Un monde au bord de l’effondrement : comment sommes-nous tombés dans les griffes de l’extrême droite ?

par Hani Adada

Le spectre de l’extrême droite s’étend au-delà de l’Europe et des Amériques, en Inde et à une longue liste de pays à travers le monde, jusqu’au petit Liban où des groupes fascistes émergent. Cet article étudie le contexte historique et économique entourant la montée mondiale de l’extrême droite. L’article ayant été publié en juillet dernier, il ne tient pas compte des événements ayant eu lieu depuis. 

La montée de l’extrême droite soulève une nécessaire comparaison avec la vague de fascisme et de nazisme qui a déferlé sur l’Europe et sur d’autres parties du monde au siècle dernier, poussée principalement par la faillite de régimes néolibéraux à assurer la stabilité économique et le bien-être social.

La rhétorique de l’extrême droite se focalise souvent sur l’incapacité des gouvernements à traiter les questions d’immigration, les questions de sécurité et les questions économiques ; et l’extrême droite a l’habitude de se présenter elle-même comme une alternative forte et claire qui représente « tout le peuple » alors qu’elle s’en prend délibérément aux groupes sociaux les plus vulnérables, en présentant ces dernières attaques comme la seule solution.

L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en 2017 et celle de Jair Bolsonaro au Brésil en 2019 ont fourni un bouclier aux mouvements d’extrême droite aux Amériques et ailleurs dans le monde et une incitation à renforcer leur activité dans les pays européens où le discours du nationalisme raciste relève à nouveau la tête. Mais on ne peut réduire tous ces développements à un choc des volontés ou des idées, ou les situer dans le cadre d’un « combat entre le bien et le mal », ni les considérer comme des phénomènes transitoires, car on ne peut pas les séparer de la structure profonde et complexe du système global capitaliste.

Extrême droite et racisme

En Europe, on constate une montée spectaculaire de partis extrémistes comme l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le Rassemblement National (RN) en France, Fratelli d’Italia et la Ligue (Lega) en Italie, ainsi que d’autres partis et groupes de droite, particulièrement en Europe de l’Est où le Parti droit et Justice (PiS) en Pologne a inauguré la montée de la droite populiste en remportant 27 % des suffrages en 2005 et en participant à la formation d’un gouvernement de coalition.

En 2012, en Grèce, Aube dorée a réussi à rentrer au Parlement en profitant de la crise financière, avant que son accession au pouvoir ait été contrecarrée et démantelée. Ces partis ont gagné du crédit en exploitant les craintes de la population européenne vis-à-vis des flux migratoires importants auxquels le continent a été confronté ces dernières années, tout en essayant de reconfigurer les identités nationales en un nationalisme européen commun et en promouvant un nationalisme étroit au sein des pays et des sociétés de l’Union européenne.

Le spectre de l’extrême droite s’étend au-delà de l’Europe et des Amériques à des pays tels que l’Inde où le Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi – le plus grand parti au monde, avec 180 millions d’adhérents – se nourrit de la rhétorique nationaliste hindoue et bénéficie d’un large soutien populaire parmi ceux qui sont mécontents pour des raisons économiques et sociales.

La liste est longue à travers le monde, jusqu’au Liban où de petits groupes fascistes émergent, dans certaines zones, sous couvert de la religion, comme si on n’avait pas assez à faire avec les chefs de guerre qui tiennent le pouvoir depuis plus de trente ans et qui ont provoqué les plus grandes dévastations institutionnelles que le pays ait connues.

Les élections législatives françaises : signification historique et danger imminent

En dépit de la « défaite » du Rassemblement national de Jordan Bardella et Marine Le Pen lors des dernières élections législatives en France, le Nouveau Front populaire (NFP) de la gauche, dirigé par Jean-Luc Mélenchon, est arrivé en tête des résultats avec 182 sièges, alors qu’Ensemble, la coalition du Président français Emmanuel Macron, est arrivée en seconde place avec 168 sièges.

Le fait que le Rassemblement national ait remporté 143 sièges alors qu’il n’en avait remporté que 89 en 2022 – soit une augmentation de 54 sièges (voir Graphique n°1) – est une cause de préoccupation et non d’optimisme excessif. Ces résultats reflètent la popularité grandissante du Rassemblement national, qui ne ménage aucun effort pour attaquer le front de la gauche et prétendre que celle-ci a été défaite, alors que le rapport des forces au sein du Parlement montre l’existence d’un blocage politique. Personne n’a la majorité absolue de 289 sièges qui autoriserait à gouverner sans les autres forces, à mettre en œuvre son programme et à le transformer en politiques concrètes ; le blocage atteindra son point culminant au moment du vote du budget.

La victoire temporaire et limitée du front de la gauche repousse mais n’élimine pas la menace de l’extrême droite. L’absence de majorité absolue à l’Assemblée rend difficile la formation d’un gouvernement soudé capable de prendre des mesures économiques et sociales décisives et rapides, ce qui stimule et renforce la popularité de l’extrême droite. Le camp centriste de Macron portera une responsabilité historique s’il ne s’allie pas avec le front de gauche autour d’un « programme minimum » pour traiter les questions urgentes et sortir la France de la détérioration de sa situation.

