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Catastrophe en Palestine et en Israël

par David Finkel
Le président Barack Obama et le vice-président Joe Biden avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, le 28 mai 2009 (Photo officielle de la Maison Blanche par Pete Souza, domaine public).

Le matin du 7 octobre, l’ennemi juré que l’État israélien a largement contribué à créer a franchi le mur frontalier séparant la « prison à ciel ouvert » de Gaza du sud d’Israël, en passant par-dessus, par-dessous et à travers. Les événements brutaux qui ont suivi ont ouvert les portes de l’enfer – encore plus que d’habitude – au Moyen-Orient.

De nombreuses illusions ont volé en éclats, à commencer par la plus grande, celle du gouvernement des États-Unis qui pensait qu’une « normalisation » des relations entre Israël et l’Arabie Saoudite, ainsi que d’autres monarchies arabes du Golfe, ferait disparaître la Palestine des esprits. Il est essentiel d’énoncer d’emblée la leçon fondamentale selon laquelle la politique étatsunienne, en permettant à Israël de détruire continuellement la Palestine et les espoirs de son peuple, a transformé le conflit palestino-sioniste, qui dure depuis 100 ans, en une crise permanente avec peu d’espoir de résolution.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, on ignore les risques d’une guerre régionale encore plus importante, qu’aucun acteur étatique ne souhaite – « Dieu nous en préserve », pour reprendre les termes du professeur Rashid Khalidi1. Mais les événements quotidiens sont bien assez horribles. Il n’est pas possible d’en faire la chronique ici, mais la direction qu’ils prennent a littéralement fait descendre des millions de personnes dans les rues du monde entier pour exiger que le massacre de Gaza prenne fin. […]

Disparaît également l’illusion de « sécurité » d’Israël – faite de murs impénétrables, de technologies de surveillance de classe mondiale, de services de renseignements omniprésents et de la certitude de représailles massives garantissant que le Hamas sera « dissuadé », comme s’en est vanté à maintes reprises un haut fonctionnaire israélien. Elle est remplacée par des illusions encore plus meurtrières selon lesquelles la « destruction complète » du Hamas promise – qui ne peut être accomplie sans des dizaines, voire des centaines de milliers de morts dans la bande de Gaza – apportera la sécurité.

L’illusion de certains militants pro-palestiniens – selon laquelle l’attaque du Hamas représente une avancée pour la résistance et la lutte de libération – doit également être analysée. En résumé, la mort de 1 400 Israéliens, pour la plupart des civils, est catastrophique pour la population israélienne mais ne menace pas l’État. Nous y reviendrons plus loin.

Cartographie de la catastrophe

Le gouvernement israélien de « M. Sécurité », Benyamin Netanyahou, est le plus vicieusement raciste, antidémocratique et incompétent, ainsi que l’un des plus corrompus – bien qu’il y ait de la concurrence pour cette distinction – de l’histoire du pays. Aujourd’hui, il est probablement aussi le plus largement vilipendé pour ses échecs catastrophiques.

En fait, les bombardements massifs et l’invasion de Gaza par Israël ont une priorité absolue, au-delà de toute autre considération : maintenir la coalition de Netanyahou au pouvoir et éviter qu’il ne soit emprisonné pour de multiples accusations de corruption. Ni la vie des Palestiniens, ni celle des Israéliens, ni celle des otages ne peuvent entraver cet objectif suprême.

Étant donné que la coalition dépend du soutien des ministres du Pouvoir juif et du Sionisme religieux2, Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, fascistes et ouvertement pro purification ethnique, les dimensions de la guerre sont littéralement génocidaires. Ce potentiel a toujours été présent dans la politique israélienne, mais le besoin de Netanyahou d’occuper un poste politique pour se protéger des poursuites (cela vous rappelle quelque chose ?) l’emporte sur certaines limites à la destruction totale que la politique mondiale et les intérêts américains imposent habituellement.

Mustafa Barghouti, médecin à Ramallah et président de l’Initiative nationale palestinienne, a mis en garde à plusieurs reprises (par exemple dans Democracy Now, le 19 octobre) contre un scénario dans lequel Israël dépeuple et annexe le nord de Gaza, puis procède au nettoyage ethnique et à l’annexion de la Cisjordanie.

