
La semaine dernière, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé en grande pompe un plan de réarmement de l’Europe face au danger russe et à l’imprévisibilité du gendarme historique américain. Une nouvelle augmentation sans précédent des dépenses militaires européennes : jusqu’à 800 milliards sur quatre ans. Pour ce faire, il est proposé d’assouplir les règles omniprésentes de la discipline budgétaire, en permettant aux Vingt-Sept de s’endetter ; de nouveaux prêts aux États seront encouragés par la réforme de la Banque européenne d’investissement (BEI) et les gouvernements seront même autorisés à détourner vers les dépenses militaires l’argent destiné aux fonds de cohésion. Ce qui n’a jamais été possible pour construire une Europe sociale l’est désormais pour construire une Europe de la guerre.
Un « plan de réarmement » de plusieurs milliards de dollars sera approuvé et géré en dehors du contrôle parlementaire du Parlement européen. C’est ainsi qu’Ursula von der Leyen a décrété le caractère exceptionnel de la situation, en utilisant, de manière assez contestable, l’article 122 du traité sur le fonctionnement de l’UE pour contourner le Parlement européen. Cette militarisation accélérée de l’esprit européen par décret a non seulement bénéficié du soutien unanime des gouvernements des 27 États membres de l’UE, mais aussi de la quasi-totalité des groupes parlementaires européens. En plus de se plaindre de la manière dont il a été approuvé, en contournant le Parlement européen, ils ont accueilli favorablement le plan de réarmement européen de la Commission. Un véritable consensus en faveur de la guerre.
Mais aucun groupe n’a autant changé en si peu de temps que les Verts. Fondés en tant que parti anti-guerre, ils sont devenus ces dernières années de fervents défenseurs du réarmement et de la militarisation de l’Europe. En effet, en réponse à la proposition de réarmement de von der Leyen, les Verts ont fait valoir la « nécessité d’investissements urgents en matière de défense » et se sont félicités du fait qu’« il y a enfin des propositions concrètes ». Ces déclarations sont comme le jour et la nuit par rapport à leur manifeste fondateur (1980) : « La politique étrangère des Verts est une politique de non-violence […] La non-violence ne signifie pas se rendre, mais assurer la paix et la vie par des moyens politiques plutôt que militaires […] Le développement d’un gouvernement civil fondé sur la valeur directrice de la paix doit aller de pair avec le début immédiat de la dissolution des blocs militaires, en particulier de l’OTAN et du Pacte de Varsovie ».
Il est passé de la proposition de « démanteler l’industrie allemande de l’armement et de la convertir à une production pacifique » à la participation au gouvernement qui a le plus augmenté le budget militaire de l’Allemagne depuis la Seconde Guerre mondiale. Encore lors de la campagne des élections fédérales allemandes de 2021, les Verts ont insisté sur le fait que les armes ne devaient pas être fournies aux belligérants d’un conflit. À peine un an plus tard, la ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock, a présenté le nouveau double langage des Verts : « Les livraisons d’armes contribuent à sauver des vies ». D’un parti plus pacifiste que vert à une force politique plus militariste qu’écologiste.
Des dépenses publiques sans précédent dont on ne sait toujours pas comment elles seront financées. Pour l’instant, la Commission a suggéré d’assouplir les règles de contrôle budgétaire pour que les dépenses militaires ne soient pas comptabilisées dans le déficit, de faciliter de nouveaux emprunts pour permettre un plus grand endettement et même de détourner les fonds de cohésion. Mais il s’agit là de mesures à court terme. Comme l’a assuré le président de la Commission, à un moment donné, les gouvernements devront réduire leurs déficits pour revenir à l’ajustement budgétaire. Car l’activation de la clause de flexibilité budgétaire pour augmenter rapidement les dépenses signifie qu’à moyen terme, ils devront accommoder leur budget, soit en augmentant les impôts, soit en réduisant les dépenses sur d’autres postes. Comme l’a souligné le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte , dans un discours au Parlement européen : « Les pays européens dépensent facilement jusqu’à un quart de leur revenu initial pour les pensions, la santé et les systèmes de sécurité sociale, et nous n’avons besoin que d’une petite fraction de cet argent pour renforcer la défense de manière beaucoup plus importante ».
Un véritable changement de paradigme qui vise non seulement à augmenter les dépenses d’armement, mais aussi à promouvoir une réindustrialisation militaire de l’Europe, comme l’a soutenu l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, dans son rapport intitulé « Un plan pour l’avenir économique de l’Europe ». Car, comme l’affirme Draghi : « Dans un monde où nos rivaux contrôlent une grande partie des ressources dont nous avons besoin, nous devons avoir un plan pour sécuriser notre chaîne d’approvisionnement - des minerais essentiels aux batteries et à l’infrastructure de recharge ». Une vision de la défense européenne définie dans la boussole stratégique qui n’est plus basée sur le maintien de la paix, mais sur la protection des infrastructures critiques, la sécurité énergétique, le contrôle des frontières et la protection des « routes commerciales clés ». En d’autres termes, il s’agit de protéger les intérêts européens tout en assurant l’« autonomie stratégique » de l’UE.
La remilitarisation est ainsi devenue la clé de voûte du nouveau projet « Europe puissance » dans le contexte de la polycrise mondiale, complétant le constitutionnalisme de marché qui a prévalu jusqu’à présent par un pilier sécuritaire plus renforcé. L’invasion impérialiste de Poutine a permis à l’opinion publique de se rassembler sur la base de la construction d’un fort sentiment d’insécurité. Une stratégie de choc, avec des tambours de guerre en arrière-plan, est utilisée par les élites européennes non seulement pour atteindre leur objectif de longue date d’intégration militaire européenne, mais aussi pour renforcer un modèle de fédéralisme oligarchique et technocratique.