En dépit de sa victoire soudaine et précieuse, le front de la gauche n’est pas soudé et sa base populaire n’est pas assez large. La mise en place du Nouveau Front populaire s’est produite dans un contexte de réaction populaire en même temps importante et ambiguë, face à la possibilité que le Rassemblement national conquière le pouvoir et face à la mauvaise gestion de Macron. Le manque de cohésion interne du NFP va offrir à Macron des marges de manœuvre pour former une coalition avec des partis de centre-gauche pour constituer un gouvernement « modéré », en utilisant à son avantage les différences qui existent entre les composantes de la gauche et le rejet par certains de ces partis des mesures « radicales » défendues par les radicaux du Nouveau Front populaire1 .

Les manœuvres de Macron pourraient affaiblir la coalition immature de la gauche et renforcer les chances de l’extrême droite de poursuivre sa progression constante, que sa défaite temporaire n’a pas entravée, en particulier s’il n’y a toujours pas de réponses aux causes concrètes du développement de la base populaire du Rassemblement national.

Cependant Macron dispose de possibilités qui ne sont pas directement dirigées contre le NFP : il peut appeler à la constitution d’un gouvernement de technocrates, évitant des divisions susceptibles de renforcer l’extrême droite, pour augmenter ses chances de gagner les prochaines élections. Considérant les équilibres actuels, si Macron ne répond pas à la revendication de Mélenchon de démission du gouvernement et de formation d’un nouveau gouvernement des partis de gauche, le moindre mal pour la gauche serait d’accepter un gouvernement de technocrates qui lui épargnerait beaucoup de soucis et sauvegarderait sa capacité à mobiliser plus pour la phase suivante.

Le système global et la montée de l’extrême droite

Les crises périodiques du système capitaliste global provoquent la perte de millions d’emplois, la casse des services publics, l’augmentation de la pauvreté et de l’inflation. Beaucoup de gens oublient que les troubles économiques et sociaux qui s’étendent sur de longues périodes constituent le principal élément qui conduit les masses à adopter des idées et des solutions radicales ; lorsque beaucoup de gens se mettent à la recherche de boucs émissaires et qu’il n’y a rien de plus facile que de les convaincre que les questions économiques proviennent des « autres », étranger·es ou immigré·es, au lieu de se focaliser sur les contradictions du système capitaliste.

C’est ainsi que l’extrême droite gagne le soutien d’une grande partie des travailleurs et travailleuses, des pauvres et de la classe moyenne, qui se sentent menacé·es et anxieux et non parce qu’iels seraient intrinsèquement racistes, comme certains écrits essaient de le « prouver ». Ce n’est pas un hasard si les plus importantes montées historiques de l’extrême droite au cours du 20e siècle ont coïncidé avec les krachs de 1921 et 1929, et si de nouveau au cours du siècle actuel cela a coïncidé avec les krachs de 2007 et 2020.

La majorité frustrée a toujours tendance à se tourner vers les extrêmes en s’attaquant aux groupes les plus faibles, au lieu de se tourner vers la révolution sociale et de cibler les structures du système existant, pour de nombreuses raisons, dont les plus importantes sont la faiblesse des organisations du mouvement social et l’absence de discours politique révolutionnaire, confrontées à l’hégémonie des idéologies réactionnaires et des nombreux courants intellectuels qui constituent un parapluie sous lequel peuvent s’abriter des régimes et des autorités, comme le nihilisme, le pragmatisme et le « post-modernisme » de toute sorte.

Les idées ont besoin d’une base matérielle pour grandir et devenir une nouvelle réalité, exactement comme les graines ont besoin d’un sol approprié, d’eau, d’air et de lumière pour pousser. Il ne suffit pas de croire en certaines idées pour les transformer en force matérielle qui, à son tour, modifie la réalité – cela ne fonctionne pas sans un engagement dynamique, vivant et conscient lié aux conditions objectives. L’extrême droite utilise très bien les circonstances actuelles pour répandre et généraliser des idées fascistes et racistes. Elle trouve des victimes désignées, qui sont abondantes dans un monde où les migrations croissent de pair avec les crises économiques, environnementales, avec les guerres ; où les immigré·es et les minorités sont les maillons les plus faibles de la chaîne.

La réussite de l’extrême droite dans sa diabolisation de ces groupes joue un rôle crucial dans l’augmentation de sa popularité, en nourrissant le ressentiment contre eux, en les dépeignant comme une menace pour l’identité nationale et en leur faisant porter le chapeau pour l’augmentation du chômage, la criminalité et le déclin des services publics. Sa méthode qui consiste à s’adresser à un public à la recherche de solutions rapides et peu compliquées est fondée sur une simplification excessive des questions et l’ignorance de leurs causes, et la solution magique qu’elle offre repose sur l’exclusion, la marginalisation et la promotion de récits nationalistes et ethniques plus radicaux.

La faillite du capitalisme

David Harvey, géographe renommé et membre de l’Académie britannique pour la Promotion des Études historiques, philosophiques et philologiques, souligne que le capitalisme est trop gros pour faire faillite (« too big to fail ») mais, en même temps, trop gros pour survivre ; en dépit des sévères critiques2  de la part des marxistes contre sa conviction que le renversement du capitalisme conduirait à l’arrêt de la production et que 80 % de la population mondiale connaîtrait la faim, et que tout ce que l’on peut faire aujourd’hui c’est d’essayer de gérer le système d’une manière différente.

