Le référendum du 12 mai s’est soldé par un échec spectaculaire pour la Démocratie chrétienne et le MSI (Mouvement social italien – mouvement néo-fasciste). La proposition d’abolition de la loi sur le divorce a été rejetée par une majorité très nette (environ 60 % des électeurs). Les résultats sont encore plus significatifs si l’on considère quelques données particulières : à Turin, les non ont atteint les 80 %, à Gênes (malgré le tapage fait par les réactionnaires autour de l’enlèvement du juge Sossi par les Brigades rouges) les 75 % ; même à Naples, où les monarchistes avaient triomphé en 1946 et où les fascistes se sont efforcés dés années durant de se construire une place forte, les anti-divorcistes ont été battus. Toutes les craintes d’un déplacement en faveur du oui, même parmi les électeurs du Parti Communiste italien (les bureaucrates du parti avaient eux-mêmes avancé cette hypothèse pour justifier leur cours modéré) se sont avérées fausses. La démocratie chrétienne a subi un revers : l’Église a dû vérifier à quel point son emprise est tombée dans le pays catholique par excellence. Le pape n’a pas caché sa déception : il ne s’attendait pas à cela de la part de l’Italie « bien-aimée ».
Les résultats du référendum s’expliquent fondamentalement par deux facteurs, l’un structurel, l’autre politique. Au cours des vingt dernières années, l’Italie a été bouleversée par un exode rural massif, par l’émigration interne et l’émigration internationale. Cela a impliqué des changements très profonds dans les mœurs et la mentalité même des couches les plus arriérées, qui ont joui au moins relativement de l’amélioration du niveau culturel. En deuxième lieu, le pays a été profondément marqué par la montée de 1968 qui n’est pas encore épuisée. Ceux qui ont voulu le repousser en arrière ont constaté que leur entreprise était irréalisable.
En ce qui concerne la signification plus conjoncturelle des résultats du référendum, nous publions l’éditorial de Bandiera Rossa, organe de la section italienne de la IVe Internationale, daté du 20 mai 1974.
L’opération lancée par les secteurs les plus réactionnaires de la bourgeoisie pour gagner une tête…, je parle de petite-bourgeoise et du lumpen-prolétariat dans une perspective anti-ouvrière, a fait faillite. La victoire massive des non au référendum a démontré, en même temps, que la classe ouvrière avait compris la portée politique d’ensemble de l’affrontement et que des secteurs importants de labour géoisie elle-même n’étaient pas disponibles pour des opérations cléricalo-fascistes, qu’ils considéraient irréalisables dans un pays marqué profondément par la montée ouvrière de 1968 et des années suivantes et par la mobilisation et la maturation politique des couches sociales les plus diverses.
Maintenant, la bourgeoisie doit enregistrer une aggravation de sa crise en ce qui concerne aussi bien les solutions à court terme que les perspectives de longue haleine. La formule gouvernementale ne sera pas, sans doute, remise en discussion dans les semaines prochaines. Toutefois, la crise inévitable de la direction de la Démocratie-chrétienne et l’attitude plus agressive des socialistes (qui considèrent que le résultat du référendum constitue une compensation des concessions qu’ils avaient dû accepter sur le terrain économique), déterminent une situation précaire qui ne pourra pas s’éterniser.
Quant aux solutions à long terme, d’un côté, la bourgeoisie ne peut pas renoncer à son effort de faire payer à la classe ouvrière les frais de la crise structurelle. (et de la crise conjoncturelle qui s’annonce dans des délais rapprochés) et elle doit donc relancer une ligne d’attaque contre les revendications des masses. Mais la faillite de l’opération visait à la conquête d’une base de masse réactionnaire, aussi bien que la crise de l’appareil d’État l’obligeait à reconstruire ex novo une hypothèse de renforcement de l’exécutif dans une situation défavorable. De l’autre côté, même une cooptation éventuelle du Parti communiste italien dans le giron gouvernemental ou directement dans le gouvernement, représenterait une perspective de trêve politique, mais pas de trève sociale, ni de stabilisation, dans la mesure où le problème du pouvoir d’achat, des salaires et de l’emploi sont de plus en plus pressants, dans un contexte national et international de plus en plus défavorable à des opérations réformistes d’envergure.
En ce qui concerne la seule formation politique qui a appuyé ouvertement le secrétariat de la Démocratie chrétienne dans la campagne du référendum, le MSI, la défaite d’une campagne électorale basée sur un rappel à l’ordre et à la discipline (ce rappel a été accompagné par des initiatives provocatrices, mais en l’occurrence tout-à-fait secondaires), aura pour conséquence une relance des ultras. Le problème de l’autodéfense et d’une riposte dure aux provocations fascistes reste donc à l’ordre du jour.
