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«Israël, l’agonie d’une démocratie»

par JL

Dans ce petit livre publié avant l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, Charles Enderlin1 se propose d’apporter au lecteur « le contexte politique du changement de régime que Benjamin Netanyahu et ses alliés intégristes messianiques et ultra-orthodoxes entendent installer en Israël » depuis décembre 2022, ce qu’il appelle « le coup d’État identitaire. »

Il donne d’emblée la parole à Hannah Arendt qui écrivait en 1951 : « Cette solution de la question juive n’avait réussi qu’à produire une nouvelle catégorie de réfugiés, les Arabes, accroissant ainsi le nombre d’apatrides et de sans-droits de quelque 700 à 800.000 personnes […] Réfugiés et apatrides sont, telle une malédiction, le lot de tous les nouveaux Etats qui ont été créés à l’image des l’Etat-nation.  Pour ces nouveaux Etats, ce fléeau porte les germes d’une maladie incurable.  Car l’Etat-nation ne saurait exister une fois que son principe d’égalité devant la loi a cédé. »

Après un premier gouvernement de 1996 à 1999 puis dix ans de traversée du désert, Benjamin Netanyahou  est revenu, sans interruption à la tête du pays en 2009. Il avait déjà lancé l’idée de redéfinir Israël en Etat exclusivement juif.  En 2018, la Knesset vote la loi « Israël Etat-nation du peuple juif » aux termes de laquelle « L’État voit le développement de l’implantation juive comme une valeur nationale, encouragera et promouvra son développement et sa consolidation. »Les Arabes israéliens et les autres non Juifs- dont les chrétiens - sont une minorité tolérée.

Il poursuit la mise en place du nouveau régime national-juif avec son nouveau et 6è gouvernement de décembre 2022 avec une solide majorité à la Knesset : nouveaux ministères identitaires et budgets par milliards aux organisations nationalistes et messianiques et aux communautés ultra-orthodoxes. Le chef du parti « Sionisme religieux » de Bezalel Smotrich – homophobe, raciste anti-arabe – se voit confier les ministères clés de la colonisation et contrôle la gestion civile de tous les territoires palestiniens. La législation renforce les lois religieuses. L’enseignement public religieux est largement favorisé, les ONG de gauche contrôlées. Les rabbins ultra-orthodoxes obtiennent que leurs communautés soient dispensées de service militaire, que l’État finance leur système d’éducation  - dans les écoles talmudiques, 90.000 élèves n’étudient pas les matières fondamentales mais plutôt la Torah – et seuls 41 % d’enfants juifs entament leur scolarité dans une école laïque.

Le 4 janvier 2023, le ministre de la Justice présente le projet de priver le système judiciaire de sa capacité d’annuler des lois et des décisions du gouvernement qu’il jugerait inconstitutionnelles. La présidente de la Cour suprême a déclaré que « cette réforme porte un coup mortel à la démocratie ». Aharon Barak, Président de la Cour suprême de 1995 à 2006, met en garde : « Cette réforme instaure la tyrannie par la majorité et constitue un danger pour la démocratie qu’elle vide de tout contenu.  Si elle est appliquée, il n’y aura plus qu’une seule autorité dans le pays, celle du Premier ministre ». Netanyahou limoge Yav Galant, ministre de la Défense qui avait lancé un appel à l’arrêt de la réforme. Il était particulièrement inquiet des menaces d’insubordination massives de la part des réservistes, notamment des pilotes de chasse opposés au changement de régime : 200.000 Israéliens protestent devant la Knesset.  Les manifestations montent très vite en puissance avec plusieurs centaines de milliers de manifestants.  Parmi eux, un nombre loin d’être négligeable d’opposants à l’occupation des territoires palestiniens. Le premier ministre est obligé de suspendre la refonte du système judiciaire.  Yav Galant est toujours en fonction.

La maladie incurable de l’Etat-nation Israël est l’occupation. Et des voix s’élèvent dénonçant le fait qu’Israël se dirige vers l’apartheid.  L’occupation de la Cisjordanie en est bel et bien une forme, surtout depuis que la gestion civile a été confiée à des sionistes religieux, des fondamentalistes messianiques et des ultra-orthodoxes qui veulent un régime théocratique qui ferait alors d’Israël un Etat d’apartheid. Netanyahou ne cache pas sa détermination à annexer la Cisjordanie.

 

A lire aussi ces trois articles de Charles Enderlin dans le Monde diplomatique :

- septembre 2022 :  En Israël, l’essor de l’ultranationalisme religieux 

- février 2023 :  Israël, le coup d’État identitaire 

- octobre 2023 :  Fronde historique en Israël 

Charles ENDERLIN

Israël, l’agonie d’une démocratie

Seuil, Libelle – septembre 2023, 51p,   4,90 €

  • 1Journaliste Franco-Israélien, correspondant de France 2 de 1981 à 2015, auteur de nombreux livres sur le conflit israélo-palestinien,  Au Seuil : Au nom du Temple (2013 ; en Points en 2023), Les Juifs de France entre République et sionisme (2020) et aussi De notre correspondant à Jérusalem (Don Quichotte, 2021)

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