« Je n’aurais jamais cru voir Israël se livrer à un nettoyage ethnique au XXIe siècle, déclare M. Barghouti, mais j’admets que je me suis trompé ». Pour un avertissement similaire, voir « Gaza : entre une seconde Nakba et la renaissance de la fiction d’Oslo »3.

Sous le choc immédiat du 7 octobre, les informations en provenance du sud d’Israël ayant déferlé sur une grande partie du monde et en particulier sur les États-Unis, on a assisté à une rupture du soutien accumulé pendant des années en faveur du peuple palestinien souffrant de l’occupation. L’ampleur et la brutalité des meurtres perpétrés par le Hamas ont suscité une sympathie instantanée à l’égard d’Israël. En l’espace d’une semaine, les bombardements massifs, le « siège total » et l’invasion imminente de Gaza par Israël ont transformé une grande partie de cette sympathie en dégoût.

Depuis lors, on nous dit souvent que le « droit d’Israël à se défendre » l’emporte sur la prise en compte des conditions sous-jacentes et de l’histoire qui ont engendré la situation actuelle. Tout cela devrait attendre que « la terreur du Hamas soit terminée une fois pour toutes ».

Avec tout le manque de respect qui s’impose, je dois insister sur le fait que c’est le contraire qui est vrai. Alors que l’apartheid israélien s’engage sur la voie du génocide et que de nombreux observateurs ont mis en garde que se serait une possible conséquence, on ne peut pas savoir où cette route mène si l’on ne comprend pas d’où elle vient.

La naissance de l’ennemi juré absolu fondamentaliste

Au printemps 1982, je faisais partie d’une délégation de journalistes de gauche qui s’est rendue dans les territoires palestiniens occupés et en Israël. Nous avons alors visité l’université de Bir Zeit en Cisjordanie occupée. Outre les blocus israéliens et le harcèlement permanent de leur établissement, les étudiants nationalistes qui soutenaient l’Organisation de libération de la Palestine, nous ont expliqué comment les autorités israéliennes laissaient passer librement les islamistes de droite venus de Gaza pour perturber leurs activités sur le campus.

Il s’agissait d’un avant-goût inquiétant de la préférence d’Israël pour le fondamentalisme islamique au détriment du nationalisme palestinien. Ce cynique stratagème de « mon meilleur ennemi » n’était pas très différent de ce que les États-Unis faisaient à la même époque : soutenir en Afghanistan contre les Soviétiques le fondamentalisme islamique d’Oussama ben Laden, devenu ensuite Al-Qaïda et qui finalement allait perpétrer les attentats du 11 septembre 2001.

Il se trouve que notre discussion à Bir Zeit s’est déroulée quelques mois seulement avant l’invasion du Liban par Israël, qui a culminé avec les massacres des camps de réfugiés de Sabra et Chatila en septembre et l’expulsion de l’OLP de Beyrouth.

C’était une grande défaite du nationalisme palestinien, qui a également entraîné la montée en puissance au Liban (avec le soutien de l’Iran) du mouvement fondamentaliste chiite Hezbollah, qui est devenu et reste l’adversaire militaire le plus important d’Israël.

Le Hamas (acronyme arabe de Mouvement de résistance islamique) a été créé en 1987, en tant que branche gazaouie des Frères musulmans basés en Égypte. Au milieu des années 2000, le Hamas s’est renforcé, profitant du vide laissé par le déclin de la gauche palestinienne et le succès israélo-américain dans la transformation de l’Autorité nationale palestinienne (AP, créée à la suite des accords d’Oslo de 1993) en un collaborateur de l’occupation.

Alors que les colonies israéliennes s’étendaient comme un cancer incontrôlé en Cisjordanie, une avancée remarquable a eu lieu en 2006 dans la vie des Palestiniens. Une élection en Cisjordanie et à Gaza pour la direction de l’Autorité palestinienne a été déclarée libre et équitable par la Fondation Carter, et largement considérée comme un exemple de démocratie pour le Moyen-Orient.