En ce qui concerne les réformistes, il est évident que le résultat du 12 mai les stimulera à prendre des initiatives. Le PCI s’efforcera de relancer sa politique de « compromis historique » et le PSI de favoriser une telle évolution en élevant en même temps le prix de sa coopération gouvernementale. Toutefois, les bureaucrates se trouveront dans une situation contradictoire : d’un côté, ils devront sauvegarder leur image « civilisée et démocratique » dans l’optique de la « paix sociale » – ce qu’ils ont fait durant la campagne électorale, concrètement en bloquant les luttes ouvrières – ; d’un autre côté, ils ne pourront pas s’aliéner leur base ouvrière qui a vu dans le référendum un affrontement politique et qui sera impulsée par le résultat à hausser le le tir et à s’offercer de passer de la défenive à l’offensive. Ils tenteront d’utiliser les luttes ouvrières comme un poids à jeter dans la balance des négociations avec la bourgeoisie. Une telle opération sera entravée surtout par l’étroitesse des marges de manœuvre pour une politique réformiste. Mais ils auraient rencontré des difficultés politiques qualitativement plus importantes si les groupes d’extrême-gauche les plus forts avaient eu une attitude différente. En réalité, ces groupes ont développé une campagne totalement subordonnée à la problématique des réformistes et ils ont renoncé à esquisser toute orientation de mobilisation anticapitaliste d’ensemble.
En surestimant le rôle de Fanfani, actuel secrétaire des démocrates -chrétiens, et les possibilités de réussite de ses vélléités bonapartistes, en renon çant à mettre au premier plan lanécessité de mul tiplier les luttes et de les unifier, même pendant la campagne électorale, autour d’objectifs liés aux besoins essentiels de la lutte des classes, à savoir l’attaque au pouvoir d’achat des salaires et à l’emploi, Lotta Continua, Il Manifesto et Avanguardia Operaia ont par contre, sousestimé la compréhension que la classe ouvrière avait de la portée politique d’ensem ble de l’affrontement. En s’unissant au choeur légalisé et hypocrite de tous ceux qui dénonçaient comme « fascistes » les Brigades rouges, ces groupes ont renoncé à faire la clarté sur ce problème ; ils ont oublié que la critique aux conceptions et aux analyses erronnées d’un groupe aventuriste ne doit aucunement impliquer l’oubli de la problématique de la lutte contre les institutions bourgeoises et la perspective de leur renversement.
Aujourd’hui, il est nécessaire de relancer une lutte généralisée pour défendre le pouvoir d’achat des salaires et l’emploi et pour arracher des instruments efficaces du contrôle ouvrier qui empêchent cette rationalisation de l’appareil capitaliste que la Bourse de la Géorgie s’efforce péniblement d’imposer aux frais de la classe ouvrière. Aujourd’hui, il est nécessaire d’exploiter au maximum la crise évidente des institutions bourgeoises pour indiquer comme alternative un gouvernement ouvrier, basé sur des organismes issus des luttes, sans aucune participation de la bourgeoisie et de ses partis. Aujourd’hui, il est nécessaire de préparer les militants, les avant-gardes ouvrières et étudiantes à une période qui sera loin d’être paisible. Ce serait un suicide de donner une interprétation triomphaliste à la victoire des NON au référendum.
En même temps le lien entre les difficultés de la bourgeoisie italienne et celles des bourgeoisies des autres pays du Marché Commun, la simultanéité des crises politiques et latendance à la synchronisation des récessions économiques, l’extrême sensibilisation de la classe ouvrière et sa combati’vité qui s’expriment de nouveau à l’échelle continentale, de la France à la Grande-Bretagne, de l’Allemagne au Danemark, la dynamiquequi s’ouvre dans, la·pé ninsule ibérique après le renversement du fascis- me portugais, imposent des tâches internationalis - tes qui dépasse:llt la solidarité pure et simple et’ qui exigent des instruments européens des avant-gardes.
C’est en rapport avec ces tâches, nationales et internationales, qu’il faut mener une lutte systématique pour la conquête des avant-gardes ouvrières et étudiantes au programme marxiste-révolutionnaire, pour la défaite de l’opportunisme et du centrisme, pour le refus de toute subordination à la stratégie des partis réformistes.
Ne permettons pas à la bourgeoisie de surmonter ses difficultés ! N’acceptons aucune trêve sociale. Rèpoussons le « compromis, historique » ! Pour un gouvernement ouvrier basé sur des organismes issus des luttes Contre l’Europe des trusts, pour l’Europe rouge.