Cette critique est pertinente dans la mesure où Harvey ignore le débat vivant entre marxistes sur un pilier fondamental de la théorie socialiste lié à la manière de décentraliser la gestion des unités de production, afin qu’elles soient organisées et gérées d’une manière décentralisée par les travailleur·ses elleux-mêmes. En d’autres termes, Harvey ferme les portes de la pensée, du débat et même de l’imagination et contourne également la question de l’auto-organisation de la classe ouvrière, mettant un trait d’égalité entre révolution sociale et famine. En faisant cela, Harvey tombe dans le déterminisme historique, un piège dans lequel les communistes de l’Union soviétique et plus généralement du bloc de l’Est sont tombé·es à de nombreuses reprises.

En même temps, quelques-un·es des critiques de Harvey, dans leurs tentatives de prouver qu’iels sont plus marxistes que cet « universitaire révisionniste » restent aveugles à un paradoxe central et matériel soulevé par Harvey. Il s’agit du fait que le système capitaliste existant, en dépit de sa flexibilité et de sa capacité à se renouveler (même sous des formes désespérées qui élargissent les inégalités sociales et la pauvreté), en dépit de sa domination politique et sociale absolue et des liens directs entre le mouvement du capital et la vie de milliards de gens, ce système est incroyablement brutal et en route vers le suicide.

Celles et ceux qui ne prennent pas la peine d’aller au fond des choses peuvent considérer ce paradoxe comme l’une de ces inévitables déclarations sur la prétendue date d’expiration du système politique et social, mais si l’on adopte une perspective plus réaliste, cette contradiction majeure du système global peut être comprise comme la confirmation de l’existence de lois qui gouvernent le mouvement social, de lois générales qui gouvernent la marche de l’histoire, à travers lesquelles sont générés les phénomènes sociaux et les événements politiques  majeurs. Même s’ils ne conduisent pas à la fin inéluctable du système, ce point de vue peut également expliquer la montée de l’extrême droite dans le monde.

Une droite « globalisée »…

Pour comprendre ce phénomène, globalement ou à partir de l’exemple de la montée du fascisme et du nazisme dans les années 20 et 30 en Europe, il faut aborder tous les angles possibles et expliquer les relations entre les facteurs directs et indirects. Mais une analyse complète et objective nécessite d’examiner d’abord la réalité historique et les contradictions à l’œuvre dans le système capitaliste global, qui se traduisent par des crises récurrentes et de plus en plus graves.

La montée de l’extrême droite ne peut pas être réduite à une cause mécanique due à la règle énoncée par Newton selon laquelle « pour chaque action existe une réaction égale et opposée ». On ne peut pas non plus séparer les trajectoires ascendantes de l’extrême droite à travers le monde. Ces courants qui sont hostiles à tout ce qui est international se sont « internationalisés » pour atteindre leurs objectifs nationalistes et chauvins.

Ils soutiennent des dirigeants autoritaires, haïssent la démocratie sous toutes ses formes, considèrent les groupes ethniques, les immigré·es et les syndicats comme une menace pour « la souveraineté des nations » ; ils voient dans la somme totale des objectifs fanatiques qu’ils cherchent à atteindre dans chaque pays un projet de droite global et unitaire fondé sur une coopération mutuelle pour promouvoir la division ; ils comparent leur combat pour expulser les « outsiders » et leurs différentes traditions et manières de vivre, juste parce qu’elles existent sans être imposées à quiconque, à un combat contre des « cancers » qui menacent le style de vie des « nations supérieures ».

Ces courants cherchent aussi à unifier au plan international les grands éléments de leurs programmes politiques pour démanteler, abolir ou affaiblir toutes les unions parlementaires entre États, les alliances économiques et monétaires, les traités commerciaux, ainsi que les organismes et organisations régionales et transnationales.

Nous pouvons dire que nous sommes confronté·es à un nouveau phénomène que l’on pourrait appeler la « droite internationaliste » ou encore « l’internationalisme réactionnaire ». Son projet est de s’unifier pour en finir avec toutes les formes d’unité, obtenir une révision de tous les accords de coopération économique et commerciale d’un point de vue très conservateur, augmenter les dépenses militaires, liquider les politiques environnementales par déni du changement climatique, s’opposer aux vaccins sur la base du déni de l’épidémie, en finir avec les politiques d’intégration au lieu de les développer et de les réévaluer, et essayer d’éliminer les acquis démocratiques et les acquis sociaux socialistes qui sont toujours vivants dans de nombreuses sociétés.

…et une gauche « nationalisée »

En face, la gauche est confrontée à une fragmentation sans précédent, au point qu’elle a commencé à perdre son caractère internationaliste sous l’influence, d’une part, de la pénétration de courants nationalistes et libéraux (tout récemment ce qu’on appelle parfois le « mouvement woke » et l’extension des politiques identitaires fondées sur la perpétuation d’identités fondamentales et l’attaque contre les fondements de l’action collective dans l’espace public en transformant des identités étroites en positions politiques) et, d’autre part, de la prolifération indiscriminée d’organisations internationalistes.

