Quelles sont les raisons de la grève nationale de la Central Unitaria de Trabajadores (CUT) du 11 avril ?
Le diagnostic qui s'est dégagé du congrès de la CUT, tenu en janvier, est qu'il existe au Chili une alliance politique entre une droite et un patronat qui ne permettent pas les réformes dont le Chili a besoin pour avancer et un gouvernement qui, face à ce chantage, cède, parce qu'il s'est montré, en termes politiques, beaucoup plus centriste ou même de droite que ce à quoi tout le monde s'attendait.
Lors de notre congrès, nous avons élaboré une stratégie visant à sortir de cette impasse politique et la « grève nationale active » d'aujourd'hui fait partie de cette rupture dans laquelle la CUT a un rôle important à jouer.
Nous sommes parvenus à un accord sur cette ligne de conduite avec la plupart des syndicats et avons rendu public notre « manifeste social » de 11 revendications qui sont à l'origine de la grève et qui sont liées, avant tout, au débat national sur les salaires.
Aujourd'hui, les Chilien·nes ont besoin d'un salaire de subsistance bien supérieur au minimum actuel de 500 000 pesos (490 euros) par mois pour survivre. Une famille de quatre personnes, dont une seule travaille, a besoin d'un minimum de 630 000 pesos (616 euros).
Notre manifeste demande un plan national pour l'emploi et, en outre, nous demandons le renforcement de l'éducation publique, le droit à un logement décent et une réforme structurelle du système de santé qui permette des soins décents et complets.
Les travailleurs des transports publics exigent un tarif social et accessible pour le Transantiago et tous les transports publics du pays. Depuis longtemps, nous discutons également de l'orientation du développement du Chili, basée sur la décentralisation économique, qui crée une plate-forme pour l'industrialisation uniforme de l'ensemble du pays.
Comment voyez-vous le rôle de l'État ?
Nous pensons que l'État devrait jouer un rôle beaucoup plus proactif, avec son propre plan pour l'emploi, y compris la débureaucratisation des mécanismes d'investissement public et l'accent mis sur une infrastructure routière nationale.
En d'autres termes, le ministère des Travaux publics doit devenir un moteur de développement économique qui ne dépend pas uniquement du grand capital, mais qui utilise les ressources dont dispose l'État.
Nous pensons que cela peut parfaitement se faire en utilisant la capacité de production des PME (les petites et moyennes entreprises représentent 47 % de l'activité totale des entreprises) et des coopératives (avec deux millions de membres représentant 10 % de la population et actives principalement dans les secteurs de l'épargne, du crédit et de l'énergie).
Il a été dit que la grève était dirigée contre la droite, qui entrave la mise en œuvre des réformes avec l'aide des milieux d'affaires qui s'y opposent, mais s'agit-il également d'une grève contre le gouvernement ?
Notre objectif est de sortir de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons entre une droite qui fait obstacle au changement et un gouvernement qui lui cède. Donc, plutôt que d'être contre le gouvernement, nous voulons qu'il revienne au contenu initial de ses réformes, dont nous voulons soutenir la mise en œuvre.
En même temps, il est clair que le gouvernement a eu de sérieuses difficultés à s'engager avec les organisations sociales. Il ne suffit pas de s'asseoir avec les syndicats et les organisations territoriales. Il faut aussi les écouter et intégrer leurs revendications dans la mise en œuvre des politiques publiques.
En ce sens, la grève est dirigée contre un système politique qui n'a pas beaucoup progressé dans la résolution des problèmes concrets qui sont restés ancrés depuis la flambée sociale de 2019-21.
Après le 4 septembre 2022 et la défaite du projet de nouvelle constitution lors du référendum, le mouvement social a été démoralisé, car nous n'avons pas su évaluer correctement l'ensemble du processus.
Les exigences sociales formulées dans le projet constitutionnel ne correspondaient pas aux attentes des Chiliens. C'est pourquoi, lors du congrès de la CUT, nous avons estimé qu'une grève nationale était nécessaire.
Je ne pense pas que la prolifération excessive de revendications, aussi légitimes soient-elles, soit bénéfique au processus si elles ne sont pas articulées d'une manière qui nous permette de remettre en question la pratique politique. Il ne s'agit pas de coller des revendications disparates.
Il s'agit maintenant de pousser le système politique à laisser de côté ses « discussions et ses querelles » et à écouter le mouvement social et, en fin de compte, le peuple chilien.
Lorsque vous avez remis un exemplaire du manifeste social au palais présidentiel, vous avez été malmené par la police fédérale. Le gouvernement vous a-t-il founi une explication ?
Aucune à ce jour. Ni à la CUT, ni à moi personnellement.
Ce n'est pas un comportement que l'on peut attendre d'un gouvernement progressiste et, de plus, c'est la deuxième fois que la police nous agresse alors que nous essayons de remettre une lettre, ce que nous avions le droit de faire dans le cadre de notre dialogue avec le gouvernement.
C'est inquiétant, à la veille de cette action de grève, mais j'espère sincèrement que le gouvernement a retenu la leçon et que le ministère de l'intérieur sera plus prudent dans ses actions, car ces organisations représentent un large éventail de l'activisme social et ont des membres responsables qui doivent être respectés.
Nous ne pouvons qu'espérer que la police, en particulier ses unités spéciales, comprendra nos intentions pacifiques et verra peut-être même notre protestation comme étant en fin de compte bénéfique pour elle-même, d'autant plus que des questions telles que le plan de sécurité nationale font partie du manifeste et contiennent une demande d'amélioration des conditions de travail et des salaires du personnel de la police.
Il s'agit donc d'une proposition large et nous espérons qu'elle sera bien accueillie dans les rues.
Propos recueillis par Ursula Fuentes Revera, publié par Portside le 11 avril 2024.
Eric Campos est secrétaire général de la CUT. La CUT, la Centrale unitaire des travailleurs du Chili, a été fondée en 1953. Elle a été supprimée à la suite du coup d'État de 1973 et refondée en septembre 1988.
Ursula Fuentes Rivera écrit pour El Siglo (le Siècle), le journal du Parti communiste du Chili, fondé en août 1940.