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États-Unis : Défendons les immigré·es !

par Dianne Feeley
El Gran Paro Americano (la grande grève américaine), Los Angeles, le 1er mai 2006, lorsque plus d’un million d’immigrant·es et leurs sympathisant·es ont protesté contre un projet de loi anti-immigrants au Congrès. De grandes manifestations ont eu lieu à Chicago, New York, Houston et dans de nombreuses autres villes. Le projet de loi n’a pas abouti. Photo par Jonathan McIntosh - Travail personnel, CC BY 2.5, Lien.

Le futur président Donald J. Trump a appelé au « plus grand programme de déportation de l’histoire américaine ». Il s’agit d’une crise sur plusieurs fronts pour des millions d’immigré·s et leurs familles, d’autant plus que Trump a élargi la catégorie des personnes « expulsables ». Il a même menacé de passer outre la Constitution américaine et de mettre fin à la citoyenneté de naissance, qui a été ajoutée à la Constitution après l’abolition de l’esclavage.

Trump diabolise les immigrant·es, affirmant qu’ils empoisonnent, volent, assassinent et prennent les ressources des citoyens. Si les immigrant·es ont quitté leur pays pour diverses raisons, les récits révèlent le désespoir de ceux qui fuient la guerre, la violence, la pauvreté et les catastrophes climatiques.

De nombreux·ses Américain·es pensent que les immigré·es sans papiers devraient être expulsé·es parce qu’ils se sont faufilés hors de la file d’attente pour demander l’asile. Mais il n’y a pas de file d’attente ordonnée ! Le système est cassé, délibérément.

D’autres peuvent être gêné·es par le fait que le pays se diversifie de plus en plus. En 1965, moins de 5 % de la population était née en dehors des États-Unis, contre 15 % aujourd’hui. En outre, près de 90 % des immigrant·es proviennent de pays non européens. Ce pays a eu des frontières ouvertes pendant la majeure partie de son histoire, mais lorsque des Chinois ont été recrutés pour construire le chemin de fer transcontinental, des lois d’exclusion ont été mises en place.

Revendiquant un mandat, l’administration Trump mettra en œuvre une politique anti-immigration sévère dès le premier jour. Bien que les nouveaux responsables n’aient pas fixé d’objectif quant au nombre de personnes qu’ils prévoient d’expulser au cours de la première année, Stephen Miller, le chef de cabinet adjoint de Trump chargé de la politique, parle avec fermeté de fermer la frontière et de procéder à des déportations massives. Cela ne peut se faire qu’en annulant les différentes catégories dans lesquelles la plupart des immigré·es sans papiers bénéficient d’une protection minimale.

Trump utilisera également le commerce comme monnaie d’échange. Sa menace d’imposer des droits de douane de 25 % sur les produits mexicains et canadiens est sa première tentative pour effrayer les autorités canadiennes et mexicaines et les forcer à patrouiller à leur frontière avec les États-Unis. Un mois avant l’investiture de Trump, le gouvernement canadien a proposé 1,3 milliard de dollars canadiens (913,05 millions de dollars) pour renforcer la sécurité à la frontière, afin de se prémunir contre l’augmentation des droits de douane proposée. (Alors qu’un million de personnes tentent de franchir la frontière sud chaque année, moins de 20 000 franchissent la frontière nord). Pourtant, M. Trump continue d’exacerber la rhétorique en demandant que le Canada devienne le 51e État.

Aujourd’hui, sur les plus de 40 millions de résidents qui ont immigré aux États-Unis, environ 11 millions sont sans papiers. Sur ces 11 millions, près de 90 % travaillent, ce qui représente près de 5 % de la main-d’œuvre totale. De nombreux employeurs et secteurs d’activité cherchent déjà des « solutions de contournement » pour leurs employés, mais il existe un risque évident de lier les immigrant·es à un employeur spécifique.

Et malgré tous les discours sur la fermeture des frontières, deux tiers des 11 millions sont arrivés avec un visa d’étudiant, de travail ou de touriste et ont dépassé la durée de leur séjour.

L’héritage Biden

Alors que Trump a dénoncé le bilan de Biden en matière d’expulsions, la réalité est que Biden a expulsé plus de personnes chaque année de sa présidence que Trump. Au cours du premier mandat de Trump, environ 1,2 million de personnes ont été rapatriées.