À la surprise générale, y compris celle du Hamas, le mouvement islamiste a remporté les élections, battant la faction dominante de l’OLP (le Fatah). La sénatrice américaine Hillary Clinton, horrifiée, a déploré l’incapacité des États-Unis à garantir un résultat différent lors de l’élection.

Yasser Arafat, leader historique de l’OLP et symbole du nationalisme palestinien, est mort en 2004 (très probablement empoisonné par des agents israéliens, bien que l’assassinat n’ait jamais été reconnu). Le soutien populaire de l’OLP diminuant considérablement, les deux partis ont reconnu la réalité de la fragilité de leur base électorale : la plupart des gens n’avaient pas voté pour une idéologie fondamentaliste islamique, mais plutôt pour protester contre l’incompétence et la corruption de l’Autorité palestinienne et de l’OLP.

En conséquence, le Fatah et le Hamas ont entamé un processus de formation d’un gouvernement d’unité palestinienne. Cet exercice de politique démocratique palestinienne était absolument inacceptable pour les États-Unis et Israël. Ce qui s’est passé ensuite a été raconté par le journaliste David Rose dans un rapport d’enquête intitulé « The Gaza Bombshell » (Vanity Fair, avril 2008). Comme le résume l’introduction de l’article :

« Après avoir échoué à anticiper la victoire du Hamas sur le Fatah lors des élections palestiniennes de 2006, la Maison Blanche a concocté une nouvelle débâcle scandaleusement secrète et autodestructrice au Moyen-Orient : moitié Irangate4, moitié Baie des Cochons. À l’aide de documents confidentiels, corroborés par d’anciens et d’actuels responsables américains indignés, l’auteur révèle comment le président Bush, Condoleezza Rice et le conseiller adjoint à la sécurité nationale, Elliott Abrams, ont soutenu une force armée dirigée par l’homme fort du Fatah, Muhammad Dahlan, déclenchant une guerre civile sanglante à Gaza et laissant le Hamas plus fort que jamais ».

Le coup d’État a échoué, laissant les restes de l’OLP administrer l’Autorité palestinienne dans les lambeaux de territoire qui lui restaient en Cisjordanie. Le Hamas a consolidé son contrôle sur Gaza.

La bande de terre est restée depuis lors sous le siège israélien de plus en plus rigoureux, des opérations périodiques que les responsables israéliens appellent « tondre l’herbe » avec des assassinats ciblés et le bombardement des infrastructures civiles, des approvisionnements alimentaires limités au niveau de survie, une électricité fournie pendant quelques heures par jour, une eau de plus en plus imbuvable, et la matrice des horreurs décrites dans le livre de Norman Finkelstein, Gaza, une enquête sur son martyre (University of California Press, 2018), dans des détails insupportables mais indispensables.

La population de la prison à ciel ouvert de Gaza, dont la grande majorité est constituée de réfugié·es et de leurs descendant·es issu·es de la dépossession et de l’expulsion massives des Palestinien·nes d’Israël en 1948, s’élève à deux millions et demi de personnes sur une bande de terre à peu près de la taille de la ville de Detroit. Après chaque cycle de pulvérisation, la reconstruction partielle est financée par des sources du monde arabe, notamment le Qatar, et quelques agences internationales.

Le Hamas lui-même a tenté de concilier son opposition idéologique à l’existence d’Israël avec les faits concrets des responsabilités gouvernementales. Son aile politique, en particulier, s’est montrée disposée à s’accommoder d’une sorte de solution à deux États, si telle était la volonté du peuple palestinien. Les dirigeants israéliens, tous blocs politiques confondus, n’y ont manifesté aucun intérêt. Des miettes d’aide et l’ouverture d’une poignée d’emplois en Israël pour les travailleurs désespérés de Gaza assureraient ce qu’Israël appelle cyniquement « le calme pour le calme » (quiet for quiet).