Cela attire l’attention et soulève la question de la capacité de la gauche internationaliste à être réellement démocratique. Les scissions constantes et la naissance d’organisations encore plus « internationalistes » avec des idées et des aspirations qui ne diffèrent pas fondamentalement de celles qui les ont précédées indiquent un retranchement rigide sur des identités fondées sur une similitude absolue et une pureté idéologique qui ne peuvent être ni contestées ni critiquées, pas même débattues.

Cela contraste avec le mouvement ascendant de l’extrême droite qui organise des conférences internationales en toute coopération et solidarité en dépit des divergences politiques, comme ça a été récemment le cas à Bruxelles où les dirigeant·es de l’extrême droite populiste européenne se sont rassemblé·es sous l’égide du think tank Edmund Burke (un think tank américain et conservateur) avec comme slogan : « La Conférence nationale conservatrice : préserver l’État-nation en Europe »3 .

Le mouvement d’extrême droite ne se contente pas de se focaliser sur la dimension politique. Il travaille à construire des réseaux culturels globaux avec une couverture « centrée » et « démocratique » pour promouvoir ses théories, ses idées et ses valeurs parmi les jeunes et divers groupes, pas le biais de diverses initiatives collectives d’hommes et de femmes politiques de droite, d’universitaires et d’investisseurs, dont la dernière en date a été l’annonce du lancement de « l’Alliance pour une citoyenneté responsable » à l’initiative de Jordan Peterson, Philippa Stroud, John Anderson et Paul Marshall, à Londres, en juin 2023.

Ces initiatives ont pour but de créer un terrain commun avec des secteurs et groupes sociaux qui rejettent a priori les idées d’extrême droite. Bien entendu, les pratiques libres et démocratiques sont garanties par les statuts. Mais elles visent à étendre la base de masse et le soutien à des forces qui sont hostiles à la démocratie, à la diversité culturelle et ethnique, aux libertés publiques et privées. Ou, au moins, à réduire le niveau d’hostilité de ces secteurs aux idées d’extrême droite.

Le contexte historique de la montée de l’extrême droite

Lorsque l’on parle du mouvement de l’histoire, la montée de l’extrême droite ne peut pas être réduite à une réaction à la « crise » des réfugié·es et de l’immigration et l’on ne peut tenir pour acquis le lien entre les deux. Cette affirmation peut être réfutée de manière simple en rappelant les causes directes de la montée de l’extrême droite et de la progression du nationalisme radical il y a une centaine d’années, alors qu’il n’était pas question de crises des réfugié·es et de l’immigration ; mais où les causes de la montée de l’extrême droite étaient bien plus prononcées, à commencer par la récession consécutive à la Première Guerre mondiale, en 1921, dans la plupart des pays industrialisés (voir le graphique n° 2), qui a culminé lors de la Grande Dépression de 1929 avec l’effondrement de la Bourse américaine (voir le graphique n°3) et qui a duré jusqu’en 1939.

Graphique 2 L’indice industriel Dow Jones entre janvier 1918 et janvier 1923. Cet indice a connu un pic à 119,6$ le 3 novembre 1919 et un creux à 63,9$ le 24 août 1921, soit une chute de 47 %. Source : Macrotrends / Wikipedia.

Graphique 2 - L’indice industriel Dow Jones entre janvier 1918 et janvier 1923. Cet indice a connu un pic à 119,6$ le 3 novembre 1919 et un creux à 63,9$ le 24 août 1921, soit une chute de 47 %. Source : Macrotrends / Wikipedia.

On peut voir une similitude, à un degré ou autre, entre la situation économique globale de la période 1921-1939 et celle de la période 2007-2020, alors que le monde a connu deux perturbations économiques à grande échelle dans cette dernière période, en 2007 et 2020.

Graphique n° 3 L’indice industriel Dow Jones entre janvier 1920 et décembre 1954. L’indice a connu un pic le 3 septembre 1929 en clôturant à 381,17$. L’indice a baissé jusqu’au 8 juillet 1932, où il a clôturé à 41,22$. L’indice n’a pas récupéré sa valeur d’avant le krach avant le 23 novembre 1954. Sources : Federal Reserve History / Wikipedia.

Graphique n° 3 - L’indice industriel Dow Jones entre janvier 1920 et décembre 1954. L’indice a connu un pic le 3 septembre 1929 en clôturant à 381,17$. L’indice a baissé jusqu’au 8 juillet 1932, où il a clôturé à 41,22$. L’indice n’a pas récupéré sa valeur d’avant le krach avant le 23 novembre 1954. Sources : Federal Reserve History / Wikipedia.

La crise financière de 2007 était la plus importante depuis 1929, avec un effondrement global des marchés financiers (voir graphique n° 4). Alors qu’en 2020, l’impact sur l’économie globale de la pandémie de Covid-19 a été catastrophique, provoquant une récession globale, une baisse importante des marchés financiers (voir graphique n° 5) et le plus grand confinement de l’histoire. La récession, pour la première fois depuis la Grande Dépression de 1929, a touché toutes les économies développées et en développement ainsi que les marchés émergents. On peut également considérer le délai très court qui s’est écoulé entre les deux crises successives, à la fois au siècle passé et au siècle actuel, ce qui prouve qu’elles étaient le principal catalyseur de la montée de l’extrême droite.