Au début de la pandémie de grippe aviaire, Trump a ressuscité le titre 42 pour des raisons de santé, mettant fin à toute possibilité d’asile. Cet ordre général a été en vigueur de mars 2020 à mai 2023, chevauchant les administrations Trump-Biden. En fait, sur les 4 677 540 rapatriés sous Biden, 2 754 120 étaient en réalité exclus en vertu du Titre 42. Néanmoins, c’est Obama qui détient le titre de « Déporteur en chef » pour avoir déporté près de trois millions de personnes au cours de son premier mandat et près de deux millions au cours de son second mandat, pour un total d’un peu moins de cinq millions au cours de ses huit années de mandat.

Alors que l’administration Obama s’est concentrée sur l’expulsion des immigrants qui avaient été condamnés pour un crime, Trump a élargi le champ d’action à tous les immigrants sans papiers. Actuellement, environ 40 000 immigrant·es sont en détention, dont près de 80 % sont hébergés dans des prisons privées (principalement au Texas, dans le Mississippi ou en Californie). Thomas Homan, nommé par Trump pour être en charge de la sécurité des frontières, explique que l’administration commencera par déporter les « criminels ». En réalité, selon des chiffres récents, pas plus de 20 à 33% des personnes déportées sont condamnées pour un quelconque crime.

Si, sur le papier, la politique américaine professe des valeurs humanitaires, la nécessité de réunir les familles et encourage l’emploi, le système d’immigration n’a pas été mis à jour pour faire face à la nouvelle réalité des réfugié·es. Voici un aperçu de certaines de ces réalités.

Environ 1,6 million de demandeur·ses d’asile attendent que leur dossier soit examiné. Le temps d’attente moyen est de 4,3 ans. En vertu du droit international, l’asile devrait être accordé à ceux qui craignent de subir un préjudice crédible de la part de l’État s’ils sont renvoyés dans leur pays, mais le gouvernement américain rejette la plupart des demandes d’asile. En 2020, par exemple, l’administration Trump n’en a approuvé que 15 000.

Trois à quatre millions d’autres immigrant·es sont également en attente d’une audience. Lorsque les services de l’immigration et des douanes (ICE) jugent que ces personnes sont en sécurité, ils les remettent à leur famille ou les obligent à s’inscrire à des programmes de surveillance. Développés par l’industrie pénitentiaire privée, ces programmes comprennent les SmartLINKS et les moniteurs de cheville et de poignet.

Au moins 700 000 citoyen·nes de 17 pays différents ayant connu des guerres ou des catastrophes environnementales ont obtenu un statut de protection temporaire (TPS). Ce statut, d’une durée de six à dix-huit mois, est souvent renouvelé. Les demandeurs bénéficiant du TPS reçoivent un permis de travail et sont protégés contre l’expulsion. Si le secrétaire à la sécurité intérieure décide de ne pas renouveler le TPS pour un pays donné, les personnes concernées retrouvent leur statut antérieur. Quatorze des 17 pays devaient faire l’objet d’un renouvellement en 2025, mais M. Biden a reporté la date limite à 2026. Trump a qualifié plusieurs de ces pays, dont Haïti, de « pays de merde ».

Environ 530 000 jeunes sans-papiers qui sont arrivé·es aux États-Unis lorsqu’ils ou elles étaient enfants ont bénéficié d’une protection temporaire dans le cadre du programme DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals, Action différée pour les arrivées d’enfants). Cette politique a été mise en œuvre par l’administration Obama en juin 2012 après plusieurs sit-in et manifestations impressionnants de jeunes immigrés. Comme le TPS, elle fournit une autorisation de travail et protège les bénéficiaires de l’expulsion. Pourtant, les bénéficiaires du DACA n’ont pas de statut légal ni de voie d’accès à la citoyenneté. En fait, il y a jusqu’à trois millions de « Dreamers » qui n’ont pas déposé de demande alors que le DACA acceptait encore des candidats. Bien que ce programme soit populaire auprès d’une majorité d’Américains, il pourrait être supprimé par une décision de la Cour suprême ou par Trump.

Déjà 1,3 million de personnes ont reçu des mesures d’éloignement, mais leur pays n’a pas accepté leur retour. L’équipe de Trump s’efforce de trouver des pays tiers disposés à les accueillir.

Le plan de l’administration entrante ciblera probablement les hommes immigrés - de préférence célibataires - dans les villes où ils peuvent être arrêtés et expulsés : Chicago, Denver, Houston, Los Angeles, Miami, New York, Philadelphie et Washington. L’objectif est de les expulser rapidement avant qu’ils ne puissent faire l’objet d’une action en justice. En 2013, l’ACLU a rapporté que 83 % des personnes expulsées n’avaient pas vu leur affaire entendue par un juge.

