Congrès national du parti Die Linke : Est-ce qu’on va se mettre à faire de la politique autrement ?

par Violetta Bock, Hermann Nehls

Faire de la politique autrement - c’est la grande promesse qui a permis d’obtenir le mandat direct1 à Leipzig et qui a également été mise en avant à diverses reprises lors du congrès du parti. Cela passe entre autres choses par la mise en place d’un fonds de solidarité, par de nombreux contacts au porte-à-porte au cours des prochains mois et par la définition d’un ou deux thèmes prioritaires afin de donner une image de marque plus claire à Die Linke. Dès la conférence de presse du lundi qui a suivi le congrès, les président·es nouvellement élu·es ont annoncé vouloir plafonner leur salaire au revenu moyen de 2850 euros, et l’ouverture d’une permanence sociale à la Karl-Liebknecht-Haus, le siège central du parti..

Le congrès qui s’est tenu du 18 au 20 octobre à Halle a cependant été marqué par des sujets de fond plus controversés. Le climat, les luttes sociales, les problèmes liés à la politique d’asile n’ont pas été les thèmes dominants, car ils font l’objet d’un large consensus. Une motion contre le programme sécuritaire du gouvernement fédéral a été votée à la quasi-unanimité, il n’y avait pas besoin d’en discuter. Die Linke est unanime sur le fait qu’elle ne soutiendra pas le démantèlement des droits fondamentaux et une politique d’asile raciste. En revanche, sur les questions liées à la guerre, sur le Proche-Orient et sur le revenu de base inconditionnel, le besoin de discussion a été beaucoup plus important.

Avant le congrès, Christine Buchholz avait écrit que Die Linke ne parvenait plus à imposer sa marque pour polariser les questions socialement importantes, ni à prendre l’initiative de mouvements et de luttes à l’échelle nationale. Et à les construire. Elle disait que Die linke n’était plus perçue comme une force fondamentalement opposée au capitalisme. Les résultats désastreux des élections au Parlement européen et des élections régionales en Thuringe, en Saxe et dans le Brandebourg en sont la preuve. Dans le même temps, Die Linke connaît une vague d’adhésions sans précédent depuis longtemps. Ces nouvelles et nouveaux membres représentaient également une part importante des plus de 500 délégué·es. Cela s’est particulièrement ressenti lorsque on a vu des amendements obtenir une majorité contre l’avis de la direction du parti. Car dans le débat, ce sont les arguments qui ont compté.

Débat sur le Proche-Orient

Même après ce weeke-end, il n’est pas vraiment possible de savoir quel est le rapport de forces au sein du parti sur cette question. En amont, on a voulu éviter les discussions ouvertes et les votes d’opposition frontale. La crainte était trop grande de voir se répéter un scénario analogue à celui du congrès régional de Berlin une semaine plus tôt, au cours duquel une violente querelle avait éclaté à l’occasion d’une motion sur l’antisémitisme (voir « L’aile réformiste de Berlin en roue tourne »). C’est la raison essentielle pour laquelle la nouvelle direction du parti n’a pas ménagé ses efforts pour proposer une nouvelle rédaction à laquelle les différentes composantes ont été associées.

Une motion a finalement pu être soumise au vote. Elle contient l’exigence d’un cessez-le-feu immédiat en Israël et en Palestine, fait référence à la décision de la Cour internationale de justice concernant la plainte déposée par l’Afrique du Sud dans le cadre de la convention sur le génocide et inclut l’exigence que « la poursuite de la guerre à Gaza et au Liban, contraire au droit international, cesse immédiatement » et que l’Allemagne et l’OTAN cessent de la soutenir en fournissant des armes. Il y est également écrit : « L’injustice que représente l’occupation des territoires palestiniens ne saurait à aucun moment justifier les méthodes de terreur déshumanisante du Hamas – de la même manière que le 7 octobre ne justifie en rien les crimes contre le droit international commis par l’armée israélienne à Gaza ou au Liban ». La motion demande au gouvernement fédéral de reconnaître la Palestine comme un État à part entière dans les frontières de 1967.

C’est certainement au regard du débat en cours au sein de Die Linke Berlin que cette formulation a été adoptée : « Quiconque, au Proche-Orient ou ici, alimente le ressentiment antisémite, remet en question le droit à l’existence d’Israël, incite à la haine contre les personnes juives ou relativise la terreur du Hamas, ne peut être pas plus être un allié pour nous que toute personne qui approuve ou se livre à des agressions et à une propagande racistes, anti-musulmanes ou anti-palestiniennes. Il n’y a pas de place pour l’antisémitisme et le racisme au sein de Die Linke ».

La motion sur le Proche-Orient a été adoptée à une large majorité, de même qu’une motion demandant un soutien à la pétition lancée par différentes ONG « Pour une paix juste à Gaza. Arrêter les exportations d’armes et mettre fin au blocus de l’aide ». Une motion sur la définition de l’antisémitisme a été renvoyée au comité directeur. Ellen Brombacher de la « Plateforme communiste », qui faisait partie du groupe de négociation, a déclaré : « Je suis heureuse que notre parti soit solidaire à la fois avec le peuple palestinien et avec les Juifs et les Juives. Les deux vont de pair, le fil conducteur est l’humanité ». Il est évident que la proposition adoptée est en grande partie une formulation de compromis qui détermine désormais le cadre de la position de Die Linke. Mais ce qui comptera vraiment, c’est la capacité de Die Linke à participer davantage et avec des positions plus claires aux manifestations et aux cadres unitaires.