Les pays en développement ont payé le prix le plus élevé pour les crises de 2007 et 2020, qui ont doublé l’immigration liée au travail vers les économies les plus avancées. L’afflux de nombreux·ses immigré·es, particulièrement celleux pourvu·es de spécialités professionnelles, techniques ou autres, qui ont des salaires plus bas et des horaires de travail plus importants, ont aidé à préserver les économies des pays riches d’effondrements plus sévères ; mais cela a aussi contribué à ce que l’extrême droite trouve un terrain solide pour répandre son message et accroître son influence politique.

Graphique 4 S&P500 (New York), FTSE100 (London), CAC40 (Paris), DAX (Frankfurt). D’octobre 2007 à février 2009, l’indice S&P500 a perdu plus 50 % de sa valeur, FTSE100 plus de 30 % de sa valeur, le CAC 40 plus de 40 % de sa valeur et l’indice DAX plus de 40 % de sa valeur. Source : ResearchGate.

Graphique 4 - S&P500 (New York), FTSE100 (London), CAC40 (Paris), DAX (Frankfurt). D’octobre 2007 à février 2009, l’indice S&P500 a perdu plus 50 % de sa valeur, FTSE100 plus de 30 % de sa valeur, le CAC 40 plus de 40 % de sa valeur et l’indice DAX plus de 40 % de sa valeur. Source : ResearchGate.

Graphique 5 - S&P500 (New York). Comparaison entre les crises de 2007-2009 et de 2020. L’indice tombe à un minimum de 57 % en 2009, alors qu’il tombe de plus de 30 % entre février et mars 2020. Source : Banque de la Réserve fédérale de Saint-Louis.

Les exemples précédents montrent que les facteurs économiques sont la base objective commune, dans le monde physique réel, sur laquelle s’est construite la montée de l’extrême droite aux 20e et 21e siècles. Il faut prendre en compte les changements profonds qui se sont produits depuis une centaine d’années dans les structures politiques, sociales et économiques, et comment ces changements se sont reflétés dans les manifestations idéologiques, aussi bien de la gauche que de la droite à travers le monde, particulièrement après une longue période de domination des courants centristes et réformistes.

De nombreux courants « extrémistes » ont été capables d’entreprendre des analyses complètes, dont les résultats variaient en fonction des différences d’objectifs généraux et des différences dans les tactiques et les méthodes de confrontation – jusqu’à, par exemple, créer des niveaux de racisme différents selon les groupes, les pays ou les régions au sein d’un même pays, ou selon les diverses branches d’une même organisation de droite, en fonction de l’environnement avoisinant ou de facteurs politiques et de « sécurité ».

Tous les courants extrémistes de droite ont accepté la démocratie parlementaire bourgeoise jusqu’à un certain point et peut-être temporairement, jusqu’à ce qu’ils s’emparent du contrôle total de la société et de l’État à travers ces mêmes mécanismes démocratiques. Ainsi, en dépit d’analogie des circonstances historiques entre les périodes 1921-1929 et 2007-2020, il ne faut pas voir la montée de l’extrême droite comme la terne répétition d’évènements historiques antérieurs.

La montée de l’extrême droite au 20e siècle : le nazisme en Allemagne

L’exemple le plus célèbre de la manière dont l’extrême droite a utilisé le processus démocratique pour conquérir sa légitimité et, ensuite, démanteler de l’intérieur les institutions démocratiques, est l’arrivée au pouvoir du Parti nazi d’Adolf Hitler par des élections législatives, en 1932. En dépit de la défaite d’Hitler lors de l’élection présidentielle, les nazis ont été capables de faire passer au Reichstag, le 23 mars 1933, la loi d’habilitation qui donnait les pleins pouvoirs au gouvernement du Reich et au chancelier d’État Hitler, qui a succédé à Hindenburg après la mort de celui-ci.

Même si les nazis ne disposaient pas d’une majorité parlementaire, le bloc nazi était suffisamment fort pour perturber le travail législatif, en articulation avec l’intimidation, la répression et la violence politique que les groupes nazis pratiquaient à l’extérieur du Parlement. Avant le vote sur la loi d’habilitation, les nazis ont arrêté et fait disparaître les 81 députés du Parti communiste allemand (KPD), de même que certains députés du Parti social-démocrate (SPD), alors qu’un certain nombre de députés réussissaient à s’enfuir d’Allemagne. Seulement 94 parlementaires sociaux-démocrates purent voter contre la loi, avant d’être persécutés et arrêtés, sur 647 députés (voir graphique n° 6).

Le climat de terreur politique conduisit les partis centristes à voter en faveur de la loi, même si celle-ci autorisait Hitler à passer une loi dissolvant tous les partis politiques et empêchant la formation de nouveaux partis politiques, le 14 juillet 1933.