Mais même si l’administration Trump ne peut pas expulser toutes les personnes arrêtées, le gouvernement pourrait les retenir en développant rapidement le « soft housing » : Un ancien fonctionnaire a déclaré qu’ils pourraient préparer 25 grands magasins fermés avec des lits de camp, des Port-a-Potties et un approvisionnement alimentaire de base dans les 90 jours. Le gouvernement du Texas a déjà offert 70 terrains de football pour ce type d’hébergement.

Un autre problème auquel se heurte un plan d’expulsion gouvernemental est que les 4,6 millions d’immigrés sans papiers vivent dans des familles à « statut mixte ». Comme certains de leurs membres sont citoyens américains, ces familles ont plus de chances de contester l’expulsion. Une étude portant sur les communautés ayant subi des perquisitions massives sur leur lieu de travail a révélé un traumatisme important au sein de la communauté. Mais la réponse de Tom Homan à une question de CBS News sur la possibilité de procéder à des expulsions massives sans séparer les familles a été froide : « Les familles peuvent être expulsées ensemble ».

Le Conseil américain de l’immigration a estimé que « l’arrestation, la détention, le traitement et l’expulsion d’un million de personnes par an » coûterait 88 milliards de dollars par an. Le Conseil conclut également que les déportations massives réduiraient le PIB américain de 4,2 à 6,8 %, soit de 1,1 à 1,7 billion de dollars (en dollars de 2022) par an. (Le comité éditorial du New York Times a publié un long article soulignant que l’économie américaine a besoin de 1,6 million d’immigrant·es par an pour maintenir sa croissance économique. Il concentre ses suggestions sur un processus ordonné par lequel le monde fournirait aux États-Unis ses membres les plus jeunes et les plus résistants. Les rédacteurs du Timesont commencé l’article en appelant à un renforcement de la « sécurité » aux frontières).

D’après ce que nous savons des précédentes déportations massives dans les années 1930 et 1950, certains immigrant·es se sentiront si peu sûrs d’eux qu’ils s’expulseront d’eux-mêmes. Le Conseil américain de l’immigration estime que l’auto-déportation représente environ 20 % du total, mais je pense que le chiffre pourrait être beaucoup plus élevé - plus proche de 75 %. Une grande partie de la rhétorique de Trump à l’encontre des immigrés pourrait viser à les effrayer pour qu’ils partent.

La menace

Voici quelques-uns des moyens utilisés par le projet 2025 pour mettre en place un plan de déportation :

• La mise en place d’une machine à expulser à l’échelle nationale : Le projet prévoit d’autoriser l’ICE à recourir à l’« expulsion accélérée » contre les immigré·es trouvé·es n’importe où dans le pays. Outre les descentes sur les lieux de travail, il permettrait des descentes dans les écoles, les hôpitaux et les institutions religieuses. L’administration tentera d’utiliser l’Alien Enemy Act de 1798 pour mener à bien son projet, une absurdité puisque les États-Unis ne sont en guerre avec aucun autre pays et qu’il n’y a donc pas d’« étrangers ennemis ». Trump a également laissé entendre qu’il pourrait déclarer une urgence nationale.

• Militarisation des frontières : Le projet 2025 prévoit « l’utilisation de personnel et de matériel militaires » pour empêcher les passages aux frontières. Cela signifie davantage de surveillance et de murs. (Pour 2025, l’ICE dispose d’un budget de 350 millions de dollars, soit 30 millions de plus que l’année précédente. Mais ce budget est insuffisant pour le projet de Trump).

• L’expansion des centres de « détention » des immigrant·es : Le projet prévoit de plus que doubler le nombre d’immigré·es détenu·es alors qu’ils/elles sont menacé·ees d’expulsion. Actuellement, environ 50 000 d’entre eux et elles sont emprisonné·es, la plupart dans des centres privés, d’autres dans des prisons.

• Élimination de programmes : tels que les Programmes de Statut de Protection Temporaire pour les personnes venant de pays où il y a une catastrophe naturelle ou un conflit armé. Établi par le Congrès en 1990, il légalise actuellement le statut de personnes originaires de 16 pays différents pour une période de temps spécifique et renouvelable.

Les groupes les plus importants sont les suivants : 350 000 Vénézuélien·nes, 200 000 Haïtien·nes et 175 000 Ukrainien·nes. Ces personnes ont un statut légal et peuvent travailler tant que le programme est renouvelé. Trump a tenté de se débarrasser du programme au cours de son premier mandat, mais il en a été empêché par une action en justice de l’ACLU. Il ne fait aucun doute qu’il essaiera à nouveau. Le programme DACA pourrait être une autre cible. D’autres programmes pourraient être renforcés, comme les visas H-B1 qui permettent l’entrée de travailleurs étrangers qualifiés, les visas H-B2 qui couvrent les travailleurs à bas salaire, en particulier les travailleurs agricoles et les travailleurs de l’industrie hôtelière (tels que ceux utilisés par les entreprises Trump), ou les visas de regroupement familial. Des factions des partisans MAGA de Trump se disputent le programme HB-1.

