La mobilisation antifasciste contre les trois lois de contre-réforme constitutionnelle du gouvernement Meloni s’amplifie à juste titre: le «premierato» [ élection directe du/de la Président du Conseil] qui rend le parlement inutile, le nouveau dispositif de la justice qui soumet le pouvoir judiciaire au contrôle de l’exécutif, «l’autonomie différenciée» [la constitution de 20 régions, avec un accroissement du développement inégal : un référendum abrogatoire avec 770’000 signatures et 500’000 online vient d’aboutir] qui détruit la République. Ce sont des lois qui renversent formellement toute la structure de notre démocratie, après qu’elle ait déjà été substantiellement remise en cause par l’austérité et la guerre. Si ces contre-réformes autoritaires devenaient opérationnelles, la Constitution née de la Résistance serait supprimée en Italie, ce qui convient évidemment aux néofascistes qui sont au gouvernement, et la République aurait un régime similaire à celui d’Orban ou de Milei.
Mais il manquait encore à cette construction réactionnaire une pièce, celle des lois de police adaptées au nouveau dispositif constitutionnel. Cette dernière pièce de l’Etat autoritaire et fascistoïde que le gouvernement Meloni est en train de construire est le projet de loi 1660 (DDL 1660), signé – et ce n’est pas un hasard – par les ministres Piantedosi, Nordio et Crosetto, projet plus connu sous le nom de décret pour la Sécurité. Cette loi commencera son parcours parlementaire dans quelques jours avec l’intention déclarée du gouvernement Meloni de combler un vide normatif dans ladite prévention efficace des actes, du sabotage et des formes de conflit perçus comme «subversifs». Dans un ensemble de mesures qui vont de la protection des renégats de la mafia [pentiti] à la réglementation des feux d’artifice, se mêlent de véritables mesures liberticides qui ont comme objectifs de frapper les grèves, la contestation, de mécontentement social, les manifestations et les luttes.
Tout d’abord, le projet de loi 1660 introduit le néologisme de «terrorisme de la parole». Cette loi, qui ne concerne manifestement que les opinions, prévoit une peine de deux à six ans pour quiconque possède ou diffuse, sous forme écrite ou orale, des textes susceptibles d’«inciter» à des actes ou à la résistance contre des administrations, des institutions, des services publics ou des biens d’utilité publique. Il est clair qu’une telle mesure vise à frapper ceux qui sont aux côtés de la Palestine, ceux qui veulent la paix et ceux qui soutiennent les luttes sociales et environnementales. Il s’agit d’une nouvelle version du crime de propagande subversive du code fasciste [de 1930] Rocco, en vertu duquel les antifascistes étaient emprisonnés même sur la base de soupçons. Et il est encore plus grave d’envisager ce délit d’opiniondans le cadre des campagnes maccarthystes du «squadrisme» [référence au mouvement paramilitaire attaquant avec violence les mouvements sociaux animés par les socialistes et communistes après la Première Guerre Mondiale] médiatique, qui vise déjà les intellectuels et les militants dérangeants. Instaurer le crime de terrorisme d’expression renvoie à une authentique orientation fasciste.
L’article 7 (du DDL 1660) prévoit de nouvelles normes pour la révocation de la citoyenneté, et on peut imaginer comment et contre qui elles seront utilisées. On le découvre tout de suite à l’article 8 qui, en matière de sécurité urbaine, prévoit des modifications substantielles du code pénal pour lutter contre l’occupation «arbitraire» des biens immobiliers. Les sans-abri, les expulsés des logements ainsi que ceux/celles qui les aident à ne pas se retrouver à la rue seront punis d’une peine d’emprisonnement de deux à sept ans. Et la police pourra les arrêter à tout moment. La loi et l’ordre pour la défense de la propriété et contre les pauvres.
L’ancien délit fasciste de blocage des routes qui sanctionnait les marches et les grèves est perfectionné. L’article 10 punit d’une peine d’emprisonnement de six mois à un an ceux qui ne respectent pas l’interdiction d’approcher ou d’accéder aux installations de transport ferroviaire, tandis que l’obstruction du trafic routier est assortie d’une clause aggravante spéciale prévoyant une peine d’emprisonnement de six mois à deux ans si plusieurs personnes bloquent le trafic de manière coordonnée sur n’importe quelle route, même les portes d’une usine.