Les autorités israéliennes étaient tellement satisfaites de la stabilité du statu quo qu’elles ont déplacé en toute confiance des unités militaires pour servir et protéger des colons fanatiques de Cisjordanie pendant qu’ils attaquaient et pillaient des villages palestiniens, brûlaient des champs et déracinaient des oliviers d’une valeur inestimable. Les villes du sud d’Israël sont restées à peine surveillées. Mais avant le 7 octobre, qu’est-ce qui pouvait mal tourner ?

Faire face à des faits brutaux

Il est nécessaire de regarder en face la réalité du 7 octobre et de ses conséquences. L’organisation extraordinaire, la préparation secrète, la complexité et la puissance de l’attaque du Hamas ont véritablement choqué le monde entier.

Il en va de même pour l’extrême brutalité des meurtres de masse qu’il a commis. À moins d’une défaillance du commandement et du contrôle, il semblerait que le raid ait eu pour principal objectif de tuer des gens – plus encore que de faire des prisonniers pour les échanger contre plus de six mille prisonniers palestiniens (dont 360 enfants) détenus en Israël, dont beaucoup sont placés en « détention administrative » sans inculpation ni jugement.

Les affirmations selon lesquelles certains citoyens israéliens auraient été tués lors des assauts de l’armée pour reprendre le contrôle, par exemple « Un nombre croissant de rapports indiquent que les forces israéliennes sont responsables de la mort de civils et de militaires israéliens à la suite de l’attaque du 7 octobre »5, ne sont pas vérifiées, mais ne seraient pas sans précédent dans l’histoire d’Israël en matière de gestion des crises d’otages.

Néanmoins, les meurtres à grande échelle perpétrés le 7 octobre par des militants du Hamas sont largement documentés par des images prises par des caméras corporelles et des téléphones portables, ainsi que par les récits des survivant·es. Des familles ont été massacrées sans discernement dans leurs maisons, ainsi que de nombreux civils qui auraient pu être capturés mais qui ont été abattus.

L’ampleur du massacre, au-delà de tout objectif stratégique évident, en fait une action hideuse, qui n’a rien à voir avec l’avancement de la résistance palestinienne ou avec un quelconque objectif progressiste.

Le Hamas a fait preuve d’une indifférence encore plus effroyable à l’égard de l’anéantissement la population civile de Gaza. En quoi cela ferait-il « avancer » la lutte ?

Les crimes moraux et politiques du Hamas incluent son incapacité à construire des abris anti-bombes pour les civils et des fournitures d’urgence face aux attaques aériennes et terrestres répétées d’Israël.

Les partisans de la liberté palestinienne doivent faire face à ce que cela révèle de la véritable nature du Hamas et de la manière dont il a gouverné à Gaza. Reconnaître le droit absolument essentiel des peuples opprimés à résister, y compris par les armes, ne nous dispense pas de la responsabilité d’analyser les méthodes et les politiques des forces qui agissent en leur nom.

La criminalité est d’autant plus grande si, comme le suggèrent certains analystes, l’un des objectifs de l’attaque du Hamas était délibérément d’entraîner Israël dans une invasion terrestre. Les dirigeants militaires ou politiques de l’organisation pouvaient-ils imaginer que les puissances étatiques régionales viendraient à leur rescousse ?

Inévitablement, comme toujours, la très puissante machine militaire israélienne, avec le soutien total des États-Unis, a été rapidement capable de tuer bien plus de Palestinien·nes, bien plus que les 1 400 morts israélien·nes du 7 octobre. Ce chiffre a été facilement doublé par le nombre de vies palestiniennes perdues au cours des seuls premiers jours des bombardements de représailles d’Israël et du « siège total » dont Netanyahou a promis qu’il « anéantirait » le Hamas, « changerait Gaza pour toujours » et « se répercuterait sur plusieurs générations ». À l’heure où nous écrivons ces lignes, le ministère de la santé de Gaza estime que le nombre de morts parmi les Palestiniens s’élève à plus de 8 000.

C’était avant l’invasion terrestre de Gaza, avant que les hôpitaux n’épuisent le carburant de leurs générateurs et avant qu’Israël ne bombarde les personnes qui avaient suivi ses ordres de fuir vers le sud – et dans quel but du côté israélien ?

