. Tous deux ont la vingtaine, portent des gilets blancs et des planchettes à pince rouges. « Bonjour, nous sommes de die Linke. Nous faisons actuellement le tour du quartier pour parler avec tous les voisins et voisines de la façon dont les choses se passent ici. Pourriez-vous nous laisser entrer ? » Il leur faut s’y reprendre à trois fois avant que la porte d’entrée ne s’ouvre. Après quoi, ils frapperont à toutes les portes.

Leur intervention entre dans le cadre de la « Grande enquête ». Dans toute l’Allemagne, des militant·es du Linkspartei sonnent aux portes des habitations, il y en a eu plus de 100 000 à la fin de l’année 2024. Ils interrogent les gens sur leurs problèmes quotidiens, principalement dans les quartiers peu favorisés. Ici ? Personne ou presque ne parle de problèmes avec les migrant·es, mais bien plutôt de loyers élevés et de renchérissement général du coût de la vie. Il s’agit des questions qui préoccupent le plus les gens et qui devraient par conséquent figurer parmi les priorités de la campagne électorale.

À la fin de leur journée, Corinna et Robin sont satisfaits. La plupart des contacts se sont passés de manière positive. « Les gens sont tout simplement contents que quelqu’un leur demande comment ils voient les choses », explique Corinna à Sozialistische Zeitung. Bilan de la journée pour la petite dizaine de militant·es : 219 portes toquées, dont 89 ouvertes, 44 bonnes discussions et 9 promesses de vote pour die Linke. « Cela ne suffit certainement pas à faire pencher la balance électorale, mais c’est bien plus que rien », dit Robin en riant. En outre, l’action fait l’objet d’un compte-rendu par une équipe de communication et la vidéo est diffusée sur Instagram. Cela permet de toucher des milliers d’autres personnes.

Une situation paradoxale

Que se passe-t-il donc actuellement à die Linke ? La plupart des médias annoncent presque quotidiennement sa fin. Pourtant, les nouveaux membres, jeunes, affluent dans les quartiers et la députée Caren Lay touche des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux avec ses performances de rap.

Pour expliquer ce déclin, on évoque souvent la scission des partisans de Wagenknecht. C’était il y a un an déjà et Die Linke se trouve aujourd’hui dans une situation paradoxale. Elle apparaît en perte de vitesse dans les intentions de vote et a chuté de 1 à 2 points de pourcentage dans les sondages nationaux, passant sous la barre des 5 %. Dans son fief de Thuringe, il est passé de 20 % dans les sondages avant la scission à 13 % lors des élections régionales de septembre dernier.

Le contraste est saisissant avec le fait que l’organisation du parti se renforce. Le départ de Wagenknecht a été suivi d’une vague d’adhésions qui s’est poursuivie tout au long de l’année, et qui a encore été amplifiée avec la fin de la coalition gouvernementale. Au début de l’année 2025, Die Linke comptait 58 000 membres, soit 16% de plus qu’en 2023. La moyenne d’âge a baissé de 55 à 51 ans, ce qui la place juste au-dessus de celle des Verts1.

Mais le plus important est que nombre de nouveaux et nouvelles membres sont effectivement actif·ves. La « Aktive Linke », celle qui a sonné aux portes des appartements, est un groupe d’activité du Kreisverband de Cologne. Son travail se fait en dehors des structures « officielles » et des sections locales afin d’avoir les coudées plus franches et d’être donc plus attractif pour les jeunes qui arrivent. « Le mois de novembre a été vraiment flagrant », rapporte Corinna. « À chaque réunion, nous avions au moins dix personnes qui n’étaient encore jamais venues et qui nous disaient : “Nous venons d’adhérer – que peut-on faire maintenant ? ». Cette dynamique n’existe pas seulement dans les grandes villes : la « Aktive Linke » cherche à profiter de cette impulsion en menant cette opération de porte-à-porte à l’échelle nationale. La fédération de Basse-Bavière-Ouest, par exemple, fait état d’un doublement du nombre de ses membres.

