Le fascisme se combat dans les rues

par Carla Perelló
Diverses réactions ont suivi les résultats des élections du dimanche 21 novembre, en particulier le premier tour de l'élection présidentielle qui a vu le candidat José Antonio Kast, représentant de l'extrême droite, dépasser de deux points Gabriel Boric, le candidat de gauche de l'alliance Apruebo Dignidad (Approbation dignité). Tout en manifestant, nous avons échangé avec des camarades qui nous ont transmis leurs analyses de ce qu'il faut faire et avons également évoqué les différentes actions collectives qui sont déjà appelées par les féministes en vue du second tour du 19 décembre.

La Coordination 8M [du 8 mars] a été la première à sonner l'alarme après le long discours victorieux de Kast. " Nous convoquons à cette heure la plénière interne extraordinaire de la @Coordinadora8m. Il n'y a pas une minute à perdre. Réflexion collective et planification de l'action. Nous avons besoin d'agir collectivement et de nous déterminer à partir des féminismes et des mouvements sociaux », a écrit Karina Nohales à qui les militantes et activistes de l'organisation ont répondu dès la tombée de la nuit dimanche soir.

La Coordination a diffusé une déclaration avec un appel ouvert pour le mercredi 24 novembre à 17 heures, dans tout le pays pour une assemblée féministe antifasciste, qui se tiendra virtuellement et en présentiel. " Nous nous sommes réuni∙es en raison de l'urgence de dire clairement et ouvertement que nous voulons un territoire libéré du racisme et du fascisme », déclarent-elles. Les raisons sont claires : dans le pays transandin, le 19 décembre, se tiendra une élection historique au cours de laquelle deux projets antagonistes pour le pays seront débattus. Kast a déjà clairement indiqué son intention de faire reculer les droits. Pour ne citer que quelques exemples, le candidat d'extrême droite donne raison au dictateur Augusto Pinochet, il sympathise avec le président brésilien, Jair Bolsonaro, il s'est prononcé contre le droit à l'avortement et il a l'intention de réduire les impôts pour les riches. Aujourd'hui, au Chili, à la Chambre des Députés de la Nation, ce projet dispose de la plus importante minorité.

" Nous appelons à affirmer l'alternative que nous avons construite en tant que peuple pour une vie digne et à prendre la responsabilité de faire un pas en avant. Nous nous sommes retrouvé∙es dans les rues par millions et nous savons que l'unité dont nous avons besoin aujourd'hui est celle qui s'épanouit à partir de la base », disent-elles en lançant un appel à chaque organisation partout dans le pays.

Le Réseau des journalistes féministes du Chili a également lancé un appel pour montrer le rôle fondamental des médias hégémoniques lorsqu'il s'agit de réaffirmer ou d'éliminer le discours de haine : " Nous appelons tous les groupes, du nord au sud, à former une seule et même résistance et à discuter des droits humains, sociaux et politiques qui sont aujourd'hui en danger dans notre pays ».

Plus unies et dans les rues

Les réseaux sociaux sont rapidement devenus viraux pour tenter d'expliquer les résultats dans un pays dont le peuple, il y a un peu plus de deux ans, a déferlé et s'est fait entendre pour exiger une vie digne d'être vécue. " Écoutez, il y a un changement politique. Aux dernières élections, le FA (Frente Amplio) avait 20 %. Maintenant Apruebo Dignidad est la première force de gauche et son candidat sera présent au second tour. Il y a une grande surprise, mais ne perdons pas espoir. Avec humilité, en écoutant, le Chili changera. Allons-y pour le deuxième tour », a écrit l'influenceur Javier Manriquez (@Guorororoi), sur un ton qui cherche peut-être à faire baisser l'anxiété et à aller vers ce que beaucoup attendent depuis plus de 30 ans.

Le fait qu'il y ait eu de longues files d'attente tôt le matin le jour du vote en a incité plus d'un à prédire une forte participation électorale. Cependant, à cette heure, le service électoral chilien indique que sur les 14 959 955 habitantes ayant le droit de vote dans le pays, seuls 47,34 % se sont rendus aux urnes. Dans le cas des personnes vivant à l'étranger, le pourcentage est similaire : 47,91 % sur un total de 71 018. Et le résultat, nous le connaissons…

L'activiste Verónica â´vila a envoyé un message à ses amis sur WhatsApp : " Je pense qu'il existe dans notre pays une éthique qui ne bouge pas, une recherche du modèle colonial qui "protège et garantit la stabilité", tout en abusant, tuant, violant et ne donnant que des miettes », a-t-elle déclaré après s'être réjouie du fait qu'Emilia Schneider sera la première femme transgenre au Congrès dans l'histoire du pays.

â´vila a également pointé du doigt une partie de la classe politique du pays, qui, durant la période post-dictature, a cautionné un système qui rend la vie précaire. " Nous avons un Frente Amplio - pardonnez ma franchise - qui continue à regarder le peuple du haut des élites, cherchant à déterminer sa vie depuis la cime d'un arbre, sans être dans les rues, sans travail sur le terrain (…) qui continue à ne pas croire dans le pouvoir populaire (nombreux pensent que c'est du romantisme). Ils continuent à ne pas accorder de crédit au pouvoir des organisations locales et, dans de nombreux cas, qualifient d'ultras toutes les tentatives de construction par le bas », prévient-elle, tout en soulignant que ce n'est pas la seule raison pour laquelle Kast est arrivé en tête de cette élection. Pour elle, la clé pour retrouver le chemin implique que l'élite arrête de viser les postes de décision et de porte-parole pour " chercher d'urgence une alliance avec ce peuple organisé, sans commettre une fois de plus l'erreur de l'utiliser puis de le rejeter, mais au contraire, en lui ouvrant une place dans son projet de gouvernement ».

Pour sa part, Mercedes Argudín, militante afro-chilienne, analyse : " Les personnes qui ont fait passer le candidat pinochétiste ultra-droitier ne sont pas la majorité. Mais il y a un problème de représentation des personnes qui n'ont pas voté et c'est là que la gauche doit s'unir, sortir de ses universités, mettre ses pieds dans la rue, rencontrer chez elles les personnes de la communauté LGBTIQ+, des migrants, des Afro-Chiliens, pour que les personnes qui ne se sentent pas représentées commencent à occuper l'espace sans crainte. Maintenant, nous devons tous parvenir à un accord pour pouvoir construire un avenir digne ». Argudín a souligné : " Ne pas avoir peur est un privilège en ce moment, mais je m'en tiens aux mots de Boric : l'espoir vaincra la peur et nous rendra la dignité ».

* Carla Perelló est une journaliste féministe. Cet article a été d'abord publié le 23 novembre 2021 par Resumen Latinoamericano (https://www.resumenlatinoamericano.org/2021/11/23/chile-el-fascismo-se-combate-en-las-calles/).
Traduit de l'espagnol par JM.