Les articles 12 et 13 expriment toute la haine du gouvernement Meloni pour les pauvres et les conflits sociaux, qui s’est déjà manifestée par l’abolition du revenu de citoyenneté. L’article 12 abolit le sursis obligatoire à l’exécution pour les femmes enceintes et les mères d’enfants pendant les trois premières années de la naissance de l’enfant. Les mères pauvres accouchent en prison, le «garantisme» [assurer les droits et libertés fondamentaux contre tout abus de ceux qui exercent le pouvoir] s’applique aux patrons et aux politiciens, pas à elles. L’article 13 concerne les pauvres qui mendient, qui doivent disparaître pour ne pas nuire à la bienséance urbaine. Les maires auront aussi de nouveaux pouvoirs pour effacer les désagréments provoqués par la visibilité des pauvres… alors que la pauvreté augmente!
Bien sûr, Piantedosi, Nordio et Crosetto, avec la bénédiction de Salvini, se déchaînent contre les migrant·e·s . L’article 19 de la loi définit de nouvelles mesures de police dans les lieux de détention et d’accueil, sans distinction entre les deux catégories [les Centri di Accoglienza-CDA pour les migrants en attente d’identification pour ouvrir la possibilité de rester; les CPR-Centri di permanenza per i rimparti, les migrants «arrivés irrégulièrement» peuvent y «rester» 18 mois, avant d’être expulsés].
Depuis la loi Bossi-Fini [datant du 30 juillet 2002 pour «discipliner, encadrer l’immigration» et organiser les expulsions], les migrant·e·s sont considérés comme des criminels en tant que tels. La nouveauté judiciaire consiste en un durcissement de la peine pour ceux qui participent aux manifestations à l’intérieur des centres, en prévoyant une peine de un à quatre ans pour la simple participation, puis jusqu’à huit ans avec des circonstances aggravantes et jusqu’à vingt ans s’il y a des blessés parmi les personnes impliquées dans un hypothétique affrontement.
Toute loi liberticide doit donner plus de pouvoir et d’impunité à la police. Le chapitre 3 du DDL1660 traite de la «protection» de la police, des forces armées et même des pompiers, qui sont de plus en plus militarisés contre leur propre volonté. La peine est augmentée d’un tiers en cas de violence, de menace ou même de simple résistance à l’égard d’un fonctionnaire public. Y compris des infractions mineures aux yeux des agents eux-mêmes suffisent pour être inculpés. Un slogan, un regard jugé menaçant, et vous serez lourdement inculpé. Tous les membres des forces de police pourront alors posséder et porter des armes privées, en plus de leurs armes officielles, sans avoir besoin d’un permis. Des centaines de milliers de citoyens et citoyennes de la République auront donc le droit à une arme en toute liberté, sans devoir se soumettre aux permis auxquels tout le monde est soumis. Une menace pour la sécurité de tous, un choix très grave, violent, à la manière du Far West, de la part du gouvernement Meloni.
Parmi les dernières dispositions, bien sûr, l’habituel anathème contre les comportements protestataires, notamment écologistes, qui utilisent un peu de peinture, souvent totalement effaçable. La sanction est plus grave si un site institutionnel est visé, ce qui constitue une atteinte à l’honneur et au prestige des institutions. Et la peine est aggravée en cas de récidive, avec des peines plus lourdes pouvant aller jusqu’à trois ans et une amende pouvant aller jusqu’à douze mille euros. Enfin, l’article 23 accorde une attention particulière au renforcement des instruments de contrôle social, justifié par la nécessité de prévenir le risque de subversion de l’ordre démocratique. Bref, contrôle politique et espionnage, comme dans tout régime autoritaire qui se respecte.
En 1925, Mussolini promulgue l’ensemble des lois qui établissent formellement la dictature après l’assassinat de Giacomo Matteotti [député socialiste, assassiné à Rome le 10 juin 1924] ordonné par Mussolini lui-même. En 1930, le code pénal de Rocco a donné une assise juridique complète à l’ensemble. Ces dernières années, des lois ont été produites qui ont affecté la démocratie, la liberté et les droits, souvent avec une autorité bipartisane. Aujourd’hui, le gouvernement Meloni les reprend toutes et les aggrave, avec un ensemble de nouvelles lois fascistes ayant trait au gouvernement, au système judiciaire, à l’autonomie différenciée, auxquelles s’ajoute maintenant le projet de loi 1660, une loi propre à un Etat policier.
Le 24 juin 2014, nous serons sur la place de Montecitorio, puis nous continuerons. Nous devons arrêter le gouvernement Meloni avant qu’il ne soit trop tard.
Giorgio Cremaschi – né en 1947 – a été engagé, de 1977 à 2012, dans les rangs de la FIOM, jusqu’à en devenir secrétaire général. En 2015, après avoir quitté la CGIL (la FIOM s’inscrivait dans le CGIL), il a rejoint le syndicalisme de base, soit l’USB. Il milite actuellement à Potere al Popolo et dans l’Unione Popolare.