Toute la gauche est sollicitée

Malgré tout – la crise du parti touche à son existence même : en septembre, dans le Brandebourg, pour la première fois dans un parlement régional est-allemand, il a perdu son groupe parlementaire.

Pourquoi cela devrait-il nous intéresser en tant que militant·es de la gauche radicale, communistes et socialistes ? Die Linke n’est en fin de compte pas un parti résolument anticapitaliste, même si son orientation en faveur du socialisme est régulièrement soulignée par les nouveaux présidents du parti, Ines Schwerdtner et Jan van Aken. Avec beaucoup de ses membres – nouveaux et anciens – nous avons certainement des divergences, tant sur le fond que dans notre culture politique.

Mais quel sens cela a-t-il à une époque où, socialement parlant, nous sommes en recul et où le glissement vers la droite continue ? Dans une phase où les idées de gauche se propageraient dans la société, nous créerions peut-être de nouvelles organisations pour avancer des contenus plus radicaux. Mais dans la situation actuelle, il est important de se rassembler, avec tous ceux et toutes celles qui se réclament de la gauche, afin de maintenir des structures et des positions clés.

Die Linke en fait sans aucun doute partie : Il est pratiquement impossible de critiquer le gouvernement de manière étayée sans les informations que permettent d’obtenir les questions parlementaires au Bundestag – les ministères doivent alors prendre position sur les questions critiques de l’opposition et sont donc obligés de faire des recherches. La fondation Rosa Luxembourg, proche du parti (qui ne peut recevoir des fonds publics que s’il existe un groupe parlementaire au Bundestag), finance des recherches scientifiques et des séminaires de formation dont bénéficie le mouvement tout entier. Et les locaux des députés de Die Linke sont, dans de nombreuses villes, régulièrement utilisés comme lieux de réunion par les groupes de gauche, comme par exemple à Erfurt, Kassel ou Leipzig.

Une crise et une chance

Cette crise est aussi une chance : le renouvellement du parti apporte de nouvelles possibilités à l’ensemble de la gauche radicale. Wagenknecht et son camp défendaient des positions incompatibles avec nos principes politiques, par exemple une politique migratoire déshumanisante ou la discrimination des personnes trans. Cette guerre de tranchées n’a plus lieu d’être. Le programme électoral nous donne la possibilité de présenter au grand public d’importantes revendications de gauche, du plafonnement des loyers à l’impôt sur la fortune. Le parti s’est rajeuni et s’est rapproché de la gauche extraparlementaire, comme le montre par exemple la candidature de la militante de Sea-Watch, Lea Reisner, dans la circonscription de Cologne II. Nous avons maintenant une chance de devenir un mouvement qui s’ancre à la fois dans la rue, dans les quartiers et au Parlement.

Quelques jours après l’action à Ostheim, Corinna et Robin se retrouvent à la réunion hebdomadaire de la « Aktive Linke », et expliquent à plusieurs nouveaux et nouvelles la stratégie de la campagne électorale à Cologne. Après s’être concentrés sur Ostheim et Chorweiler à l’automne, les porte-à-porte doivent maintenant être étendus à de nombreux autres quartiers. Cela doit se faire au moins deux fois par semaine, jusqu’aux élections du 23 février. Et en plus, il faudra aussi apposer des affiches de façon tout à fait traditionnelle.

Corinna et Robin tiennent à transmettre un message aux lecteurs de la Sozialistische Zeitung : « Venez à la AktiveLinke si vous habitez à Cologne. Et sinon, demandez à votre section locale comment vous pouvez la soutenir. Nous avons besoin de tous les bras, jusqu’aux élections et même après ! »

Publié par Sozialistische Zeitung en février 2025, traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde

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    La direction de die Linke faisait état le 3 février de 11 000 nouvelles adhésions en deux semaines, ce qui portait le total à 71 000, ndt.

 

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Auteur·es

Michael Schwarz

L’auteur est issu du mouvement pour la justice climatique, a longtemps vécu à « Hambi » (équivalent de Notre-Dame-des-Landes, ndt) et a combattu la destruction du village de Lützerath. Il écrit pour la SoZ depuis 2020 et a adhéré à die Linke à Cologne début 2024.