Parti DéputésPourContreAbsents
Parti naziNSDAP288288
Parti social-démocrateSPD1209426
Parti communisteKPD8181
Centre73721 
Parti populaire national allemandDNVP5252
Parti populaire bavaroisBVP1919
Deutsche Demokratische Partei (Parti démocrate allemand)DStP55
Service populaire chrétien-socialCSVD44
Parti populaire allemandDVP211
Deutsche Bauernpartei (Parti des fermiers allemands)DBP22
Reichslandbund(Ligue agricole) 11
Total 647444 (68.62%)94 (14.53%)109 (16.85%)

Graphique n°6 - Vote de la loi d’habilitation de 1933. Source : Wikipedia.

Cependant, ce qui s’est produit en Allemagne n’est pas le résultat d’un choc des idées et des idéologies où les masses allemandes auraient adopté le nazisme par conviction. Le contexte économique et social qui a favorisé la propagation de ces idées et fait que les masses désespérées attendaient un héros comme Hitler, ne peut pas être négligé. Si le Parti communiste dirigé par Ernst Thälmann avait été mieux organisé et plus conscient du danger nazi, alors le sort de l’Allemagne et celui du monde auraient pu être différents et la Seconde Guerre mondiale et ses grandes destructions auraient pu être évitées.

La montée des nazis n’est pas sortie de nulle part ; elle a été le résultat de la rhétorique et de l’action des nazis au cours d’une période de déclin économique qui a affecté l’ensemble du monde, et l’Allemagne particulièrement. Il faut bien noter que les nazis utilisaient la démocratie et ont progressé graduellement au cours des années (voir graphique n° 7) avant d’être capables de prendre le pouvoir et de saper la démocratie parlementaire, ce qui nous ramène à l’exemple mentionné ci-dessus de la montée continue du Rassemblement national français, malgré sa défaite temporaire qui a repoussé le danger dans le temps bien plus que l’éliminer.

Graphique 7 Résultats des élections fédérales en Allemagne de 1919 à 1938. Source : musée de l’Holocauste de Montréal.

Graphique 7 - Résultats des élections fédérales en Allemagne de 1919 à 1938. Source : musée de l’Holocauste de Montréal.

Les bases sociales du nazisme

La classe moyenne, particulièrement les petits et moyens commerçants, comme les employés gouvernementaux et les agriculteurs, ont constitué la colonne vertébrale du Parti nazi. Après la Première Guerre mondiale, l’Allemagne a été confrontée à une crise économique sévère, avec d’un côté une hyperinflation et une dévaluation significative du reichsmark et, de l’autre, de hauts niveaux de chômage, des millions de soldats revenant de la guerre ayant perdu leur emploi. En 1919, le Traité de Versailles avait imposé à l’Allemagne de céder 68 000 km2 de territoire (peuplés de 8 millions d’habitant·es, entourés de zones riches en ressources naturelles) et de payer aux Alliés victorieux d’énormes compensations financières. Et puis, en 1929, est arrivée la crise de la Grande Dépression qui a éliminé tout espoir de reprise économique et a grandement empiré la situation.

Après être parvenu au pouvoir, Hitler a mis en œuvre une série de mesures radicales qui ont réussi à réduire le taux de chômage en créant de nombreuses opportunités d’emplois, profitant du fait qu’une Allemagne dévastée et épuisée après la guerre était un terrain fertile pour des projets publics, ce qui a massivement accru sa popularité mais a coïncidé avec des mesures répressives contre les organisations de la classe ouvrière allemande.

L’action des nazis pour affermir leur pouvoir

La base matérielle de la montée de l’extrême droite existait en Allemagne avant la crise de 1929. La Grande Dépression a assuré sa montée en puissance et le mouvement nazi est devenu irrésistible. Très rapidement, le gouvernement nazi a dissous les syndicats libres, a interdit le droit de grève et imposé de sévères restrictions aux droits des travailleur·ses. Le 2 mai 1933, les SA (Sections d’assaut, Sturmabteilung), l’aile paramilitaire du Parti nazi, a occupé tous les sièges des syndicats, arrêté leurs dirigeants, les a emprisonnés ou envoyés dans des camps de concentration où beaucoup ont été sévèrement torturés. Les fonds syndicaux – l’argent des travailleurs – ont été confisqués ; les anciens responsables syndicaux ont été mis sur liste noire, afin de les empêcher de retrouver un emploi.

Les mesures économiques comprenaient le lancement de construction d’infrastructures à grande échelle comme le programme d’autoroutes, la réduction des impôts et l’augmentation des dépenses publiques de financement des mégaprojets, en particulier dans les domaines de la défense et de l’armement, la création de nombreux emplois supplémentaires et la mobilisation d’une grande partie de la jeunesse au sein de l’armée.

D’un autre côté, le gouvernement de Hitler a imposé une politique destinée à empêcher l’accueil des immigré·es et a impulsé la persécution des juifs et d’autres minorités, qui ont été chassés de leurs emplois, ce qui a créé plus d’opportunités de travail pour les Allemands « aryens », tout en réduisant le « coût des soins » en exterminant les handicapé·es, y compris des nouveaux-né·es, à travers le « Programme Euthanasie », qui n’avait strictement rien de charitable. Ils ont été jusqu’à inciter les enfants, à travers le système éducatif, à les persécuter (voir graphique 8). Toutes ces mesures radicales avaient pour but de transformer l’Allemagne en une grande usine de guerre en préparation de la Seconde Guerre mondiale, en dépit des énormes pertes humaines et matérielles dues à son implication dans la Première Guerre mondiale.