Après qu’Israël a permis la montée en puissance des forces qui sont devenues le Hamas, ce dernier peut-il maintenant être « éliminé » sans un massacre de masse de dizaines de milliers de civils de Gaza au moins et l’expulsion forcée de centaines de milliers d’autres ? Er où pourraient-ils aller ?

Qui, le cas échéant, reconstruira Gaza cette fois-ci ? Un « Gaza plus petit avec moins d’habitants », comme le promet un ministre du gouvernement israélien, va-t-il recréer les illusions israéliennes en matière de sécurité ? Israël a-t-il l’intention de réoccuper l’endroit ou de le confier à une AP totalement discréditée, collaborateur pathétique de l’occupation ?

Des spécialistes de la presse promeuvent tous ces scénarios obscènes et bien d’autres encore, tous fondés sur la perpétuation du contrôle colonial de l’apartheid par Israël.

Les réponses

Face au tollé mondial en faveur d’un cessez-le-feu immédiat, le département d’État étatsunien a interdit à ses fonctionnaires de mentionner ce terme d’apartheid. Au-delà de la « solidarité avec Israël » et de l’envoi en urgence d’armes dont le pays n’a même pas besoin pour détruire Gaza plusieurs fois, le plan des États-Unis semble consister à poursuivre la « normalisation » israélo-saoudienne sur les ruines fumantes de la guerre d’Israël contre la Palestine.

Joe Biden a énoncé la lapalissade suivante : « Le Hamas ne représente pas le peuple palestinien… » En effet, les sondages disponibles indiquent que le Hamas est soutenu par environ 20 % de la population de Gaza, voire beaucoup moins6.

Mais ces déclarations américaines ne cadrent guère avec celles du président de l’État d’Israël, Isaac Herzog, qui a déclaré que « Gaza, c’est le Hamas », ou avec celles de Benyamin Netanyahou qui, aux Nations unies, a déployé un drapeau représentant le Grand Israël, y compris la bande de Gaza et la Cisjordanie. Tel est le résultat concret de la promesse de M. Biden de fournir une nouvelle aide militaire massive à Israël.

Entre-temps, la nouvelle catastrophe a révélé et approfondi la polarisation de la communauté juive américaine sur Israël et la Palestine. Au cours de la semaine du 16 octobre, dans le cadre d’actions d’une ampleur sans précédent, Jewish Voice for Peace (JVP), If Not Now et d’autres organisations de solidarité juives ont bloqué les portes de la Maison Blanche le lundi et ont envahi le Capitole le mercredi, exigeant un cessez-le-feu immédiat. Le 27 octobre, le sit-in de masse organisé par JVP a bloqué la gare centrale de New York et il y a eu plus de 400 arrestations.

Mais une réponse typique de l’establishment a été rédigée dans le Detroit Free Press (dimanche 16 octobre) par le rabbin Asher Lopatin, qui a la réputation imméritée d’être une voix modérée et conciliante :

« Le fait que le Hamas ait pris pour cible et assassiné des familles – bébés, enfants, mères et grands-mères – a constitué la pire catastrophe en un jour pour notre peuple depuis l’Holocauste. Et cela a rappelé les pogroms en Europe de l’Est avant et après la révolution russe, lorsque les Juifs ont été attaqués et tués dans des raids brutaux. Mais cette fois-ci, c’est encore plus extrême, comme la brutalité pratiquée par Daech, mais cette fois-ci Daech est là pour les Juifs. »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est extrait de son contexte historique ! Les communautés juives visées par les pogroms en Europe, sans parler du génocide nazi, étaient non seulement sans défense mais, plus important encore, n’avaient rien à voir avec la création des conditions qui ont conduit à leur assassinat.

Les victimes israéliennes de l’attaque du Hamas, certainement innocentes elles-mêmes, étaient des citoyens de l’autoproclamé « État-nation du peuple juif » – un État qui non seulement prétendait les défendre, mais qui a créé les conditions de leur assassinat et a contribué à mettre en branle la force qui a perpétré le massacre du 7 octobre.