• Rendre obligatoires les programmes de vérification du travail: Le projet 2025 étendrait E-Verify, un système mal organisé destiné à prouver que les employés ont le droit de travailler aux États-Unis. Les secteurs de l’agriculture, de la construction et de l’hôtellerie dépendent de la main-d’œuvre immigrée et cherchent déjà des exceptions pour pouvoir continuer à fonctionner.

• L’enchevêtrement des contrôles locaux et fédéraux : Le projet 2025 appelle à l’extension de la participation des polices locales et d’État à l’application des lois fédérales sur l’immigration. Ceux qui s’y refusent risquent de se voir refuser tout financement fédéral, y compris pour les écoles qui enregistrent et éduquent les enfants d’immigrés. Les villes, comtés et États « sanctuaires » qui coopèrent peu avec l’ICE seront sans aucun doute visés.

Que pouvons-nous faire ?

Il existe un certain nombre d’organisations et de syndicats dans tout le pays qui œuvrent depuis des années pour la justice envers les immigré·es. Les socialistes peuvent contribuer à la mise en place de campagnes de soutien à celles et ceux qui ont fui leur pays à cause de la guerre, de la violence - notamment sexuelle -, du manque de travail ou des ravages du changement climatique.

En particulier depuis que la communauté immigrée s’est mobilisée pour rejeter le projet de loi Sensenbrenner, entre 2006 et 2008, les syndicats soutiennent de plus en plus les droits des immigré·es. Les syndicats qui comptent un nombre important de travailleur·ses immigré·es sont notamment SEIU, HERE et UE, et ils ont aidé l’AFL-CIO à les soutenir également. Comme l’a fait remarquer Liz Shuler, présidente de l’AFL-CIO, « Un·e immigré·e ne s’interpose pas entre vous et un bon emploi, c’est un milliardaire qui le fait. C’est un milliardaire qui le fait ».

Les délégations syndicales au Congrès ont insisté sur le fait que la frontière est une distraction par rapport aux problèmes du lieu de travail. Elles soulignent que tous les travailleurs, quel que soit leur statut en matière d’immigration, devraient avoir accès à la pleine protection des lois sur le travail et l’emploi. C’est l’absence d’une telle protection qui crée une « économie souterraine », source d’exploitation et de conditions de travail dangereuses pour ceux qui n’ont pas de statut légal.

Voici quelques suggestions sur la manière dont nous pouvons protéger les personnes sans statut légal :

Les campagnes doivent indiquer clairement aux fonctionnaires que nous nous opposons à ce que les gouvernements locaux et nationaux collaborent avec les autorités fédérales pour mettre en œuvre leurs plans d’expulsion.

Nous devons soulever l’injustice du système d’immigration, qui est conçu pour « échouer », dans nos syndicats et nos organisations communautaires. Cela signifie des discussions individuelles, en soulevant la question de manière concrète lors de réunions et de conférences.

Début janvier, Labor Notes a organisé une réunion en ligne pour les syndicalistes, à laquelle ont participé plus de 200 personnes. Un article citait cinq façons d’aider les membres et incluait le guide du National Immigration Law Center à l’intention des employeurs pour prévenir la persécution des travailleurs, qui suggérait des demandes contractuelles concrètes que le syndicat pourrait proposer. Contrairement à la diabolisation des immigré·es par Trump, notre message de solidarité considère que nos voisins et nos collègues contribuent à construire une société plus forte et plus saine. Ils ont fui des conditions difficiles, souvent à cause des politiques de Washington.

Dans nos communautés, nous devons trouver des moyens de faire savoir aux sans-papiers que nous les soutenons. 
Cela peut prendre la forme de « veilles communautaires », en s’assurant que leurs enfants sont protégés, et d’autres méthodes d’accompagnement.

Publié le 14 janvier 2025 par Solidarity

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Auteur·es

Dianne Feeley

* Dianne Feeley est rédactrice en chef de Against the Current. Elle est ouvrière de l’automobile à la retraite, active au sein d’Autoworker Caravan, un réseau d’ouvriers de l’automobile actifs et retraités qui défendent la démocratie syndicale et une industrie des transports qui n’utilise pas de combustibles fossiles. Elle est également active au sein de Detroit Eviction Defense.