Graphique 8 Un exercice de mathématiques dans une école de l’Allemagne nazie, qui dresse les élèves contre les handicapé·es et les présente comme un fardeau financier pour l’État et la société.  Source : Bibliothèque Wiener de l’Holocauste. Combien coûte la prise en charge des malades héréditaires ? Cela coûte	Ils doivent y consacrer leur salaire annuel 1 an d’hôpital	2 travailleurs 7 ans de maison d’éducation	4 travailleurs 10 ans d’asile d’aliénés	10 travailleurs

Graphique 8 - Un exercice de mathématiques dans une école de l’Allemagne nazie, qui dresse les élèves contre les handicapé·es et les présente comme un fardeau financier pour l’État et la société. Source : Bibliothèque Wiener de l’Holocauste.
Combien coûte la prise en charge des malades héréditaires ?
Cela coûte    Ils doivent y consacrer leur salaire annuel
1 an d’hôpital    2 travailleurs 
7 ans de maison d’éducation    4 travailleurs 
10 ans d’asile d’aliénés    10 travailleurs

Le fascisme italien au 20e siècle

Les circonstances historiques de la montée en Italie du Parti national fasciste (PNF) dirigé par Benito Mussolini sont similaires à celles de son correspondant nazi en Allemagne dirigé par Adolf Hitler, et leur alliance pendant la Guerre mondiale était la preuve de la possibilité de l’unification des forces de l’extrême droite autour d’objectifs communs, en dépit de leur fanatisme extrême. Mais les étapes de développement et de maturation du mouvement fasciste en Italie vers la dictature et le colonialisme sont différentes et peuvent être divisées en quatre phases.

L’idéologie nazie est fondée sur la supériorité de la race aryenne et la haine de la démocratie, prônant l’exclusion et le contrôle des autres peuples, ainsi que la persécution des minorités « qui n’ont pas le droit de vivre », même si la démocratie parlementaire a été utilisée, à une certaine étape, pour atteindre ses objectifs.

De son côté, le fascisme italien était moins focalisé sur la question raciale et ne contient pas le même niveau de haine raciale que l’idéologie nazie dès ses débuts. Il est davantage focalisé sur la nécessité de construire un « État fort » et de contrôler la société à travers l’unité nationale et le parti unique.

Le mouvement fasciste s’est constitué immédiatement après la Première Guerre mondiale, dans un contexte économique assez semblable à celui de l’Allemagne. Le Traité de Versailles (1919), qui ne garantissait aucun gain territorial à l’Italie, était une carte entre les mains de Mussolini pour s’en prendre à la France et à la Grande-Bretagne, à qui il a déclaré la guerre après avoir affirmé son alliance avec Hitler lors de la Seconde Guerre mondiale.

La classe petite-bourgeoise était la principale base de masse du Parti national fasciste, mais peu de temps après avoir pris le pouvoir, le parti a pris la décision de supprimer toutes les libertés publiques et politiques, ce qui a suscité un ressentiment de la part de la majorité des masses italiennes. Mais cela n’a pas dissuadé Mussolini dans la mesure où l’État fasciste était une dictature absolue sur l’ensemble des classes sociales et non un État qui garantissait la domination d’une classe sociale particulière au détriment des autres classes, même si le processus de son instauration était lié à une certaine alliance de classes.

La construction de l’État fasciste

La première phase de la montée du fascisme (1919-1922) était caractérisée par une rhétorique démagogique fondée sur la combinaison du sentiment nationaliste du peuple italien, considéré comme un tout, et l’instrumentalisation des divisions politiques et sociales et de la détérioration de la situation économique. Mussolini défendait la nécessité de restaurer la « grandeur italienne » et s’est débrouillé pour convaincre une partie du peuple italien, particulièrement la petite bourgeoisie, que l’on pouvait atteindre cet objectif en s’affrontant aux courants de gauche et socialistes et en attaquant les organisations syndicales et ouvrières. À partir de ce moment, les fascistes ont commencé à organiser des protestations de masse, parfois violentes, à la fois contre le gouvernement italien et contre les forces de gauche et ouvrières.

Au cours de la seconde phase (1922-1925), Mussolini a dirigé une marche de masse depuis Naples jusqu’à Rome, avec la participation de 40 000 de ses miliciens, forçant le Roi Victor-Emmanuel III à le désigner pour former un nouveau gouvernement. Immédiatement après avoir pris le pouvoir, Mussolini a commencé à consolider son pouvoir en changeant les lois et en restreignant les libertés publiques et politiques, à commencer par la mise en œuvre d’une nouvelle loi électorale. Le discours fasciste s’est alors focalisé sur la nécessité de la « stabilité » de l’État, qui visait à justifier la suppression des manifestations populaires et des grèves ouvrières qui étaient les seuls moyens qui subsistaient pour s’opposer à la transformation de l’Italie en dictature fasciste.

Lors de la troisième phase (1925-1935), Mussolini a consolidé la dictature et étendu le système de censure pour couvrir tous les aspects de la vie publique et politique, abolir tous les autres partis politiques, comme l’avait fait son allié Hitler en Allemagne après sa prise du pouvoir, pour finalement fusionner le Parti national fasciste avec l’État policier.