Les comparaisons entre le Hamas et Daech, comme la déclaration de Netanyahou selon laquelle « le Hamas est Daech » (et les propos de Biden selon lesquels « ces gars-là font passer Al-Qaïda pour des innocents »), fournissent une couverture pour une guerre sans limite ni retenue, alors que les atrocités commises par les colons de Cisjordanie s’intensifient de jour en jour. Il est plus juste de considérer le Hamas et l’occupation israélienne comme des partenaires d’une danse dans la spirale de la mort, asymétriques mais symbiotiques.

On peut dire que le gouvernement israélien et le Hamas, chacun pour ses propres raisons, ont voulu la guerre actuelle, et que les États-Unis ne veulent pas l’arrêter ou sont incompétents pour le faire. D’autre part, aucun des acteurs étatiques ne souhaite l’apocalypse d’une guerre régionale – ni Israël, ni l’Arabie saoudite, ni l’Iran, ni certainement le Liban qui serait anéanti, ni les États-Unis.

Toutefois, si les États et/ou leurs clients se lancent aveuglément dans une guerre régionale, personne ne sait où elle mènera ni l’ampleur de ce qui sera englouti par les portes de l’enfer.

Exiger un cessez-le-feu immédiat pour Gaza est devenu la principale priorité du mouvement mondial. L’indignation qui se répand dans le monde entier, ainsi que les protestations croissantes aux États-Unis et ailleurs des Palestinien·nes, des Arabes, des secteurs progressistes de la communauté juive et d’autres alliés solidaires, constituent actuellement le meilleur espoir de bloquer la route vers le génocide.

  • 1Rashid Khalidi, né en 1948 à New York, est un historien américain d’origine palestinienne, spécialiste de l’histoire du Moyen-Orient. Il est le détenteur de la chaire Edward Saïd et directeur du département du Moyen-Orient à l’université Columbia.
  • 2Force juive, Otzma Yehudit, anciennement Otzma LeYisrael, est un parti politique d’extrême droite israélien créé en novembre 2012 par Arié Eldad et Michael Ben-Ari. Le Parti sioniste religieux (HaTzionut HaDatit) était un parti d’extrême droite israélien fondé en 1998.
    Il a fusionné le 3 août 2023 avec le Foyer juif pour former le Parti national religieux.
  • 3Gilbert Achcar, 17 octobre 2023. https://www.pressegauche.org/Gaza-entre-un-deuxieme-chapitre-de-la-Nakba-et-la-resurgence-de-la-fiction-d
  • 4
    L’affaire Iran-Contra ou Irangate est un scandale politico-militaire survenu aux États-Unis dans les années 1980 pendant le second mandat de l’administration Reagan. Plusieurs hauts responsables du gouvernement fédéral américain ont soutenu un trafic d’armes vers l’Iran malgré l’embargo touchant ce pays. L’administration espérait pouvoir utiliser les produits de la vente d’armes pour financer les Contras au Nicaragua, malgré l’interdiction explicite du Congrès des États-Unis de financer ce groupe armé en lutte contre le pouvoir nicaraguayen.
  • 5Mondoweiss, 22 octobre 2023. 
    https://mondoweiss.net/2023/10/a-growing-number-of-reports-indicate-israeli-forces-responsible-for-israeli-civilian-and-military-deaths-following-october-7-attack/
  • 6Jim Zogby, de l’Institut arabo-américain, estime qu’il s’agit plutôt de 11 %. Voir également, Amaney A. Jamal et Michael Robbins, « What Palestinians Really Think of Hamas », Foreign Affairs, 25 octobre 2023. Ce sondage a été réalisé juste avant le 7 octobre, date à laquelle la guerre Israël-Gaza a éclaté. Il indique également que le Hamas et le Fatah n’obtiennent pas à eux deux plus de 30 % de soutien et beaucoup moins selon la plupart des critères (note de l’auteur).

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Auteur·es

David Finkel

David Finkel est rédacteur en chef de la revue de l’organisation socialiste Solidarity des États-Unis, Against the Current et membre actif de Jewish Voice for Peace (JVP). Cet article a été publié dans Against the Current n°227, novembre-décembre 2023 (traduit de l’anglais par AL).