Texte de référence

Lors du débat sur le texte de référence, qui a également été adopté à une large majorité, les délégué·es ont suivi pour l’essentiel les recommandations de vote de la commission des résolutions (tout comme le congrès a généralement suivi les propositions du comité directeur du parti, souvent modifiées par de nombreuses reformulations lors des votes sur les amendements). Le texte de 613 lignes de la résolution principale, intitulée « À contre-courant », reste assez général et se termine par un plan de mesures concrètes avec les élections au Bundestag en perspective. L’objectif principal est de réintégrer le Parlement, en se concentrant sur certains thèmes, comme par exemple le plafonnement des loyers. Quelques propositions d’amendement ont été adoptées, comme celles du groupe de travail « Entreprise et syndicat » sur l’Union européenne ou encore une formulation de l’introduction plus incisive proposée par Solid, l’organisation de jeunesse. De nombreux amendements ont également été déposés sur le thème de la guerre et de la paix. Des procédures de vote compliquées ont parfois fait obstacle à des décisions claires. La question de savoir si Die Linke parviendra à nouveau à être perçue comme une force de paix sans équivoque reste ouverte. Cela a été beaucoup plus clair lorsque l’appel de Berlin contre le déploiement d’armes à moyenne portée a été adopté en tant que motion séparée.

Revenu de base inconditionnel

L’issue du congrès du parti sur cette question était incertaine. Un vote des adhérent(e)s à l’automne 2022, auquel environ un tiers d’entre eux avaient participé, était favorable à l’intégration de cette revendication dans le programme. Le comité directeur du parti avait proposé une formulation en ce sens. Après un débat animé, cette proposition a toutefois été rejetée tandis qu’une motion hostile au revenu de base était également retirée. Le programme d’Erfurt reste donc en vigueur et il n’y a pas de prise de position favorable au RBI mais plutôt en faveur d’un revenu minimum garanti.

Comité directeur du parti

Jan vanAken (88%) et Ines Schwerdtner (79,7%) ont été élu·es comme nouveau·elles président·es du parti. Jan a réussi à interpeller les délégué·es en commençant par « Je m’appelle Jan et je pense qu’il ne devrait pas y avoir de milliardaires ». Il a continué en expliquant que ceux qui possèdent des milliards ont pris cet argent à d’autres. Concrètement, il a fait le calcul en prenant l’exemple de la milliardaire Klatten. Une intervention d’une petite-fille de ses anciennes femmes de ménage l’a confirmé. Par ailleurs, le temps réservé aux questions ouvertes a été occupé par de nombreuses demandes concrètes adressées aux nouveaux présidents. Ils n’ont pas pu y répondre dans le court laps de temps imparti, mais pour certaines questions, comme la position sur le génocide au Proche-Orient, ils ont probablement délibérément omis de le faire.

Au comité directeur, toutes les tendances et sensibilités présentes dans le parti sont représentées. Il y a des représentant·es de l’aile gauche historique au sein du comité directeur élargi. Il s’agit notamment de Thies Gleiss, Nina Eumann et Ulrike Eifler, qui a joué un rôle important dans la préparation des conférences syndicales pour la paix à Hanau en 2023 et à Stuttgart en 2024. Il revient maintenant au nouveau comité directeur de faire en sorte que le parti redevienne une force significative. Dans un premier temps, il semble que l’accent soit mis sur les élections au Bundestag. Avec son « opération boucles d’argent », Gregor Gysi (76 ans, ancien président du parti) a laissé présager qu’avec Bodo Ramelow et , Dietmar Bartsch, ils allaient se battre pour des mandats directs afin d’assurer le retour de Die Linke dans l’enceinte du Parlement. On ne peut pas encore vraiment parler de renouveau.

Cette perspective se trouvait plutôt du côté de l’invitée surprise Sarah-Lee Heinrich, ancienne porte-parole nationale des Jeunes Verts, lorsqu’elle a parlé de la nécessité d’une politique de classe et de son envie de se rapprocher de Die Linke.

D’une manière générale, on peut au moins noter que le congrès n’a pas fait l’objet d’une mise en scène spectaculaire qui, par le passé, s’est souvent soldée par le raccourcissement du temps consacré aux débats généraux. Plutôt que de célébrer un énième nouveau départ, ce fut plutôt l’occasion de poser des jalons stratégiques. C’est pour cela que beaucoup quand on leur a demandé quel bilan ils et elles tiraient, ont répondu, par un pragmatique « Die Linke est toujours là ».

Publié en novembre 2024 par Sozialistische Zeitung, raduit par Pierre Vandevoorde

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    Siège obtenu par le candidat qui obtient personnellement le plus de voix dans une circonscription lors d’une élection législative, même si son parti n’a pas atteint le seuil de 5 % qui donne accès à la représentation proportionnelle.