Après avoir imposé la « stabilité » par la répression et la violence politique, Mussolini est passé à la quatrième phase (1935-1940), celle de la promotion de « l’expansion » pour confirmer « la grandeur de la nation italienne », il a rejoint l’axe des pouvoirs fascistes et s’est allié avec les nazis et les Japonais. Il a établi un partenariat politique et militaire avec Hitler, principalement pour renforcer ses capacités militaires. L’invasion de l’Éthiopie en 1935 était la première étape. L’entrée de l’Italie fasciste dans la Seconde Guerre mondiale aux côtés de Hitler a suivi, Mussolini ayant déclaré la guerre à la Grande-Bretagne et à la France en 1940. Cette guerre inégale a apporté la mort et la destruction aux Italien·nes, même si la plupart d’entre eux n’étaient pas convaincus de l’orientation du dirigeant fasciste et de ses rêves morbides.

Il est important de noter que le parti néofasciste Fratelli d’Italia, dirigé par la Première ministre Georgia Meloni, a pris ses distances avec Mussolini mais, en même temps, utilise des slogans hérités de son époque. Beaucoup de ses membres partagent les idées, les visions et l’héritage du fascisme de Mussolini.

La droite radicale : passé et présent

Au 20e siècle, la montée de l’extrême droite a pris un virage fasciste, anti-communiste et anti-démocratique. Sa manifestation la plus éminente a été l’unification de différentes classes sous le drapeau du suprémacisme raciste et de la recherche de la « grandeur de la nation ». Les gouvernements d’extrême droite ont utilisé la répression à grande échelle pour éliminer toutes les voix dissonantes. Cela a facilité des alliances profondes entre ces gouvernements et les classes bourgeoises qui ressentaient une menace existentielle et pensaient que leur seul moyen de survivre était de coopérer avec des forces politiques ascendantes.

Au siècle dernier, l’ascension de l’extrême droite était limitée par les particularités locales des caractéristiques économiques, dans le contexte des crises globales. À l’opposé, les crises actuelles du capitalisme globalisé sont caractérisées par l’intensité, la violence et la capacité à se répandre sur de grandes étendues. Cela induit une montée simultanée de forces d’extrême droite sur plusieurs continents avec différents niveaux de puissance.

Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux aident comme jamais les forces d’extrême droite à répandre des idées racistes et fascistes, principalement en exploitant les tensions sociales montantes et les troubles résultant de l’augmentation de la pauvreté, du chômage et des crimes, les arrivées d’immigré·es et de demandeurs d’asile, les réductions d’impôts pour les riches et les grandes entreprises, la fiscalité verte (qui est l’essentiel des politiques environnementales néolibérales), des privatisations massives d’un côté et, de l’autre, l’austérité.

L’extrême droite ne devient pas acceptable aux yeux des masses en s’appuyant sur la persuasion et le dialogue. Elle exploite le sentiment d’injustice sociale, qui est le résultat des crises structurelles du système capitaliste global et transforme des évènements – les « petits » crimes individuels, le terrorisme ou les guerres – en occasions d’excitation violente contre les communautés immigrées, les minorités, et les groupes les plus vulnérables. La montée de l’extrême droite n’est plus limitée au continent européen, qui était historiquement son plus important centre de pouvoir et qui voit ces mouvements se développer intensément depuis vingt ans : la popularité et l’influence de ces mouvements augmentent de manière spectaculaire sur l’ensemble du globe.

La montée de l’extrême droite va constituer une menace grandissante pour les acquis sociaux et politiques conquis par la classe ouvrière et les classes intermédiaires au cours de plus d’un siècle de luttes, en dépit du lourd prix payé par des millions de personnes. Cela nécessite une confrontation efficace et consciente impliquant toutes les forces possibles. Maintenant plus que jamais, nous devons revenir aux écrits de Léon Trotski sur le « Front unique »4  et sur comment forger de larges alliances contre la montée du nazisme et du fascisme, pour aujourd’hui construire l’unité contre la montée du néonazisme et du néofascisme avec, si possible, des dirigeant·es de gauche qui soient clair·es sur leurs buts et leurs intentions.

Le 13 juillet 2024

Cet article a été publié le 13 juillet 2024 sur le site libanais Daraj Media. Traduit de l’anglais par François Coustal, la version anglaise de l’original en arabe ayant été revue par l’auteur.

  • 1Cette prédiction ne s’est pas réalisée, mais notons tout de même que le NFP a mis beaucoup de temps à se mettre d’accord sur une candidature de Première ministre et que ses dissensions restent très importantes. NDLR.
  • 2 the bankruptcy of academic “Marxism” », in Defence of Marxism, 25 juin 2020.
  • 3Non sans susciter les dénonciations et la mobilisation du mouvement antifasciste belge, dont les pressions avaient poussé les organisateur·ices à devoir déplacer le lieu de la conférence en dernière minute, NDLR.
  • 4Lire Comment comprendre le Front unique ? Le gauchisme, la malédiction de l’époque des Révolutions, Paul d’Amato (note de l’auteur sur la version arabe).